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Plus un poisson d’ici 30 ans ? Surpêche et désertification des océans

Si nous ne faisons rien, avant le milieu du siècle, nous aurons vidé les océans de tous leurs poissons. Ce n’est pas une incantation d’écolo mais le résultat d’une étude extrêmement sérieuse publiée dans la revue Science. D’ailleurs, 80 % des stocks sont actuellement en limite d’exploitation, en cours d’effondrement ou déjà disparus. Or, pour un tiers de l’humanité, la mer constitue l’unique source de protéines animales. C’est donc bien d’un enjeu de survie qu’il s’agit. Quels mécanismes ont permis cette situation ? Pourquoi les Etats ne jouent-ils pas leur rôle de régulateurs ? En quoi les subventions publiques encouragent-elles le pillage des ressources ? Pourquoi les fameux « quotas » sont-ils inefficaces ? Est-il normal qu’1 % seulement des bateaux soient à l’origine de 50 % des captures ? Pourquoi l’aquaculture, loin d’être la panacée, constitue-t-elle une impasse ravageuse pour l’environnement ? L’auteur, spécialiste de ces questions, brosse un panorama mondial de la surpêche, nourri de passionnants rappels historiques et d’exemples précis, telles la traque du hareng en mer du Nord ou les péripéties qui ont conduit à la disparition de la morue de Terre-Neuve. Il avance aussi des solutions pour redresser la barre et sauver la ressource autant que l’emploi, notamment par l’inscription de l’activité dans des schémas de développement régionaux et locaux, et non dans des logiques industrielles.

Extrait

Avant-propos par Stéphan Beaucher, ancien journaliste, consultant indépendant en matière de gestion et de politique des pêches. Il a été responsable de la campagne « Océans » de Greenpeace France.
Plus un poisson d'ici 30 ans ? Surpêche et désertification des océans de Stéphan Beaucher - Editions : Les Petits Matins
Plus un poisson d’ici 30 ans ? Surpêche et désertification des océans de Stéphan Beaucher – Editions : Les Petits Matins
Enfant, dans les années 1970, il m’arrivait d’aller en vacances à Douarnenez. Le port était une véritable fourmilière, avec le va-et-vient incessant des sardiniers, les amas de caissettes en bois verni par le mucus des poissons. Partout régnait une odeur forte (nauséabonde, diront certains…), celle du poisson que l’on vidait, découpait et mettait en boîte. Le thon et la sardine étaient la fierté du pays bigouden, et deux conserveries trônaient fièrement au coeur des installations portuaires. À la fin de cette décennie, elles avaient fermé ; ma source de mèches de thon, ces filets de sang séché que j’utilisais pour pêcher dans le port, était tarie. De nos jours, Douarnenez n’est plus, dans la perception que j’en ai, qu’une friche industrielle, un no man’s land comme des dizaines d’autres qui émaillent le paysage français du Massif central à la Lorraine. Plus tard, les images du parlement de Bretagne en feu lors de la dispersion d’une manifestation de pêcheurs, de caisses de poissons jetées dans les bureaux d’une administration quelconque ou encore de rassemblements devant les portes de la Commission européenne (CE) à Bruxelles marqueraient un signe des temps. La pêche de Douarnenez avait disparu dans le silence et l’indifférence générale, celle des années 1980 investissait le pavé. Pêcheur récréatif depuis toujours, adepte du capturer/relâcher, je n’ai pas tué un poisson depuis près de trente ans car je considère que s’approprier le poisson n’est pas l’objectif de ce qui doit rester une activité ludique, un acte gratuit [[Je sais qu’en écrivant cela je vais choquer les défenseurs de la cause animale, mais qui n’a jamais pêché le bar au leurre de surface peut difficilement comprendre ce discours]].. Pour autant, je n’ai pu que constater sur les dix dernières années que quelque chose avait changé. Dans un premier temps, mes captures (et celles de mes centaines de milliers d’homologues) ont vu leur taille moyenne plonger en quelques années, puis elles ont diminué en nombre et en fréquence. Les bredouilles se sont multipliées, de même que les sorties où l’on ne prend que des juvéniles d’une vingtaine de centimètres. Où étaient donc partis les bars de 3 kg qui nous faisaient marcher des kilomètres sur les grèves par tous les temps ? Quel était donc ce secteur qui ne semblait inscrire son histoire que dans une dramaturgie faite de faillites et de révoltes ? En 2000, j’ai rejoint la bande de hussards à l’origine du Collectif Bar Européen, une association qui avait l’ambition de rassembler des acteurs de la société civile et des professionnels sur la préservation des espèces marines sauvages. Quelques années après, en tant que consultant, j’allais avoir l’occasion d’analyser ce secteur dans toutes ses spécificités qui sont autant de complexités, de comprendre les relations qu’il entretient avec le monde politique, et de toucher du doigt les détresses qu’il dissimule. Enfin, et c’est paradoxalement là que je pense avoir fait le plus pour la pêche, en tant que responsable de la campagne Océans de Greenpeace France, je me suis évertué à dénoncer les pêcheries qui tuaient la pêche, à encourager celles qui pouvaient la sortir de l’agonie et à expliquer pourquoi le poisson devait échapper à la mondialisation des marchés, pourquoi la pêche ne devait pas – et ne pouvait pas – disparaître du paysage. La destruction d’un bien commun En 1968, Garrett Hardin publie dans la revue Science un article qui fera date : « The tragedy of the commons », « la tragédie des biens communs [[Garrett Hardin, « The tragedy of the commons », Science, vol. 162, n° 3859 (13 décembre 1968), p. 1243-1248.]] ». Il y explique comment différents acteurs économiques profitant d’un bien commun peuvent le consommer jusqu’à destruction complète. Il illustre son intuition par l’exemple d’une prairie partagée entre plusieurs troupeaux. Lorsqu’un éleveur utilise un pré, chaque vache supplémentaire qu’il y met à paître lui apporte un bénéfice, mais également un coût, la disparition d’une partie de l’herbe. Lorsqu’un nombre important d’éleveurs font paître leurs troupeaux sur cette prairie, chaque bête supplémentaire apporte un bénéfice à son propriétaire, mais le coût est partagé par l’ensemble des éleveurs, et l’intérêt de chaque fermier est de lâcher dans la prairie commune un maximum de vaches, jusqu’à ce que l’ensemble des éleveurs aient consommé toute la prairie, détruisant ainsi collectivement leur bien commun et leur revenu. L’échec des négociations sur la protection du thon rouge à la réunion de la Cites [[Commission on International Trade of Endangered Species. Commission Internationale chargée de fixer les règles du commerce international des espèces en danger]] à Doha en mars 2010 constitue malheureusement la pitoyable illustration du drame des biens communs : aucun pêcheur ni aucun pays n’ayant d’intérêt à réduire unilatéralement sa propre part du gâteau, les acteurs, collectivement, ne savent ou ne peuvent que se livrer à la surexploitation et la destruction du bien commun. Quarante ans plus tard, à nouveau dans la revue Science, une équipe de chercheurs reconnue pour la robustesse de ses travaux [[Boris Worm et al. : « Impacts of biodiversity loss on ocean ecosystem services », Science, vol. 314, n° 5800, (3 novembre 2006) p. 787-790.]] publie une étude mettant en perspective l’état des stocks mondiaux et la pression de pêche avec les outils dont dispose le secteur. La conclusion de ce travail est que, si nous ne réformons pas en profondeur l’activité de pêche, nous aurons des océans vides en 2048, c’est-à-dire demain matin. La publication de cette étude allait, certes, faire des vagues, mais on ne sortait pas des discours attendus : celui des pêcheurs (les scientifiques travaillent en laboratoire et ce n’est pas avec des ordinateurs que l’on évalue un stock), celui des ONG (on vous l’avait bien dit) et la langue de bois des politiques Pinocchio (ce travail est une maquette intéressante qui doit nous guider dans nos décisions). Mais personne ne mit ce résultat et cette échéance de 2048 en perspective avec une autre donnée, bien tangible celle-là : pour un tiers de l’humanité, la mer constitue l’unique source de protéines animales. Or, sans protéines, pas de vie… La « prophétie » de ces chercheurs, si elle venait à se concrétiser, ferait basculer mécaniquement plus de deux milliards d’hommes de l’insécurité alimentaire dans l’extrême précarité. Le débat ne se situe donc plus du tout dans le registre de la protection animale ; il s’agit d’un enjeu de survie qui vient s’ajouter à ceux auxquels va se trouver confrontée l’espèce humaine dans les prochaines décennies (désertification, disparition de territoires imputable aux changements climatiques, etc.). Sécurité alimentaire Le combat pour la préservation des espèces marines sauvages n’est pas un combat pour la protection des poissons. C’est d’abord et avant tout un combat pour la survie de l’homme, le plus mal élevé des occupants de la planète Terre. En termes de droit, le contenu des océans est ce que les Romains appelaient un res omnis, un bien commun qui appartient à tous (c’est-à-dire à vous comme à moi), en opposition au res nullis, un bien commun qui n’appartient à personne et qui donc court le risque de tomber dans l’escarcelle d’une caste quelconque. Or, c’est malheureusement ce qui s’est passé : le secteur de la pêche s’est approprié les stocks de poisson. Les États ont trop longtemps laissé filer ce secteur en refusant d’y jouer leur rôle de régulateurs. Il est plus que temps qu’ils prennent enfin en charge cette responsabilité qui est la leur en procédant au rééquilibrage des politiques publiques vis-à-vis de la petite pêche. Il est évident que cette dernière doit être traitée de façon équitable en matière de financements publics. Parallèlement, le fait que la grande pêche bénéficie de trop d’argent public ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce livre est né de cette ambition à la fois démesurée et dérisoire : que personne ne puisse dire : « Je ne savais pas. » Contrairement à ce que semblent penser avec résignation la plupart de nos décideurs, la pêche ne peut pas mourir, car une partie considérable de l’humanité en est totalement dépendante, non en termes d’emplois et de revenus, mais en termes de sécurité alimentaire. Ces dernières décennies, les captures sont devenues des abstractions, des montants dans les balances des paiements des États pêcheurs, et le poisson est devenu une marchandise banalisée sur un marché mondial. C’est cette substitution qui risque d’accélérer le glissement d’un tiers de l’humanité vers l’extrême pauvreté et la misère. Garder les bras croisés devant cette perspective, c’est se rendre complice d’un crime contre l’humanité qui ne dit pas son nom, et personne ne souhaite être l’acteur indirect de cela.

Références de l’ouvrage

Plus un poisson d’ici 30 ans ? Surpêche et désertification des océans de Stéphan Beaucher – Editions : Les Petits Matins – Date de parution : 5 mai 2011 – 352 pages – Isbn 978-2-915879-92-6 – 18 €

 

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1 COMMENTAIRE

  1. Plus un poisson d’ici 30 ans ? Surpêche et désertification des océans
    30 ans ? T’es gentil toi. Réactualisation : Si on arrête pas la pêche TOUT DE SUITE et ce pendant au moins 2 années complètes, j’annonce: dans 5 ans, plus assez de poissons dans l’océan pour assurer le renouvellement. Dans 8 ans, plus de poissons tout court. Place aux meduses, bacteries et autres fonds vaseux.