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Alternatives Economiques Poche n°49 - Avril 2011 - 9,50 €

Et si on changeait tout : 60 initiatives et propositions pour changer le monde

Non, nous ne sommes pas condamnés à voir les inégalités s’accroître. Non, la mondialisation libérale n’est pas la seule possible. Oui, on peut aller vers un autre mode de vie plus respectueux des personnes et de l’environnement. Afin d’explorer ces alternatives, Alternatives Economiques a demandé à des économistes, philosophes, sociologues et juristes de nous faire des propositions pour aller vers une société meilleure. Ces entretiens composent le cœur de ce nouveau hors-série poche. Le numéro présente également des alternatives concrètes en France et à l’étranger ainsi que 40 idées pour changer le monde rédigées par l’équipe d’Alternatives Economiques.

Donner envie par Philippe Frémeaux Mois après mois, Alternatives Economiques décrit et explique l’actualité économique. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à ce qui pourrait, ce qui devrait changer. Au-delà des difficultés nées de la crise financière, nos sociétés font aujourd’hui face à de nombreux défis sur les plans économique, écologique, géopolitique qui imposent de s’interroger à nouveau sur les finalités de l’économie et qui renforcent l’appétence pour des alternatives. N’imaginons pas que d’un mal sorte nécessairement un bien : les difficultés que nous traversons portent en germe un sérieux risque de dérives autoritaires, de demande d’ordre. Elles exacerbent les contradictions d’intérêts entre les grands Etats. Loin de nous inciter à l’inaction, ces risques sont autant de raisons de faire preuve d’une imagination renouvelée, pour faire émerger des solutions viables et désirables aux défis auxquels l’humanité est confrontée. Face aux défis écologiques, face aux inégalités qui menacent la cohésion de nos sociétés et la paix du monde, il n’est plus possible de distinguer ce qui doit relever du court terme et du long terme dans les réformes à conduire. Il est désormais nécessaire d’agir sans attendre, pour transformer nos modes de production et de consommation, et rendre nos modes de vie soutenables pour nous et pour nos enfants. L’utopie n’est plus ce qu’elle était. Fini le rêve d’un modèle radicalement différent qui mettrait fin à l’histoire en instaurant une société idéale et sans conflits, par le biais d’une rupture totale. Bien au contraire, les propositions formulées dans ce hors-série poche sont pour la plupart applicables ici et maintenant. Elles sont même souvent déjà appliquées, à une échelle réduite. Chacune, prise isolément, ne vient pas modifier radicalement notre société, notre économie, mais mises bout à bout, elles les transformeraient profondément en les rendant bien plus respectueuses de l’environnement et des personnes. L’utopie n’est plus ce qu’elle était. Parce que ses fins sont désormais aussi dans ses moyens. Dit autrement, le processus qui peut permettre d’atteindre les objectifs que nous nous donnons fait partie des objectifs. Il n’y aura pas d’autre économie sans une démocratie élargie, approfondie. Les initiatives, les propositions qui suivent portent une certaine vision du bien commun. Cette vision ne peut faire sens que si elle est très largement partagée. C’est pourquoi ce hors-série poche ne décrit pas seulement des solutions aux problèmes qui sont les nôtres, il compte bien aussi vous donner envie de vous engager pour les faire vivre.
60 initiatives et propositions pour changer le monde
60 initiatives et propositions pour changer le monde
Au sommaire de ce Hors-série :

1 – Et si l’économie était au service de tous ?

Présentation de ce chapitre par Guillaume Duval : Ça suffit comme ça ! Après les affaires Enron et tant d’autres en 2000-2001, la crise actuelle confirme, s’il en était besoin, qu’il est plus que temps de limiter les inégalités fantastiques qui se sont creusées depuis trente ans et de faire enfin entrer la démocratie dans les banques et les entreprises. Pourquoi les actionnaires devraient-ils continuer à décider seuls de leur avenir avec les dirigeants qu’ils nomment ? Alors que ce sont surtout les salariés qui trinquent dès que cela tourne mal, ainsi que la société qui les entoure. Sans compter que ces crises impliquent quasi systématiquement que la puissance publique, donc au bout du compte les contribuables, éponge les pertes des acteurs privés pour éviter un effondrement de l’économie. Ces acteurs privés appliquent en effet sans aucune vergogne, à une échelle tout à fait inédite dans l’histoire, le vieux précepte à la base du développement du capitalisme : socialiser les pertes et privatiser les profits, pile je gagne, face tu perds. Il est donc grand temps que la société mette des limites nettement plus strictes au pouvoir des actionnaires et les obligent à partager ce pouvoir avec toutes celles et tous ceux qui ont eux aussi, comme les actionnaires et souvent plus qu’eux d’ailleurs, des  » billes  » dans les activités des banques et des entreprises, qu’ils risquent de perdre si les affaires tournent mal. Même si ces  » billes  » ne prennent pas la forme d’un capital financier. Par ailleurs, limiter les inégalités, ce n’est pas seulement une question de morale, mais aussi d’efficacité économique : ces inégalités fantastiques et la cupidité sans borne des plus riches sont à l’origine des prises de risque insensées qui ont provoqué la crise d’aujourd’hui. Elles freinent également l’innovation et le dynamisme économique en favorisant la reproduction à l’identique des élites via l’héritage. Bloquant ainsi la montée en puissance des véritables innovateurs. Eux-mêmes de toute façon peu nombreux dans la mesure où la concentration des richesses au sommet de la pyramide limite le capital tant culturel que financier auquel la grande masse de la population a accès. Enfin, last but not least, ces inégalités fantastiques minent le fondement même de la démocratie : comment croire en effet qu’un homme puisse en valoir un autre quand les moyens matériels dont ils disposent sont aussi fantastiquement inégaux ? Les multiples affaires de lobbying indécent et d’achat de responsables politiques, qui pourrissent la vie de la plupart des démocraties des pays industrialisés, ne sont au fond que la conséquence de ces inégalités injustifiables. Bref, il y a urgence. Voici quelques pistes, sans prétention à l’exhaustivité, pour corriger ces graves dérives. Au sommaire de ce premier chapitre :
  • Inventer de nouvelles protections. Entretien avec Robert Castel, sociologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). On observe aujourd’hui une grande fragilisation des travailleurs et une fragmentation des situations professionnelles. Pour Robert Castel, ces transformations doivent s’accompagner de la création de nouveaux droits.
  • Pour une révolution fiscale. Entretien avec Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et professeur à l’Ecole d’économie de Paris. Selon Thomas Piketty, il est désormais urgent de remettre à plat le système d’imposition en France et en Europe et de réguler implacablement les flux financiers internationaux.
  • S’appuyer sur l’économie sociale et solidaire. Entretien avec Claude Alphandéry, président honoraire du Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE) et président du Labo de l’économie sociale et solidaire. Claude Alphandéry estime que permettre aux initiatives écologiques et sociales de changer d’échelle entraînerait un transfert massif de l’activité et de l’emploi vers des secteurs permettant d’assurer un développement plus durable.
  • Il faut démocratiser les entreprises. Entretien avec Marc Fleurbaey, économiste, directeur de recherches à l’université Paris-Descartes. Démocratiser l’économie passe, selon Marc Fleurbaey, par une participation accrue des salariés à la gouvernance des entreprises, un bon instrument pour réduire les inégalités sociales à la racine.
9 propositions :
  • Et si les membres des conseils d’administration étaient pour moitié des salariés ? Vous n’y pensez pas ! Pourtant, c’est déjà le cas en Allemagne, et ce depuis 1951…
  • Et si les femmes brisaient le plafond de verre ? Que ce soit dans le secteur privé ou dans le public, les femmes se heurtent à un  » plafond de verre  » dans leur ascension hiérarchique. Cette image décrit bien les obstacles auxquels elles sont confrontées.
  • Et si on instaurait un salaire maximum ? Cette idée pouvait passer, il y a quelques années encore, pour une utopie fumeuse, mais entre-temps, avec la crise, le gouvernement allemand, puis Barack Obama, le président des Etats-Unis, l’ont reprise…
  • Et si on taxait les très hauts revenus à 80 % ? Quoi ? Mais c’est de la spoliation ! Pourtant, pendant la grande dépression, ce fut l’une des premières décisions prise par Franklin D. Roosevelt en arrivant à la présidence des Etats-Unis.
  • Et si on supprimait l’héritage ? Les dernières décennies ont été marquées par une forte baisse de la taxation pesant sur les héritages. Mais comment croire que permettre une transmission quasi intégrale des plus gros patrimoines peut favoriser cette fameuse égalité des chances dont se réclament même les plus libéraux ?
  • Et si tous les salariés étaient syndiqués ? Le syndicalisme est un des contre-pouvoirs majeurs au sein des entreprises comme dans la société, mais il s’est fortement affaibli au cours des dernières décennies.
  • Et si on construisait une vraie  » sécurité sociale professionnelle  » ? De quoi s’agit-il ? D’attacher des droits sociaux aux personnes plutôt qu’à l’emploi…
  • Et si l’économie sociale et solidaire changeait d’échelle ? L’économie sociale et solidaire occupe aujourd’hui une place spécifique au sein de l’activité économique. Mais celle-ci pourrait être appelée à grandir…
  • Et si on coopérait pour habiter ? Ni propriétaire, ni locataire : c’est la situation des membres des coopératives d’habitants…
Ils changent déjà le monde…
  • Les Scop, un projet démocratique. Dans les coopératives de travail, la démocratie économique se vit aussi bien à une dizaine d’associés qu’à plusieurs centaines.
  • Les syndicats et la sécurisation du parcours des salariés. Les organisations syndicales cherchent à sécuriser les parcours professionnels en attachant les droits à l’individu plutôt qu’au contrat de travail et en favorisant la formation tout au long de la vie.
  • La finance responsable est-elle efficace ? Poudre aux yeux ou véritable engagement à changer les règles de la finance ? L’investissement socialement responsable cherche encore à fonder sa légitimité, mais il est devenu un outil incontournable.
  • Des monnaies locales pour consommer autrement. Même si leur impact économique paraît limité, les monnaies locales interrogent les comportements des consommateurs et le sens qu’ils donnent aux échanges financiers.

2 – Et si on changeait la mondialisation ?

Présentation de ce chapitre par Christian Chavagneux : L’heure de la mondialisation heureuse est passée. La croyance dans les vertus sans fin d’une ouverture toujours plus poussée des économies aux échanges et aux mouvements de capitaux internationaux ne fait plus recette. D’abord, parce que cette mondialisation nourrit les inégalités. Certes, l’insertion réussie des pays émergents dans la division internationale du travail a permis à une part importante de leur population de sortir de la pauvreté, et il faut s’en réjouir. Les consommateurs du Nord y ont aussi durablement gagné en pouvoir d’achat. Mais en mettant une population active nombreuse et peu coûteuse sur le marché mondial du travail, les pays émergents pèsent aussi sur l’emploi et sur les salaires du Nord. Si les grandes entreprises, leurs dirigeants et leurs actionnaires engrangent les bénéfices de leur présence mondiale, l’inégale répartition des richesses que nourrit l’ouverture des échanges contribue fortement à cette remise en cause. La montée en puissance des pays émergents a en effet changé les rapports de force mondiaux. Certains d’entre eux seraient les premiers à bénéficier d’une ouverture commerciale accrue, notamment en matière agricole. D’où le peu d’empressement des pays riches à conclure les négociations commerciales du cycle de Doha. De même, la montée des fonds d’investissement souverains nourrit la crainte de voir des entreprises stratégiques passer sous contrôle étranger. D’où le début de protectionnisme financier des mêmes pays riches. Et les arrivées massives de fonds en quête de rendements rapides dans les Bourses du Sud ont remis au goût du jour les vertus du contrôle des capitaux. Avant même la crise actuelle, on a fini par comprendre que la mondialisation portait en elle l’instabilité. Même les études du Fonds monétaire international (FMI) montrent que l’ouverture commerciale accroît la volatilité de la croissance. Quant à la crise des subprime, elle a confirmé à l’extrême combien la dérégulation financière généralisée et l’ouverture non maîtrisée aux mouvements de capitaux internationaux entretenaient une finance complexe et opaque, prompte aux dérapages. Des catastrophes difficilement maîtrisables, aussi bien pour les acteurs privés que pour les autorités publiques, et coûteuses en termes de plans de sauvetage et d’emplois perdus. Enfin, faire voyager sur 12 000 kilomètres des asperges depuis le Mexique pour que les marchés d’Europe puissent en proposer en février, à côté de tomates et de fraises sans goût gorgées de pesticides, ne fait plus rêver les consommateurs. A l’heure où la survie de la planète est en jeu, la mondialisation à outrance n’est plus perçue comme un progrès. Sans prôner un repli sur soi, toujours dangereux pour la paix du monde, il est décidément plus que temps de passer à une mondialisation moins libérale. Au sommaire de ce deuxième chapitre :
  • Civiliser le capitalisme pour maîtriser la mondialisation. Entretien avec Robert Boyer, économiste, chercheur associé au Cepremap. Robert Boyer nous propose de réformer en profondeur la gouvernance des banques et leur fonctionnement, mais aussi de limiter le pouvoir que l’argent a pris au cours de ces dernières années sur la politique.
  • Instaurer une démocratie internationale. Entretien avec Dominique Plihon, économiste, professeur à l’université Paris XIII et président du conseil scientifique d’Attac. Afin d’instaurer une mondialisation plus solidaire, en rupture avec le capitalisme actuel, Dominique Plihon propose de taxer les transactions financières, de renforcer la régulation du système bancaire et financier, et de réformer les institutions internationales dans un sens plus démocratique.
  •  » Il faut socialiser la mondialisation « . Entretien avec Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances, ancien directeur de l’Agence française de développement. Jean-Michel Severino propose d’appliquer au niveau international les trois piliers de la social-démocratie moderne : régulation, redistribution et protection de l’environnement. Dans cette perspective, il milite pour un impôt mondial.
7 propositions :
  • Et si on arrêtait la course au libre-échange ? En dépit de la violence de la crise, l’économie mondiale n’a pas connu de poussée protectionniste…
  • Et si on fermait les paradis fiscaux ? Comme leur nom l’indique, les paradis fiscaux sont des lieux qui permettent d’éviter de payer des impôts. Et pas qu’un peu !
  • Et si on aidait le Sud à s’aider lui-même ? En dépit de ses échecs, de ses modes changeantes et de ses jeux d’influence diplomatique, l’aide aux pays du Sud reste utile.
  • Et si l’Europe tirait la mondialisation vers le haut ? Avec la mondialisation, il est de plus en plus difficile pour les pouvoirs publics de mettre des contraintes aux entreprises qui produisent sur leur sol si leurs concurrents n’ont pas à subir les mêmes obligations.
  • Et si on élargissait le Conseil de sécurité de l’ONU ? Le Conseil de sécurité compte quinze membres. Mais ils sont inégaux, car seuls les cinq membres permanents disposent d’un droit de veto. Comment l’ouvrir davantage et à qui ?
  • Et si on créait un impôt mondial ? Puisque les riches et les multinationales jouent des différents territoires pour échapper aux impôts, pourquoi ne pas créer un impôt mondial ?
  • Et si on réformait les instances économiques multilatérales ? L’OMC, le FMI ou encore la Banque mondiale sont en panne de leadership, de légitimité et d’idéologie. Comment sauver ces enceintes multilatérales qui seules permettent que la recherche de compromis prime sur les rapports de force bilatéraux ?
Ils changent déjà le monde…
  • Les propositions du Forum social mondial. Luttes contre l’accaparement de terres, contre l’ « extractivisme », pour des normes comptables transparentes et le désarmement nucléaire : tour d’horizon des idées qui ont émergé au Forum social mondial qui a eu lieu en début d’année à Dakar.
  • KPA, militants pour la réforme agraire en Indonésie. En Indonésie, les droits des paysans sont défendus par le KPA, une ONG qui mobilise une forte base populaire contre l’accaparement des terres agricoles par des entreprises productrices d’huile de palme.
  • L’équité au bout du champ. Depuis 2003, Ethiquable distribue en France des produits alimentaires du commerce équitable. Ses fondateurs s’engagent à garantir aux producteurs un revenu minimum, à les accompagner dans la durée et à reverser une partie des bénéfices pour leurs projets de développement.

3 – Et si on se mettait au vert ?

Présentation du ce chapitre par Antoine de Ravignan : Soyez réalistes, demandez l’impossible ! Les utopies dessinées au fil des pages qui suivent ont peu en commun avec ce bon vieux slogan soixante-huitard. Il est frappant de constater à quel point les voies qui permettraient d’assurer la nécessaire reconversion écologique de notre économie – et, entre autres, de diviser par deux les émissions mondiales de carbone d’ici à 2050 – sont au contraire praticables. Et déjà pratiquées, même si c’est beaucoup trop peu. Il y a vingt ans, quand les Etats s’étaient donné rendez-vous à Rio au chevet d’une planète déjà bien malade, ces utopies paraissaient impossibles. Aujourd’hui, non. Les trajectoires qui permettraient de contenir le réchauffement climatique dans des limites supportables pour l’humanité sont clairement identifiées. Grâce notamment aux formidables progrès de la technologie, elles sont compatibles avec le bien-être des uns et le mieux-être des autres. Leurs coûts, désormais assez bien estimés, sont certes importants, mais pas hors de portée : de l’ordre de 1 % du produit intérieur brut (PIB) mondial à investir chaque année, la moitié de ce que les Etats consacrent à leurs budgets militaires. Le drame, c’est que le meilleur des arguments qui aurait pu inciter à consentir cet investissement – la raréfaction des ressources énergétiques – vient de mourir. L’économie mondiale est en train de démontrer qu’elle est parfaitement capable de s’accommoder d’un baril de pétrole à 100 dollars. Le choc de 1973 avait été l’aiguillon de  » la chasse au gaspi « . Aujourd’hui, le niveau des cours pousse à puiser dans les gisements de pétrole et de gaz non conventionnels que l’humanité a appris depuis à exploiter. Or la ressource est immense et ne s’épuisera pas avant un siècle. Beaucoup trop tard pour anticiper le changement climatique. Quant aux études selon lesquelles les bénéfices futurs de la transition écologique, en termes d’emplois créés notamment, seront supérieurs aux investissements à consentir, elles sont bien hypothétiques et régulièrement réfutées par les partisans de la thèse inverse. Et quoi qu’il en soit, cette ligne de défense ne tient pas face à l’horizon des décideurs politiques borné par la prochaine échéance électorale. Seule certitude : si nous ne faisons rien aujourd’hui, le monde que nous laisserons à nos petits-enfants sera effroyable. Mais cet argument moral pèse encore moins lourd que les deux précédents. Qu’est-ce qui pourrait alors rendre l’utopie possible ? Peut-être le ras-le-bol de plus en plus exprimé face à des écarts de richesses devenus insupportables et qui entretiennent un modèle de consommation – vécu par les nantis, rêvé par les frustrés – qui nous condamne tous. Mais à condition que la renégociation du contrat social soit aussi l’occasion de négocier le contrat naturel. Au sommaire de ce troisième chapitre :
  •  » Avant qu’il ne soit trop tard « . Entretien avec Dominique Bourg, philosophe, professeur à l’Institut des politiques territoriales et de l’environnement humain (IPTEH) à Lausanne, spécialiste des questions liées à la science, à l’environnement et à la démocratie. Les leviers permettant d’assurer la nécessaire reconversion écologique de notre économie et d’impulser une croissance verte sont nombreux : investissement public, normes, fiscalité, économie de fonctionnalité… Une transformation qui pose, selon Dominique Bourg, des défis au système démocratique.
  • Une utopie portée par la démocratie. Entretien avec Pierre Radanne, expert en politiques énergétiques, ancien directeur général de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, actuel président de l’association Futur Facteur 4. Les avancées démocratiques sont la condition fondamentale de la réorientation écologique de notre économie. Pour Pierre Radanne, celle-ci sera marquée par l’essor des activités liées à la connaissance, qui seront une importante source de croissance.
9 propositions :
  • Et si on payait le carbone à son juste prix ? Pour Nicholas Stern,  » le changement climatique est la plus grande faillite du marché de toute l’histoire « . L’impact sur le climat de nos modes de production n’est en effet que très marginalement pris en compte dans le prix des biens et des services.
  • Et si on payait notre dette carbone au Sud ? Nous avons une dette morale à l’égard de pays dont les émissions de gaz à effet de serre demeurent inférieures aux nôtres.
  • Et si on arrêtait l’étalement urbain ? Evincés des centres urbains par l’envolée des prix du foncier, les ménages modestes vont chercher plus loin un endroit où habiter à des coûts acceptables.
  • Et si on municipalisait les sols pour maîtriser la ville ? Aux Pays-Bas, comme dans les pays scandinaves, les terrains construits ou constructibles appartiennent aux municipalités…
  • Et si on consommait autrement ? Rejet du superflu, remise en cause des inégalités…, la critique de la consommation et, à travers elle, l’aspiration à  » consommer autrement  » n’est pas nouvelle, mais elle connaît actuellement un regain avec les préoccupations environnementales.
  • Et si on luttait contre l’invasion publicitaire.  » Une vie sans publicité, c’est aussi absurde qu’un poisson sans bicyclette « , disait Pierre Desproges. L’omniprésence des différentes formes de publicité commerciale dans nos vies et dans nos villes suscite en effet de nombreuses critiques.
  • Et si nos sources d’énergie étaient renouvelables ? Aujourd’hui, les énergies renouvelables les plus médiatisées, tels le solaire et l’éolien, représentent encore une part infime du mix énergétique. Dans l’Europe à vingt-sept, ces deux filières représentaient 0,5 % de la consommation d’énergie primaire en 2007.
  • Et si on louait au lieu d’acheter ? Saviez-vous qu’en chevauchant votre Velib’ à Paris ou votre Vélo’V à Lyon, vous pratiquiez « l’économie de fonctionnalité » (« service economy » ou « functional service economy » en anglais) ?
  • Et si on recyclait systémiquement les déchets industriels ? Kalundborg, petit port danois de 22 000 habitants situé au bord d’un fjord, à l’ouest de Copenhague. C’est là qu’une expérience d’écologie industrielle a démarré dans les années 1960 et a depuis fait le tour du monde…
Ils changent déjà le monde…
  • Des paniers pour une autre agriculture. En plein essor, les Amap ne sont pas seulement un système de distribution de paniers alimentaires biologiques. Ce sont aussi des lieux d’engagement citoyen et de réflexion.
  • Tout l’art des éco-quartiers. Alors que les labels écologiques se multiplient dans le bâtiment, la réalisation d’éco-quartiers peut être l’occasion pour les professionnels du secteur de fabriquer la ville avec et pour ses habitants. Mais c’est un art difficile…

4- Et si on réinventait la démocratie ?

Présentation de ce chapitre par Thierry Pech : La démocratie est aujourd’hui perçue par une majorité de Français comme un fait acquis, qui se résume, pour l’essentiel, à des procédures électorales de désignation des gouvernants, des députés et des responsables locaux. Au fond, il n’y aurait là qu’un système de décision destiné à trancher les divergences sur l’exercice du pouvoir par la règle majoritaire. Chacun sent bien qu’une telle définition est à la fois trop courte et trop formelle pour rendre compte des enjeux. Car la démocratie est en même temps beaucoup plus que cela et il suffit d’énumérer ses autres visages pour mesurer combien elle demeure imparfaite. On se contentera ici d’en mentionner deux. Tout d’abord, la démocratie est aussi un exercice continu de délibération collective. Elle vit et respire dans les intervalles du suffrage. La légitimité acquise dans les urnes peut être ainsi questionnée chaque jour par la presse, l’opinion publique, les mouvements sociaux… Si elle demeure naturellement éminente, elle doit pourtant faire place à d’autres formes d’expression, qu’il s’agisse des syndicats, des experts, des juges ou encore des autorités de régulation. Ensuite, la démocratie est un régime de représentation et de reconnaissance. Dans l’idéal, les représentants élus doivent  » ressembler  » à la diversité des électeurs qui les ont mandatés, de manière à ce que les différentes parties qui composent le corps social – conditions, âges, sexes, minorités, territoires… – puissent se reconnaître en eux et avoir quelque raison de penser qu’ils seront les porte-parole fidèles de leurs intérêts ou de leur sensibilité. Sur ces deux fronts, la démocratie que nous connaissons reste très imparfaite et source de nombreuses frustrations. Que faire pour la rendre à la fois plus riche et plus conforme aux multiples promesses dont elle est porteuse ? Les réponses sont nombreuses : transformer nos institutions pour les rendre plus accueillantes à la diversité sociale, élargir le cercle et les modes de la participation, faire vivre la délibération à l’échelle locale, au plus près des citoyens, apprendre à faire dialoguer les différentes formes de légitimité. Mais surtout accepter l’idée que la démocratie reste une utopie en chantier guidée par les forces concurrentes d’une quête d’égalité et d’un impératif de liberté individuelle. Au sommaire de ce quatrième chapitre :
  •  » Le défi de s’améliorer sans cesse « . Entretien avec Guy Carcassonne, juriste, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense. La démocratie est par nature imparfaite, ce qui n’empêche pas de chercher à l’améliorer ! Pour Guy Carcassonne, cela passe par un système parlementaire moderne s’appuyant sur une réforme des modes de scrutin, de certaines institutions, etc.
  • Redonner du pouvoir aux citoyens. Entretien avec Yves Sintomer, professeur en sciences politiques à l’université Paris VIII, membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris et chercheur invité à l’Institut de sociologie de l’université de Neuchâtel (Suisse). Pour Yves Sintomer, il serait nécessaire de démocratiser en profondeur les institutions nationales, mais aussi de renforcer la lisibilité des institutions locales.
6 propositions :
  • Et si on supprimait le cumul des mandats ? Le cumul des mandats a la vie dure en France. On a pourtant de nombreuses raisons d’y renoncer…
  • Et si on appliquait la parité en politique ? L’idée de la parité en politique n’est pas nouvelle. Elle est même inscrite dans la loi sur la parité votée en juin 2000. Dix ans plus tard, on est loin du compte.
  • Et si les étrangers avaient enfin le droit de vote ? Cela fait trente ans qu’on en parle, mais les étrangers n’ont toujours pas le droit de vote en France.
  • Et si on tirait au sort les sénateurs ? Le Sénat actuel doit changer, car il mérite la plupart des critiques qui lui sont adressées. Une solution radicale, mais moins incongrue qu’il n’y paraît : tirer au sort les Sénateurs !
  • Et si on instaurait une démocratie sanitaire ? L’affaire du Médiator a rappelé l’importance de l’industrie pharmaceutique dans les procédures d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des nouveaux médicaments, tant au niveau national qu’européen.
  • Et si on s’occupait de l’avenir ? Dans nos démocraties, tout le monde peut être représenté, sauf ceux qui ne sont pas encore nés. Autrement dit, l’avenir n’a pas de porte-parole.
Ils changent déjà le monde…
  • Les budgets participatifs, de Porto Alegre à Poitiers. Parce qu’elle représentait une autre façon de faire de la politique, l’expérience de budget participatif de Porto Alegre, au Brésil, a longtemps été un des étendards du mouvement altermondialiste.
  • Donner la parole aux citoyens. Des procédures participatives de consultation, intégrant la formation des citoyens, permettent d’éclairer la décision publique. Et peuvent s’articuler avec d’autres outils démocratiques : référendum, consultation des associations…

5 – Et si on changeait la société ?

Présentation du chapitre par Laurent Jeanneau :Changer la société, c’est commencer par tirer un trait définitif sur le  » travailler plus pour gagner plus « . Pas pour gagner moins, ni même pour se la couler douce, mais tout simplement pour vivre mieux. C’est ce qui devrait être notre priorité, et non cette course en avant où les individus, en compétition les uns avec les autres, s’usent à la tâche dans l’espoir d’arrondir leurs fins de mois. Il s’agit de changer de boussole, de ne plus rester les yeux rivés sur l’évolution du sacro-saint produit intérieur brut (PIB) et de commencer à se préoccuper de notre bien-être collectif. En d’autres termes, il est temps de se poser collectivement la question de savoir ce qui compte vraiment. Pourquoi, en effet, les économistes seraient-ils les seuls habilités à définir ce qui fait la richesse d’une société ? Il est certes utile de savoir ce que produit un pays, mais c’est un peu court : le PIB ne nous dit rien de notre santé sociale, pas plus qu’il ne nous renseigne sur les atteintes à l’environnement ou sur l’explosion des inégalités. Avec autant d’angles morts, il va être difficile d’éviter la catastrophe. La critique du PIB n’est pas nouvelle. Il y a plus de vingt ans déjà, le Programme des Nations unies pour le développement proposait une alternative avec son indicateur de développement humain, le fameux IDH. Il s’agissait de ne plus être aveuglé par le niveau de production et d’échange et de s’intéresser à l’état de santé, à l’éducation et au pouvoir d’achat des gens. Bref, de miser sur l’humain. Aujourd’hui, l’IDH n’a pas détrôné le PIB, mais il a gagné en légitimité. Mesurer autrement la richesse est une chose, reste à traduire cette inflexion en termes de politiques publiques. Les enquêtes sociologiques montrent que le travail, la famille, les relations amoureuses et amicales, la communication et les liens avec les autres sont des valeurs très importantes. En revanche, une fois les besoins essentiels comblés, l’accumulation de biens matériels n’accroît pas significativement le sentiment de bien-être. Permettre à chacun de satisfaire ses besoins essentiels est donc la priorité. Cela passe par la garantie d’un revenu minimum décent, par la possibilité de se loger dignement et d’offrir à ses enfants un niveau d’éducation suffisant. Au-delà, une politique destinée à améliorer le bien-être général de la population devrait se fixer un certain nombre d’objectifs : prévenir les inégalités de revenus, de genres, de conditions ou encore des discriminations liées à l’origine plutôt que les corriger après coup ; promouvoir des emplois de qualité, qui ont du sens, procurent des revenus suffisants, s’exercent dans des conditions de travail qui n’altèrent pas la santé et permettent de concilier vie professionnelle et vie familiale ; améliorer le lien social, par exemple en valorisant et en encourageant l’engagement associatif ; ou encore faciliter la participation des citoyens à la vie publique et politique. Autant d’objectifs loin d’être hors de portée et qui participeraient à l’amélioration de notre bien-être individuel et collectif. Au sommaire de ce cinquième chapitre :
  • Renouer le lien social. Entretien avec Dominique Méda, philosophe et sociologue, chercheuse au Centre d’études de l’emploi, membre fondateur du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair). Afin de concilier urgence écologique et cohésion sociale, il est nécessaire, selon Dominique Méda, d’investir dans l’emploi et d’assurer l’épanouissement de tous dans le travail, jeunes et vieux, hommes et femmes, ouvriers et cadres.
  •  » Il est impératif de ralentir « . Entretien avec Patrick Viveret, philosophe, ancien conseiller à la Cour des comptes et membre fondateur du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair). Patrick Viveret prône une sobriété heureuse pour sortir de la démesure qui caractérise notre époque et mène à une crise économique, sociale, écologique, mais aussi politique.
13 propositions :
  • Et si on mesurait la richesse autrement ? L’argent ne fait pas le bonheur. Du moins au-delà d’un certain seuil. Même l’OCDE a fini par le reconnaître…
  • Et si on travaillait moins ? Les 35 heures sont mortes, vive les 32 heures ! Pourquoi, en effet, ne pas se réconcilier avec la réduction du temps de travail, aujourd’hui accusée de tous les maux ?
  • Et si on payait (mieux) les gens à ne rien faire ? Est-il normal que les minima sociaux ne permettent pas de vivre au-dessus du seuil de pauvreté ?
  • Et si on éradiquait l’habitat indigne ? Un toit, c’est un droit. Au moins en principe, et ce depuis le vote de la loi sur le droit au logement opposable début 2007. Pour le rendre effectif, il faudrait construire 500 000 logements par an dans un délai de cinq ans.
  • Et si on assurait une réelle égalité des chances à l’école ? En matière d’égalité, tout se joue dès les premières années : c’est entre 1 et 6 ans que les enfants développent leurs capacités d’apprentissage, comme l’a démontré Gøsta Esping-Andersen.
  • Et si on démocratisait vraiment l’enseignement supérieur ? L’ensemble du système scolaire est en France orienté vers la sélection d’une petite minorité d’élus très performants. Il pourrait (et devrait) s’organiser tout autrement.
  • Et si on supprimait les notes et le redoublement ? L’école française fonctionne sur la peur de l’échec. Ses élèves, à en croire les enquêtes internationales, sont caractérisés par une forte anxiété, une tendance à l’autodévalorisation et un faible goût pour l’école à partir du collège.
  • Et si on développait les prêts étudiants ? En 2007, les Etats-Unis ont consacré 2,9 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leur système de recherche et d’enseignement supérieur, contre seulement 1,3 % en France.
  • Et si on donnait aux jeunes les moyens de leur autonomie ? Pris en tenailles entre des études qui s’allongent et une insertion sur le marché du travail de plus en plus chaotique, nombre de jeunes ont du mal à joindre les deux bouts.
  • Et si on instaurait les soins gratuits et universels ? Face à l’augmentation du déficit de l’assurance maladie (plus de 11 milliards d’euros en 2010), une politique de diminution des dépenses de santé et de restriction d’accès aux soins pour les usagers apparaît a priori inéluctable.
  • Et si les hommes assumaient 50 % des tâches ménagères ? En France, les femmes continuent à effectuer chaque semaine en moyenne 18 heures de travail domestique et familial de plus que leur conjoint ! Et si on mettait fin à cette injustice et qu’on instaurait la parité des tâches ménagères ?
  • Et si on changeait la famille ? La famille s’est profondément transformée. La loi a certes évolué ces vingt dernières années, mais elle continue, malgré ces transformations, de s’appuyer sur la conception traditionnelle d’une famille organisée autour du couple parental père-mère.
  • Et si on instaurait un véritable droit du sol ? Il fut un temps où la France était un beau pays où s’appliquait le droit du sol : tout enfant né en France, quelle que soit la nationalité de ses parents, était automatiquement français.
Ils changent déjà le monde…
  • Des régies au service des quartiers. A la fois outils de gestion urbaine, acteurs de l’insertion par l’activité économique et lieux de participation des habitants, les régies de quartier sont des associations qui développent des services de proximité et des animations dans des quartiers populaires.
  • L’Apcis, une association de grande utilité publique. L’Association pour la promotion culturelle intercommunautaire de Stains, l’Apcis, a ouvert ses portes il y a plus de vingt ans en Seine-Saint-Denis.
  • Ils militent pour la régularisation des familles d’élèves sans papiers. Opposé à la politique sécuritaire du gouvernement en matière d’immigration, le Réseau éducation sans frontières soutient les familles menacées d’expulsion dont les enfants sont scolarisés en France.
  • Les alternatives à la prison. Les alternatives à la détention et l’aménagement de peine présentent de nombreux avantages, dont ceux de lutter efficacement contre la récidive et de ne pas surcharger des prisons déjà saturées.
  • Eloge de la lenteur. Lutter contre la dictature du court terme, relocaliser l’économie…, autant de principes que le mouvement Slow applique déjà à son échelle dans un esprit convivial.

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Alternatives Economiques Poche n°49 - Avril 2011 - 9,50 €
Alternatives Economiques Poche n°49 – Avril 2011 – 9,50 €
Références : Et si on changeait tout… Alternatives Economiques Poche n°49 – Avril 2011 – 9,50 €. Numéro disponible actuellement en kiosque. – Pour acheter ce numéro cliquez ici.

 

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David Naulin
David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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