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La revanche du rameur

Dominique Dupagne - éditions Michel Lafon

« Cela fait vingt ans que je tente de réparer, ou au moins d’aider, des êtres altérés par la maladie ou cabossés par la vie. C’est normal, je suis médecin, c’est mon métier. Mais depuis dix ans je suis aussi un agitateur du Web, un décodeur de la désinformation sanitaire et de l’emprise des intérêts privés sur la santé. Pendant longtemps, j’ai cru que notre société était désorganisée, que ses structures devaient être réformées, qu’il fallait d’autres hommes au pouvoir pour rétablir la justice et l’équité. Et puis un jour, j’ai eu l’impression de comprendre. C’était en accompagnant mes enfants au zoo et en observant longuement la fosse aux babouins. Le mâle dominant faisait le tour de la fosse en continu, le torse bombé ; ses seconds le suivaient, prenant des airs menaçants, fiers de leur position de sous-dominants. Les dominés et les jeunes se tenaient à l’écart. Les femelles, assises en groupe au centre de la fosse, s’épouillaient et protégeaient leurs progénitures. Il m’a semblé reconnaître le fonctionnement de certaines structures où j’avais côtoyé des Homo sapiens …

Avant-Propos de l’essai LA REVANCHE DU RAMEUR
Sortie en librairie le 16 février 2012 J’ai ressenti fortement que ce qui posait problème aux sociétés humaines n’était pas la nature des dirigeants, ni même la structure économique. C’était notre organisation elle-même, fondée sur des rapports de domination au sein de hiérarchies héritées de nos ancêtres. Plus tard, très tard, j’ai découvert qu’un autre médecin, un autre agitateur d’idées avait parfaitement identifié et analysé cet héritage encombrant, sans grand succès malgré la qualité exceptionnelle de sa réflexion. C’est un film d’Alain Resnais qui a fait connaître Henri Laborit au grand public il y a trente ans : Mon oncle d’Amérique. Il semble que les enseignements de ce grand scientifique aient été parfaitement oubliés. Une lecture des dysfonctionnements sociaux à la lumière des données de la biologie est source d’apaisement car elle permet de comprendre beaucoup de choses. Or, comprendre la maladie est une étape fondamentale pour guérir. En fait, nous nous appuyons sur une organisation hiérarchique, archaïque, inadaptée à l’homme moderne, à sa concentration urbaine, à la complexité de nos civilisations. Nous tentons des réformes superficielles, nous changeons nos dirigeants, mais nous reproduisons chaque fois la structure hiérarchique qui nous condamne à échouer. Les civilisations humaines, nées il y a seulement dix mille ans, naissent, prospèrent, déclinent, puis s’effondrent. Elles ne parviennent pas à atteindre un état stable. L’invention de la démocratie n’a pas permis de contrôler durablement le comportement des dominants humains dans leur quête insatiable de pouvoir. Aujourd’hui, impuissants face à ce désastre, nous paraissons résignés. L’humour disparaît de notre univers de travail. Notre espace de liberté se restreint sous la pression des directives, des normes et des procédures. Nous sommes devenus des zombies. Nous n’osons plus nous révolter contre une matrice sociale qui paraît invincible. Nous montons tous les matins dans l’autobus de la production en sachant qu’il fonce en klaxonnant vers un mur que nous espérons le plus lointain possible.
baboins
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Notre anesthésie face à l’aliénation est telle que seuls quelques indignés réagissent, sans trop savoir pourquoi ni comment. Ils s’indignent, c’est tout. Nous percevons le monde comme morne et injuste, mais après l’échec des alternatives au capitalisme, aucun rêve politique n’enflamme nos débats. Mon objectif avec cet essai est de décrypter le moteur de cette aliénation, de dépasser l’analyse superficielle qui ne sait proposer que des réformes pires que le mal. C’est aux causes profondes, liées à la nature humaine elle-même, qu’il convient de s’intéresser. Après une analyse critique de la machine qui détruit notre sérénité, notre joie de vivre et parfois nos vies, je vous proposerai donc une vision optimiste de notre futur. Il ne s’agit pas de se lamenter sur l’évolution du monde ni de regretter un passé idéalisé. Seul l’avenir a de l’intérêt. Mais il faut d’abord que je vous explique pourquoi c’est un médecin qui va vous raconter cette histoire. Si je suis docteur en médecine, je ne suis diplômé ni en sociologie, ni en anthropologie, et encore moins en sciences politiques ; mais je pratique une médecine globale que l’on appelle générale. Des milliers de personnes, de milieux et d’âges variés, se sont succédé dans mon cabinet pour y déposer leurs souffrances et me raconter leurs vies. Les sociologues appellent ces échanges des « entretiens qualitatifs ». Cette pratique m’a beaucoup appris sur la nature humaine, sa complexité et la richesse des interactions entre les humains. J’exerce intensément une autre activité passionnante et instructive : les échanges virtuels. Immergé dans le réseau Internet depuis 1995, j’ai créé en 1999 un site communautaire qui reçoit soixante-dix mille visiteurs par jour : www.atoute.org. Des millions de messages ont été postés sur ses forums dédiés à telle ou telle maladie ou à l’avenir de la médecine. Ce que j’y ai lu ou écrit, les rencontres que j’y ai faites et les conflits que j’ai dû y arbitrer ont fait de moi ce que l’on appelle désormais un Community Manager, version moderne et numérique du Moniteur de Colo. Atoute.org est devenu en dix ans une référence et un précieux observatoire du monde sanitaire et social. J’ai également échangé des milliers de courriels avec des confrères sur des listes de discussion. Ces échanges professionnels m’ont permis de tisser un riche réseau social. Sans ces multiples rencontres virtuelles et réelles, sans les critiques et les remises en causes permanentes de mes idées ou convictions sur les listes de discussion, je n’aurais jamais pu écrire ce livre : il m’aurait fallu un siècle et des facilités de transport illimitées pour obtenir autant d’échanges fructueux. Cette double culture de la nature humaine et de la vie communautaire sur Internet déborde largement le domaine de la santé. Ajoutez la biologie et la génétique intégrées à la formation médicale, quelques lectures et rencontres, et vous obtenez le parcours transdisciplinaire qui peut expliquer mon audace face à un sujet d’une telle ampleur.
Une recherche de l’Université de Montréal constate que les aveugles de naissance sont plus conscients des odeurs que les voyants. Des images du cerveau de l’aveugle ont été prises lors de simulations d’odeurs et les résultats surprennent. Recherche supervisée par Maurice Ptito de l’École d’optométrie.
Je vais bien sûr vous parler de médecine, mais pas en tant que sujet principal. J’y puiserai des exemples, des analyses ancrées dans ma réalité, et peut-être la vôtre, pour vous aider à comprendre comment notre société a pu arriver à un tel point de dysfonctionnement social. La médecine va mal, et rares sont ceux qui ne l’ont pas constaté pour eux-mêmes ou leurs proches. Les scandales récents constituent la partie émergée des errances de l’art de soigner et de la gouvernance sanitaire, mais nous devenons indifférents à ces scandales car nous les retrouvons dans tous les pans de notre société : éducation, travail, administration, commerce. Le malaise est structurel et général. C’est donc à partir de situations concrètes qui constituent mon quotidien que j’illustrerai notre voyage vers la compréhension des mécanismes du chaos social que vous ressentez peut-être comme moi. La médecine n’est pas seulement une sous-partie de la société qui gère notre santé. C’est aussi une voiture-balai, un dernier rempart contre la violence sociale, contre l’absurdité administrative. Quand une situation devient kafkaïenne, il est fréquent que l’on présente le certificat médical comme LE rempart ultime contre le bug social ou le vide juridique. Quand le salarié est harcelé au travail, c’est encore le médecin qui procède à son exfiltration. L’arrêt maladie n’est pas uniquement la réponse à une incapacité physique ou psychique, c’est aussi l’arme absolue contre le harcèlement professionnel ; il place le médecin dans une difficile position d’arbitre en lui conférant un énorme pouvoir qui peut parfois le déborder. Quand le médecin de terrain s’exprime sur la machine à broyer les êtres, il sait malheureusement de quoi il parle car il porte aussi une lourde casquette de travailleur social. Si la médecine participe à la désorganisation globale par certains de ses excès et constitue un terrain d’étude du chaos, elle représente aussi l’issue de secours face à l’aliénation sociale.
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Dans une première partie, nous essaierons de comprendre les origines du malaise social qui accompagne la crise financière. Nous verrons en quoi une lecture biologique prudente mais indispensable de nos comportements de primates grégaires peut nous aider à lire la partition de notre cacophonie sociale. Une deuxième partie explorera des outils qui permettent d’échapper dès maintenant au broyeur social hiérarchique. Nos gènes ne constituent pas une programmation figée et nous disposons de notre libre arbitre. Il existe donc forcément des solutions pour organiser socialement des groupes humains de la taille d’une nation. Malheureusement, ces solutions entrent en compétition avec les hiérarchies fondées sur la valeur et la domination qui prévalent depuis des millénaires. Après le choc de notre organisation démocratique toute récente, il nous reste encore beaucoup de travail pour contrôler efficacement les pulsions de dominance qui menacent les équilibres sociaux. Il est pourtant possible de résister et de progresser, que l’on soit seul ou au sein d’un groupe : l’homme, contrairement à l’animal, a acquis la capacité de réfléchir à son destin et de l’infléchir. Dans la troisième et dernière partie, je succomberai à l’inévitable tentation d’imaginer notre futur. En fait, il est déjà en marche au travers de quelques expériences d’organisations non hiérarchiques et grâce aux nouveaux outils de communication fournis par le réseau Internet et ses services. Le destin de l’homme, le primate le plus adaptable, est de trouver des solutions ou de disparaître. Pour l’instant, notre espèce maîtrise le monde connu et notre menace principale reste nous-mêmes. »

 

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