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Vers un label « investissement socialement irresponsable » ?

Les investisseurs aiment parler de leur politique d’investissement socialement responsable, ou ISR, particulièrement valorisante auprès du grand public et des médias. Il s’agit de la prise en compte, dans tout investissement, d’autres critères que ceux financiers. Ainsi, des critères dits « extra-financiers » viennent s’ajouter aux critères traditionnels. Ce sont des critères éthiques, sociaux, environnementaux ou de gouvernance qui viennent peser dans la décision d’investissement (appelés également critères ESG). Pour autant, l’ISR ne doit pas cacher une autre réalité, bien présente elle aussi dans le paysage économique français, celle de « l’investissement socialement irresponsable ».

Du développement durable appliqué à la finance Partant du principe que de bonnes pratiques sociales, environnementales et de gouvernance pouvaient avoir un impact positif sur les résultats financiers d’une entreprise et sur sa valeur boursière, l’ISR a pris son essor dès les années 80, d’abord aux Etats-Unis, puis en Europe. Aujourd’hui les placements ISR sont plutôt bien identifiés, grâce à des critères objectifs et aux agences de notation. Le site Novethic, par exemple, présente les 305 fonds ISR distribués en France au 30 septembre 2010. Et ces fonds ISR jouissent d’un certain succès d’estime : « les encours ISR détenus par la clientèle française à fin 2009 passent un cap et s’établissent à 50,7 milliards d’euros, avec un taux de croissance de +70% bien supérieur à celui de 2008 (+37%)» nous apprend une étude publiée par Novethic en mai 2010. A noter quand même que le poids de ces encours dépasse rarement les 10% des encours totaux des sociétés de gestion. Ainsi, si les Français sont globalement plus vigilants et sensibles aux critères ESG, de nombreux fonds d’investissement restent très en retrait de la responsabilité sociale dans leurs investissements. Pas encore assez rentable, peut-être ? Investissement productif contre investissement spéculatif Peut-on, inversement, qualifier les fonds de capital-investissement (private equity funds) et les fonds spéculatifs (hedge funds) de socialement irresponsables ? Il est vrai que ces fonds appartiennent à une sphère du marché financier qui n’est soumise qu’à peu de règles de transparence et de divulgation d’informations contrairement aux règles qui s’appliquent aux banques ou aux fonds de placement. D’autre part, ils jouent aujourd’hui un rôle très important sur les marchés financiers, leurs actifs s’élevant à environ 1000 milliards de dollars à la fin 2010. Compte tenu des volumes échangés, ils peuvent donc générer une véritable instabilité financière. Or les fonds de capital-investissement et les fonds spéculatifs sont souvent impliqués dans des opérations d’acquisitions par emprunt (ou LBO pour “leveraged buy-outs”) dont sont « victimes » chaque année de nombreuses entreprises françaises. Selon le déroulement classique d’une telle opération, une société est achetée avec de l’argent emprunté, se retrouve avec cette dette et le remboursement des intérêts sur les bras, les employés sont alors licenciés et les actifs revendus. Ainsi, une société autrefois saine et dégageant des bénéfices et recherchant initialement à financer un investissement productif de long terme, se retrouve contrainte par une pression financière de très court terme. Picard n’en est plus à son premier LBO Le spécialiste du surgelé Picard est le parfait exemple d’une société qui a changé plusieurs fois de propriétaires par le biais de LBO menées par des fonds d’investissement. En juillet 2010, Picard a encore changé de propriétaire, en passant pour la troisième fois en dix ans sous le contrôle d’un fonds d’investissement, cette fois-ci Lion Capital, alléché par l’expansion continue du distributeur français de surgelés. Ainsi, chaque acquisition successive a été financée en empruntant aux banques, la dette étant ensuite remboursée sur les ressources de l’entreprise acquise. Picard est ainsi condamné à réaliser toujours plus de profit à court terme et les salariés commencent à s’inquiéter de leurs conditions de travail, de plus en plus stressantes. Affaire Belvédère : tous les moyens sont bons Autre exemple récent d’une entreprise actuellement malmenée par les marchés financiers spéculatifs, est celui du groupe Belvédère (plus de 4000 emplois), qui possède notamment la marque Marie Brizard. Voilà trois ans que cette entreprise de Beaune se débat contre un fonds d’investissement spéculatif qui la menace… Récemment, le groupe Belvédère a envoyé une lettre ouverte aux pouvoirs publics dans laquelle il dénonce nommément l’activisme malsain d’un fonds spéculatif étranger, par ailleurs principal actionnaire d’un concurrent direct de Belvédère. Actuellement sous plan de sauvegarde, la société Belvédère est aculée par ce créancier obligataire qui considère que le plan n’est pas respecté. Le fonds d’investissement a donc saisi les juges du tribunal de commerce de Dijon qui devront se prononcer dans les semaines à venir. Une situation d’autant plus aberrante que le groupe Belvédère a récemment annoncé le règlement de la première échéance de la créance, en bonne et due forme. Mais ce que visent les « fonds prédateurs » à travers cette procédure, ce n’est pas tant le respect du calendrier que la prise en étau de Belvédère : s’ils parviennent à imposer auprès du tribunal de commerce leur stratégie judiciaire, l’entreprise risque d’être placée en redressement. Et ainsi être rachetée à bas prix. Un hebdomadaire dénonçait à ce titre les attaques répétées qu’a subi Belvédère depuis des années : manipulation du cours boursier à la baisse, harcèlement juridique, campagne de désinformation qui aboutira à une chute brutale de 36% du cours… Voici un bel exemple d’investissement spéculatif qui met en péril les 4000 salariés de Belvédère, sans que les autorités ne daignent y poser un regard attentif. Le système financier est donc ainsi fait, que n’importe quel spéculateur mal intentionné peut s’engouffrer dans les brèches de notre droit (finalement pas si protecteur !), confortablement installé dans un bureau des Iles Caïman. L’ISR peine à entrer dans les mœurs, et on ne peut qu’encourager une pratique qui contribue à replacer la finance dans une logique plus durable : celle de l’investissement productif, créateur d’emplois. Au même titre qu’il serait judicieux de songer à la création d’un label « ISI » (pour « investissement socialement irresponsable »).

 

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2 Commentaires

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