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Les investisseurs institutionnels ISR français, une analyse d'Alexis Carré

Qui sont les « zinzins » de l’Investissement Socialement Responsable ?

QUESTION : quel est le point commun entre Soeur Nicole Reille, le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR) et la Région Nord Pas-De-Calais ? Réponse : l’ Investissement Socialement Responsable ou ISR. L’ investissement socialement responsable consiste à intégrer aux critères financiers usuels de l’analyse fondamentale un filtre développement durable. C’est l’application du principe de développement durable à la gestion. La finance durable et éthique a le vent en poupe, entraînant dans son sillage les investisseurs institutionnels ou « zinzins ». Dans la lignée de la tendance observée en 2006, les investisseurs institutionnels français se sont montrés particulièrement dynamiques avec des encours ISR en hausse de +36% à 14.7 Mds d’euros à fin 2007. Mais qui sont exactement ces « green investisseurs » ?

Les investisseurs institutionnels ISR français sont constitués pour l’essentiel d’ assurances, de mutuelles, de caisses de retraite et de prévoyance, de fondations ou de congrégations religieuses. L’ approche ISR réponds à la double logique de diversification des risques et d’investissement à long terme chère aux institutionnels. L’ incorporation de critères extra-financiers de développement durable, souvent plus qualitatifs, permet une meilleure appréhension du couple rendement/risque, source de création de valeur à moyen/long terme. En choisissant des entreprises ou des états respectueux de valeurs éthiques, environnementales, sociales ou de gouvernance d’entreprise, les « zinzins » diminuent ainsi les risques juridiques, sanitaires et de réputation de leur placements. Outre une stratégie de gestion des risques, les motivations principales pour investir dans l’ISR sont la volonté du conseil d’administration et le souhait d’expérimenter un nouveau mode de gestion. A cela peut s’ajouter une logique de différenciation marketing des assurances, mutuelles et caisses de retraites visant à séduire de nouveaux clients, notamment particuliers. Débâcle financière, court-termisme, absence de morale, les particuliers sont en effet en quête de sens et l’ ISR peut leur apporter ce « supplément d’âme ». Certains particuliers y voient même une force de rappel pour les marchés financiers, en témoigne l’étude d’Opinionway réalisé pour le compte de Paris Europlace en Novembre 2008. En terme d’allocation d’actif, une enquête menée au printemps 2008 par Seeds Finance en partenariat avec Macif Gestion révèle une préférence des institutionnels français pour les actions, puis les obligations . Novethic dans son étude annuelle sur le marché de l’ISR français en 2007 souligne que leur zone d’investissement de prédilection est la zone Euro. Les institutionnels ISR investissent majoritairement via deux types de supports, des véhicules de gestion collective et dédiée. La gestion collective s’établit à fin 2007 à 5.8 Mds d’ euros, en progression de +16%. La gestion déléguée et interne connaissent un fort développement à respectivement 4.8 Mds d’euros (+59%) et 4.1 Mds d’euros (+48%). 2007 marque un changement dans leur mode d’investissement, puisque désormais leur présence sur le marché de l’ ISR s’effectue majoritairement via des supports de gestion dédiée (60%). La gestion dédiée ISR a en effet été marquée en 2007 par la percée des institutionnels français de la retraite, sous l’impulsion notamment de l’ Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP) et du Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR). Les chiffres de 2008 devraient confirmer cette tendance, avec l’appel d’offres 100% ISR de 150 millions d’euros en actions internationales et de 250 millions d’euros en obligations crédit réalisé par l’ ERAFP. Le fonds de pension a par ailleurs été salué pour son engagement et ses actions en matière ISR par Natixis AM et le cabinet de conseil Amadeis en recevant le  » Prix de l’ Investisseur Responsable 2008″. L’ établissement s’est notamment illustré par une gestion intégralement développement durable dès l’origine, avec une stratégie à 100% en placements ISR. Au global, les fonds de pension publics et de réserves représentent 61 % du marché de la gestion dédiée ISR, devant les compagnies d’assurances et mutuelles (30%) et les fondations et organisations religieuses. Ces derniers qui ont pendant longtemps constitué l’essentiel de la clientèle institutionnelle ISR en gestion dédiée, ont vu leur poids décliner au cours des dernières années. Historiquement, c’est en effet à une religieuse, Soeur Nicole Reille, que l’on doit le premier fonds éthique français. S’inquiétant au début des années 1980 de la retraite de ses coreligionnaires, Soeur Nicole Reille, expert comptable de formation, s’interroge sur les possibilités d’un placement long terme respectueux de principes moraux et sociaux. La réponse prend la forme du fonds commun de placements Nouvelle Stratégie 50, né en 1983 grâce à la société de gestion Meeschaert. À l’époque, une vingtaine de critères sont définis, parmi lesquels certains concernent les salariés, d’autres l’environnement. Sont exclues les activités nuisibles, comme l’alcool, le tabac, ou la pornographie. Les approches d’exclusion sont toujours fréquemment utilisées en gestion dédiée ISR par les institutionnels français. A fin 2007, elles concernent 76% des encours gérés. Alors que les fonds de pensions étrangers, notamment anglo-saxons et scandinaves, proposent des filtres d’exclusion comme unique démarche ISR, les institutionnels français se distinguent avec des approches intégrant quasi systématiquement des filtres sélectifs ESG. L’appoche ESG consiste à choisir les entreprises les meilleures de la classe ( » best in class » ) ou celles ayant le plus progressé (« best efforts ») en terme de critères environnementaux (E), sociaux (S) et de gouvernance d’entreprise (G). En vogue au Etats-Unis, en Angleterre et surtout en Suisse via la fondation Ethos, l’ approche activiste vise à faire pression sur les entreprises en faveur d’une responsabilité sociale et environnementale accrue par le dialogue direct et l’exercice des droits de votes. Si la culture du lobbying est parfaitement intégrée dans ses pays, l’activisme institutionnel fait encore cruellement défaut en France. C’est ce que confirme une étude réalisée par Novethic avec le soutien de BNP Paribas Investment Partners fin 2008. L’enquête a été effectuée auprès des dirigeants d’une trentaine d’institutionnels français ( mutuelles, caisses de retraites, assurances et fondations) et au Royaume-Uni d’un quart des cent plus grands fonds de pension. Il en ressort que 79% du panel britannique place la gouvernance d’entreprise au coeur de ses priorités alors que le panel français accorde davantage d’importance à la question sociale (48%). En matière de gouvernance d’entreprise, les moyens d’actions divergent. Les Français privilégient une approche déclarative avec l’envoi de questionnaires aux entreprises dont ils sont actionnaires. Plus revendicatifs,les Anglais n’hésitent pas à faire pression en utilisant leur droit de vote en assemblée afin de défendre leurs intérêts de minoritaires. Les institutionnels français évoquent le désintérêt de leurs propres bénéficiaires (à l’exception du monde paritaire) comme le principal obstacle à leur activisme . Au delà de ces prismes locaux, l’ étude souligne un fort sentiment de responsabilité puisque 70% des institutionnels interrogés se déclarent responsables des stratégies des entreprises dans lesquelles ils investissent. L’enquête pointe cependant une minoration des enjeux environnementaux. « L’éco-conception des produits n’est, par exemple, une priorité que pour 24% des Français et 16% des Anglais, alors qu’elle peut avoir une incidence directe sur la compétitivité des entreprises et ses coûts de fabrication ». Les raisons principalement invoquées sont le manque de connaissance des instituionnels sut l’articulations des questions écologiques avec les politiques des entreprises. Un institutionnel français sur deux a déjà intégré l’investissement socialement responsable dans son portefeuille d’actif. C’est ce qu’ indique un sondage mené par Seeds Finance et Macif Gestion, auprès d’ une centaine d’investisseurs institutionnels français. Toutefois l’ ISR représente moins de 5% des encours pour 7 institutionnels sur 10. Le potentiel de progression est substantiel. Parmi les freins au développement, l’étude souligne un « effet de mode marketing », une difficulté à sélectionner les bons gérants et une méconnaissance de cette approche d’investissement. On mesure ici l’effort de pédagogie et de clarification indispensable à la maturation de la gestion ISR. Une charte est en cours d’élaboration entre le comité de Paris Europlace et les associations professionnelles du secteur. Une réflexion est par ailleurs menée sur la création d’une plate-forme européenne qui permettrait aux entreprises d’harmoniser et de communiquer les différents indicateurs en matière de responsabilité sociale. Novethic a lancé une réflexion en interne visant à encadrer le marché de l’ISR. S’il se concrétise, ce projet déboucherait sur un « label » basé sur des critères de construction de portefeuilles et de communication financière. Soulignons en conclusion l’initiative de la Région Nord Pas-de-Calais, qui a lancé la première émission obligataire ISR début 2009 avec Dexia et Hsbc comme arrangeurs. Cette opération inédite a permis à la région de diversifier ses sources de financement, touchant des fonds spécialisés ISR, des assureurs, des mutuelles à la fois français et européens. Le thème ISR s’est révélé un facteur positif. « Il a permis de faire jouer l’effet rareté et de faciliter les discussions sur le prix, indique Jérôme Pellet, à l’origination secteur public chez Hsbc. Le thème ISR permet de toucher des poches de placements supplémentaires, de gros fonds spécialisés trouvant difficilement, actuellement, les papiers ISR où s’investir. ». Jouissant de notations financières (AA- Standard & Poor’s ) et extra-financières favorables (AA+ BMJ Rating), la Région Nord Pas-de-Calais a pu levé 50 M€ à des conditions tout à fait intéressantes. Via cet emprunt la région poursuit sous l’angle financier une constante de sa politique, axée sur le critère du développement durable. Les émissions ISR institutionnelles, nouvel eldorado pour la finance durable ? A.C.

 

Sources :

– BLANC, D., HOBEIKA, S., SICARD, J.P.(Mai 2008).ENQUETE ANNUELLE SUR LE MARCHE FRANÇAIS DE L’ISR EN 2007 : Gestion collective, dédiée et interne. Novethic.
– (Novembre 2008). L’ERAFP reçoit le  » Prix de l’ Investisseur Responsable 2008 « . L’AGEFI Quotidien.
– (2 Décembre 2008). Prix de l’Investisseur Responsable 2008. Publinet.
– AIT-KACIMI, N. (27 Novembre 2008). L’établissement de retraite additionnelle de la fonction publique sacré meilleur « investisseur responsable ». Les Echos.
– AIT-KACIMI, N. ( 27 Novembre 2008). Un institutionnel sur deux mise sur l’ISR. Les Echos.
– R. DOUMIC, I.(1 Avril 2008). Les modes de gestion de l’ISR évoluent en profondeur. Gestion Privée Magazine.
– (9 Décembre 2008). Novethic : Enquête exclusive France / Royaume Uni 70 % des investisseurs institutionnels se déclarent responsables des stratégies ESG des entreprises dont ils sont actionnaires.Business Wire .
– AIT-KACIMI, N. (5 Décembre 2008). L activisme des institutionnels français fait encore défaut. Les Echos.
– FUKS, J. ,D’AUVIGNY, C.H. (Novembre 2008). Les Français et les outils financiers responsables : notoriété, perception et intérêt. Opinionway.
– SCHAUB, C. (1 Octobre 2008). L’actionnaire activiste. Enjeux Les Echos.
– LANDROT, A. (25 Novembre 2008). Le développement durable s’impose dans la finance. L’AGEFI Quotidien.
– GARROUSTE, F. (15 Janvier 2009) Succès de la première émission obligataire socialement responsable. L’AGEFI Quotidien.

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