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Sciences Humaines - Hors-Série n° 49 - juillet 2005

« L’environnement est une construction sociale »

Extrait de l'entretien avec Jean-Guy Vaillancourt
Depuis vos premières études sur le mouvement vert jusqu’à vos réflexions sur le développement durable en passant par vos travaux sur les pluies acides, les déchets ou les changements climatiques, vous avez côtoyé de nombreux chercheurs d’horizons différents. Quel est l’apport des sciences humaines et sociales à l’étude des questions environnementales ? L’environnement fait l’objet d’une approche humaine et sociale surtout à partir des années 20, avec le développement de l’écologie humaine qui ne se limite plus, comme en écologie, à l’étude des rapports des êtres vivants à leur milieu naturel, mais l’étend au milieu bâti. A l’université de Chicago, les sociologues Robert Park, Roderick MacKenzie et Ernest Burgess ont ainsi analysé la façon dont les individus occupaient des territoires urbanisés, notamment les relations de voisinage et la ségrégation spatiale des minorités. Cette écologie humaine faisait néanmoins peser un certain déterminisme du milieu urbain sur les problèmes sociaux (c’est un peu comme si les murs des taudis à Chicago sécrétaient la délinquance…). Cela a favorisé l’émergence, dans les années 30, d’une écologie sociale insistant à l’inverse sur l’influence des phénomènes sociaux sur l’environnement. D’autre part, des chercheurs en sciences naturelles se sont vite aperçus que les problèmes environnementaux ne pouvaient pas être traités sans tenir compte de leurs aspects sociaux, politiques et économiques. C’est le cas du botaniste québécois Pierre Dansereau qui a élargi la perspective étroite de l’écologie végétale et animale à la géologie, à la géographie, à l’anthropologie, mais aussi à la sociologie, à l’économie et à la science politique. La biogéographie, telle que ce pionnier de l’écologie l’a conçue en 1957 dans Biogeography: An ecological perspective, étudie toutes les formes de vie, y compris humaine, ainsi que les relations entre l’environnement physico-chimique et l’habitat. Sa perspective a contribué à montrer comment les déplacements, les guerres, les pratiques agricoles, l’industrialisation et l’urbanisation affectent l’occupation du sol. Peut-on identifier une science sociale qui aurait joué un rôle déterminant dans l’émergence de la problématique environnementale ? La sociologie a tenu un rôle majeur mais, à part quelques exceptions notables comme la sociologie urbaine de l’école de Chicago, la dimension spatiale des phénomènes sociaux a longtemps été occultée. L’explication souvent avancée de cette mise à l’écart est que la discipline s’est créée en indépendance vis-à-vis de la psychologie et de la biologie. Le social devait alors s’expliquer seulement par le social. Il a fallu que la sociologie soit bien établie pour qu’elle revienne sur l’étude des rapports entre les sociétés et leur environnement biophysique abordée par ses précurseurs. Aussi, ce sont plutôt les disciplines dont l’objet est l’espace, comme la géographie humaine, l’urbanisme, l’aménagement, qui ont été les pionnières. Les géographes sont éminemment bien équipés pour traiter de l’écologie parce que, contrairement aux sciences sociales proprement dites, ils traitent des dimensions à la fois humaine et physique. D’ailleurs, les frontières entre l’écologie humaine et la géographie humaine ne sont pas très claires. Le rôle de l’économie ne peut pas non plus être négligé ; Thomas Malthus mettait déjà en relation l’accroissement démographique et l’accroissement de la production. Il faut cependant attendre l’économie politique et sociale pour voir l’environnement considéré autrement que comme un paramètre externe. Comment le traitement des questions environnementales évolue-t-il ensuite ? Les sciences sociales et humaines, après une longue éclipse, redécouvrent ce domaine d’étude au tournant des années 70, au moment d’une prise de conscience aiguë de problèmes de divers ordres : la pollution de l’air, de l’eau, du sol, les centrales nucléaires, l’utilisation massive des pesticides et des fertilisants chimiques, la crise de l’énergie, l’épuisement des ressources, la surconsommation, etc.Des événements comme le jour de la Terre de 1970, la conférence de Stockholm de 1972 et les travaux du Club de Rome ont poussé les chercheurs à se pencher sur ces questions. Cette décennie nous a amenés à considérer que les problèmes environnementaux étaient en grande partie construits socialement et inaugure en économie un renouvellement théorique de notions telles que la croissance ou le développement. C’est à cette époque que la sociologie et la psychologie environnementales voient le jour aux Etats-Unis.Alors, la sociologie a permis de dégager les différentes facettes du mouvement social vert et ses relations avec les instances politiques, économiques et scientifiques. Les sociologues s’attachent à rendre compte aussi bien des pratiques à l’égard de l’environnement et de la perception des risques que des positions épistémologiques et scientifiques qui sous-tendent les politiques environnementales. Par exemple, il s’est avéré essentiel de comprendre les résistances à la collecte et à l’élimination des déchets pour en améliorer la gestion et le traitement. Un autre exemple est la complexité des négociations qui ont abouti au protocole de Kyôto, que j’ai tenté de démêler avec Steven Guilbeault en mettant en évidence le rôle d’expertise scientifique que les organisations non gouvernementales sont amenées à tenir. Le fait que les aspects organisationnels soient très présents dans le domaine de l’environnement met beaucoup à contribution la science politique, attentive aux processus décisionnels. Les problèmes environnementaux se posant aussi en termes de normes, le droit et l’éthique ont énormément de choses à dire. L’idée n’est pas seulement de comprendre le monde, mais aussi de le transformer.Les notions de principe de précaution ou de développement durable sont très prescriptives et nécessitent une réflexion philosophique.Quant à la psychologie de l’environnement, elle s’intéresse aux interactions entre les individus et l’aménagement d’espaces comme une chambre, un centre commercial, un métro, une rue, un quartier, etc. Des psychologues américains, Harold Prohansky entre autres, ont notamment étudié le phénomène du crowding, soit le sentiment d’entassement dans des espaces limités. En France, Abraham Moles a eu une grande influence avec sa Psychologie de l’espace (avec Elisabeth Rohmer, 1972). Les psychologues dressent des cartes mentales de l’espace qui permettent d’analyser les représentations que des habitants se font de leur ville et qui renseignent sur la lisibilité des lieux et la pertinence de leur configuration. La psychologie sociale est également mobilisée dans la réalisation de sondages sur l’acceptabilité environnementale. La thématique de l’environnement semble appeler d’emblée une approche pluridisciplinaire… Sans doute y a-t-il moins de chasses gardées. Quand on est chimiste ou biologiste, on a sa façon d’aborder les problèmes qui ne menace pas le sociologue. Ils ne diront pas la même chose et leurs discours vont même se compléter. Surtout, la réalité n’est pas uniquement matérielle, physique, biologique, elle est aussi humaine, donc sociale et politique.Pour maintenir une rivière en bon état, il faut bien sûr en connaître la biochimie, mais il est aussi fondamental d’examiner l’ensemble des facteurs qui y contribuent ou l’entravent. Lorsque nous avons étudié les pluies acides , leurs multiples aspects juridique, politique, technologique, économique, géographique, sociologique, normatif et éthique ont été considérés. Il a fallu répertorier les sources des précipitations acides en Amérique du Nord, dégager les implications des techniques de dépollution possibles et étudier la gestion économique de la désulfuration ainsi que ses ressorts politiques. De plus, il a été indispensable d’analyser les actions et les positions des groupes en présence. La globalisation des problèmes a-t-elle accentué l’implication des sciences humaines et sociales ? Leur contribution s’est indéniablement intensifiée vers la fin des années 80 avec la prise en compte de problèmes environnementaux globaux tels que l’amincissement de la couche d’ozone, le réchauffement climatique et la perte de biodiversité. Cette prise en compte a également rendu nécessaires les collaborations entre spécialistes des sciences naturelles et des sciences sociales. Les changements climatiques sont des phénomènes qui ne peuvent être mis en évidence que grâce à des connaissances scientifiques, mais dont il convient simultanément d’examiner l’élaboration, les récupérations, les implications, etc. Ce type de problèmes a renforcé l’interdisciplinarité et l’internationalisation des perspectives, qui dépassent maintenant largement les Etats-Unis et l’Europe. Dans la lignée du concept d’écodéveloppement forgé par Ignacy Sachs, j’ai appelé écosociologie ce nouvel intérêt pour les changements globaux, terme qui a vocation à aborder les dimensions à la fois écologique, économique et sociologique des problèmes environnementaux. Propos recueillis par Sandy Torres Interview parue dans le Hors-série n° 49 de Sciences Humaines : Sauver la planéte. Les enjeux sociaux de l’environnement – juillet 2005

 

Sauver la planète ou sauver un mode de vie ? Quelles politiques adopter face aux bouleversements environnementaux ? Analyser les enjeux tout en traçant des perspectives, tel est l’apport des sciences humaines et sociales.

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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