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Questions Cdurable à Héléna HADJUR, analyste chez Enerdata

Rapport du Haut Conseil pour le Climat 2024 : quelles solutions pour limiter la climatisation ?

Son analyse du rapport et des solutions à envisager pour limiter la climatisation

Le 6ème rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat (HCC) a notamment mis en garde sur l’insuffisance des mesures d’adaptation au dérèglement climatique et de son impact sur les plus fragiles. Héléna Hadjur, analyste Climat énergie chez Enerdata, bureau d’études spécialisé dans le secteur de l’énergie et de son impact sur le climat, s’est penché sur l’adaptation à la hausse des températures en France afin de dresser une analyse des scénarios de long terme en matière de consommation énergétique et de besoin en climatisation. Elle a accepté de répondre aux neufs questions essentielles pour Cdurable.

Arnaud Bouissou / Terra

Depuis la mise en place d’un Plan canicule en 2004, les vagues de chaleur continuent de provoquer une surmortalité dans l’ensemble de la population française, avec une surreprésentation des personnes les plus vulnérables (femmes, personnes âgées, enfants, et ménages modestes). En France, sur 33 000 décès annuels attribuables à la chaleur sur la période estivale1 entre 2014 et 2022, 23 000 décès concernaient des personnes âgées de 75 ans et plus. Les femmes ont également été plus impactées par les vagues de chaleur survenues en Europe avec 56 % de décès de plus que les hommes en lien avec la chaleur durant l’été 2022.

Dans son avis publié en juin 2024, l’Agence de la transition écologique (ADEME) souligne que même dans un scénario de respect des engagements climatiques français, 26% à 27% des bâtiments seraient exposés à un « risque très fort », c’est-à-dire situés sur un territoire exposé à des températures futures fortes et/ou dans un îlot de chaleur urbain. Sans régulation climatique, cette proportion pourrait atteindre 61% à 65%2. Ainsi, le recours à la climatisation ne sera pas un luxe mais une nécessité pour faire face aux vagues de canicules dans les prochaines années.

EnerFuture : Prévisions énergétiques mondiales exclusives à l’horizon 2050.

Cependant, sur la trajectoire actuelle et sans mesures alternatives, la consommation énergétique des climatiseurs en France augmenterait de 65% en 2030 et doublerait d’ici à 20503, nous éloignant largement d’une trajectoire compatible avec un réchauffement en dessous de 2°C. Le rapport du Haut Conseil pour le Climat a déjà mesuré une hausse de 25% des émissions de la climatisation dans le bâtiment entre 2016 et 2023.

Cumulated number of heat wave (HW) days calculated per year over the control period (1960–1989) and two future periods
(2020–2049 and 2070–2099) for the 9 regional climate model projections. The size of the circles corresponds to the mean intensity of
the heatwaves.
Early adaptation to heat waves and future reduction of air-conditioning energy use in Paris
Vincent Viguié et al 2020

Ainsi, même si l’usage des climatiseurs apparait comme nécessaire dans certains cas, leur utilisation n’est pas sans conséquence sur la hausse des émissions de gaz à effet de serre, responsable de l’élévation de la température. Trois enjeux surviennent face à l’explosion du nombre de climatiseurs. Le premier concerne la hausse de la consommation de l’électricité engendrée par l’utilisation de la climatisation. Or cette hausse de consommation n’est pas neutre en émissions carbones même en France où une partie de la production de l’électricité est carbonée, et pose en outre des questions sur l’approvisionnement et les infrastructures énergétiques.


Faut-il dire stop à la climatisation ?

Face aux vagues de chaleur à répétition, la climatisation est devenue un réflexe, mais les experts mettent en garde sur les risques d’une généralisation : réchauffement des villes, émissions de gaz à effet de serre … Ils plaident pour des politiques de rénovation afin de sortir des « bouilloires thermiques ». En 2022, 59% des Français déclaraient avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins vingt-quatre heures. Un dossier de La Croix du jeudi 8 août 2024.


Un deuxième enjeu est la hausse locale des températures extérieures. Le rejet de chaleur vers l’extérieur par les climatiseurs est supérieur à la quantité prélevée à l’intérieur des bâtiments. Cet excès de chaleur impacte surtout les villes, déjà pénalisées par l’effet d’îlot de chaleur. Une étude de modélisation relayée par l’ADEME4 montre que l’utilisation généralisée de la climatisation pourrait augmenter les températures extérieures de 2,4°C à Paris lors d’épisodes caniculaires et jusqu’à 3,6 °C lors d’épisodes caniculaires encore plus extrêmes. Cela appellerait de nouveau à plus de besoins de climatisation pour combattre l’îlot de chaleur renforcé, et ainsi de suite, créant un effet de cercle vicieux (boucle de rétroaction positive).

Enfin, le fonctionnement des climatiseurs peut entrainer des fuites frigorigènes dans l’environnement si la fin de vie des systèmes est mal gérée. Les fluides frigorigènes sont eux-mêmes des GES puissants : par exemple, le réfrigérant R32, l’un des réfrigérants les plus employés actuellement, présente un pouvoir de réchauffement climatique 675 fois supérieur au CO₂5.

Base 100% = quantité de fluides frigorigènes mise sur le marché sur la période 2009-2012 en équivalent CO2
Objectif : -79% en 2030 , soit une division par 5

Pour limiter le recours à la climatisation et atténuer la hausse de la consommation d’énergie induite par celle-ci, le scénario EnerGreen d’Enerdata aligné avec une hausse des températures bien au-dessous de 2°C, s’appuie sur trois grands leviers (voir ci-dessous) :

  1. De la sobriété dans l’usage de la climatisation et des aménagements simples des bâtiments et des espaces (volets, stores, orientation des bâtiments, ventilation traversante, coursive, végétalisation, désimperméabilisation des sols, aération nocturne) afin d’améliorer le confort thermique. Cela contribue à la réduction de 47% de la consommation énergétique observée dans le scénario EnerGreen en 2030. Les collectivités territoriales jouent un rôle clé dans la mise en œuvre et l’accompagnement pour l’installation de ces infrastructures, sans quoi l’évolution des comportements est difficilement possible.
  2. La rénovation de l’enveloppe thermique des bâtiments (39% de la réduction de la consommation à 2030) au vu de l’inadaptation des bâtiments actuels aux vagues de chaleur et afin d’améliorer la performance énergétique des bâtiments (isolation des toitures, des façades, double vitrages).
  3. L’amélioration de l’efficacité énergétique des climatiseurs (14% de la réduction de la consommation à 2030) et l’utilisation de solutions actives plus performantes ou peu énergivores au-delà des climatiseurs (brasseurs d’air, puits climatiques, géothermie de surface).

En conclusion, en dépit des solutions passives alliant sobriété, aménagement et rénovation des bâtiments, le besoin de rafraîchir les bâtiments avec des équipements de production de froid devient progressivement inévitable ces prochaines années. Ce besoin en climatisation présente des enjeux en termes de consommation d’électricité, d’émissions de GES et de réchauffement local amplifiant notamment l’effet d’îlot de chaleur urbain créant un effet de cercle vicieux. D’autres équipements plus adaptés peuvent être déployés, tels que préconisés par l’ADEME : les pompes à chaleur en particulier géothermiques, et les réseaux de froid qui permettront de faire face à des vagues de chaleurs de plus en plus fréquentes en France. L’enjeu de la hausse des émissions liée à l’utilisation de la climatisation est également un enjeu mondial : le nombre total de climatiseurs a augmenté de 7% entre 2019 et 20236.

La Chine représentait en 2023 la plus forte demande mondiale (38%), suivie de l’Asie (excluant le Japon et la Chine), l’Amérique du Nord et l’Europe. 

Rapport 2024 du Haut Conseil pour le Climat

Anomalie de température en moyenne annuelle observée en France métropolitaine

Questions Cdurable ou c’est pas durable !?

Au delà des communiqués, qui ne présentent souvent que le « meilleur », et du développement durable, qui ne fait que tenter de réduire les impacts négatifs de sa croissance volumique, nous nous intéressons aujourd’hui, 20 ans après la création de Cdurable.info, aux questions essentielles. Alors Cdurable ou pas ? 9 questions qui nous invitent à Comprendre pourquoi Agir & Coopérer avec le vivant, Cdurable !

Héléna Hadjur

Héléna Hadjur, analyste Climat énergie chez Enerdata, a accepté de répondre aux neufs questions Cdurable, essentielles comme les neufs besoins fondamentaux des êtres vivants dont les humains que nous sommes …

1 – Quelle est la nature de ma relation avec le vivant ?

Je cherche au quotidien à créer des moments où je me retrouve au contact de la nature pour recharger mes batteries. J’ai la chance de m’être installée dans une ville où je peux facilement accéder à pied ou à vélo aux espaces naturels : montagnes, forêts, parois rocheuses, rivières. Après ma journée de travail, je vais plusieurs fois par semaine prendre le temps de passer des moments dans la nature. Au gré des saisons et de leurs changements, je ne me lasse pas de l’environnement alpin !

2 – Quels sont mes besoins et choix d’alimentation ?

Une alimentation variée, à dominante végétarienne, des produits non transformés et du bio principalement pour les fruits et légumes. Celle-ci n’est pas parfaite, j’aimerais consommer davantage de produits locaux et de petits producteurs !

3 – Quel est mon type d’habitat actuel et idéal ?

Mon habitat actuel : un appartement dans un immeuble collectif (pas une passoire énergétique mais pas parfaitement isolé pour autant) proche de toutes commodités, d’un petit parc et de mon travail pour me déplacer 100% à pied et à vélo.

Mon habitat idéal : une maison partagée et passive avec un petit potager en ville, ou proche de la ville pour continuer à me déplacer en modes doux !

4 – Quelle activité physique favorise mon bien-être et ma santé 

Des activités de plein air : le ski de randonnée et ski de fond l’hiver, du vélo de route, randonnées et roller l’été !

5 – Quels savoirs m’ont permis de comprendre comment agir ?

Des savoirs de terrain recueillis lors de mon expérience de trois ans en tant que Jeune Déléguée pour le Climat. Celle-ci m’a permis de participer aux COP25 à Madrid, COP26 à Glasgow et aux intersessions climatiques aux côté de la délégation interministérielle française. En étant plongée au sein des discussions théoriques et politiques et en rencontrant des négociateurs, et des associations venant du monde entier, j’ai davantage pris conscience des jeux politiques et de la difficulté à réunir les intérêts divergents de chaque acteur pour faire avancer (doucement) les engagements climatiques mondiaux. Ce n’est pas à cette échelle de discussion internationale que j’ai souhaité continuer à travailler, je me suis dirigée vers une plus petite structure pour davantage de concret, et une plus grande liberté d’action et d’expression.

Des savoirs pratiques et plus théoriques grâce à un master en politiques environnementales à Sciences Po Paris, riche d’une majorité d’étudiants internationaux et de professeurs-chercheurs ou issus du monde professionnel.

6 – Quel est le sens que je donne à mon travail ?

Via mon travail, je souhaite à mon échelle accompagner la transition de nos systèmes énergétiques et socio-économiques. En 2023, j’ai rejoint Enerdata, un bureau d’études indépendant et de conseil situé à Grenoble spécialisé dans l’analyse et la prévision des enjeux énergétiques et climatiques dans le monde à travers différents secteurs économiques. Au quotidien, je participe notamment à la rédaction d’études pour les acteurs publics (Commission européenne, gouvernements, collectivités, agences de l’énergie) ou privés, contribuant à porter l’information et montrer des voies de transitions possibles aux décideurs.

7 – Quelle énergie j’utilise pour mes usages et besoins ?

Au quotidien, l’énergie sociale, musicale, l’énergie de la nature, et le sommeil !

A la maison et au bureau, les solutions d’énergie passive pour modérer ma consommation : isolation et vêtements chauds l’hiver, volets et ventilateur l’été.
Pour mes déplacements du quotidien : l’énergie de mes jambes, à vélo et à pied.

8 – Quelle est mon implication personnelle pour l’intérêt général ?

Ça me paraitrait prétentieux de penser que mes actions contribuent à vraiment faire changer les choses pour l’intérêt général mais j’essaie à titre individuel de rester cohérente avec mon envie de faire évoluer le système énergétique, social et culturel, tout en restant consciente des limitations et du peu de pouvoir d’action dont nous disposons à titre personnel. D’où l’intérêt de s’engager à plusieurs : via l’associatif dans un premier temps, et aujourd’hui à travers le travail dans la transition énergétique que j’ai choisi.

9 – Quels sont mes liens de coopération et ma participation au bien commun ? 

La musique fait partie intégrante de mes occupations et de ma personnalité. Via les morceaux que je compose et les concerts, je me nourris des moments de plaisir partagés avec les auditeurs, mais j’essaie aussi de partager des messages qui me touchent en lien avec mon implication pour la cause environnementale. Mon 1er EP, « Terrien » auto-produit est sorti en 2019 et un second est en préparation évoquant des questions en lien avec les négociations climat, le plaisir à se retrouver en milieu alpin, ou des questionnements sur le rapport au corps et autrui.

HELENA HADJUR – Auteur, compositeur et interprète

10 – Carte blanche : quel est le message essentiel que vous souhaitez faire passer à nos visiteurs ?

Se faire plaisir tout en restant conscient et cohérent avec nos aspirations personnelles et la situation environnementale du monde actuel. Nos actions au quotidien, notre travail, nos voyages, déplacement et nos modes de consommations participent tous à faire évoluer la société, même si chacun reste libre de positionner son curseur à un degré différent et dans ses causes de prédilection. La question de l’équilibre entre motivations, besoins et limites de l’immédiat en comparaison avec besoins à moyens terme et long terme, reste essentielle pour rester acteurs de nos vies, tout en continuant à se faire du bien.  


  1. Entre le 1er juin et le 15 septembre ↩︎
  2. ADEME, juin 2024, Microsoft Word – AVIS CONFORT ETE _ Mis en page (ademe.fr) ↩︎
  3. Enerdata d’après EnerFuture, 2024 ↩︎
  4. Vincent Viguié et al 2020 : Early adaptation to heat waves and future reduction of air-conditioning energy use in Paris – IOPscience ↩︎
  5. Source :  ATEE Présentation (atee.fr) ↩︎
  6. JRAIA, Estimates of World Air Conditioner Demand (2024) ↩︎

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Cyrille Souche
Cyrille Souchehttp://cdurable.info
Directeur de la Publication Cdurable.info depuis 2005. Cdurable.info a eu 18 ans en 2023 ... L'occasion d'un nouveau départ vers un webmedia coopératif d'intérêt collectif pour recenser et partager les solutions utiles et durables pour agir et coopérer avec le vivant ...

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