L’addition risque d’être salée ! Le bleu de notre planète peut s’avérer trompeur… Oui, l’eau est là presque partout sur Terre, mais seule une petite fraction est douce. Présente dans les océans, mers, glaciers ou nappes souterraines, l’eau est en effet à plus de 97% salée. Et sur ces 3% d’eau douce, seule une part infime nous est accessible. Face à la multiplicité des usages de cette ressource vitale et aux besoins accrus dans le contexte du réchauffement global, les initiatives pour tenter d’accroître sa disponibilité se multiplient. Il y a la réutilisation des eaux usées traitées, longtemps discrète en France, mais qui suscite depuis l’été 2022 un intérêt grandissant. Une autre piste concerne le dessalement. Une solution qui peut sembler évidente compte tenu de l’immensité des réserves d’eau salée. Corinne Cabassud (INSA Toulouse) nous explique en détail comment on dessale l’eau et revient sur le coût énergétique, très lourd, de ce processus.
Utilisées depuis une cinquantaine d’années dans des régions exposées au stress hydrique, ces technologies de dessalement de l’eau sont implantées dans différents pays européens, comme l’Italie ou l’Espagne qui héberge la plus grande usine d’Europe de dessalement de l’eau de mer. Celle-ci peut fournir en eau potable presque un tiers des habitants de l’agglomération barcelonaise. Réutiliser les eaux usées, dessaler l’eau… et l’économiser ! Que ce soit dans les jardins privatifs où fleurissent les piscines ou dans les exploitations minières pour fournir les matériaux de la transition énergétique, la question de la sobriété reste centrale.Le dessalement des eaux, quand l’utiliser et à quel prix ?
Corinne Cabassud, INSA ToulouseLa tentation est grande de dessaler l’eau de mer pour disposer d’une eau douce utilisable pour les activités humaines, et notamment pour la boire. En effet, les eaux salines sont abondantes et accessibles : elles couvrent 75 % de la planète, représentent plus de 97 % du volume des eaux sur Terre, et 11 % de la population mondiale habite à moins de 10 kilomètres d’une eau saline.
Les technologies de dessalement sont disponibles et utilisées depuis une cinquantaine d’années dans des régions souffrant d’un stress hydrique. Elles peuvent parfois être indispensables car la seule solution pour un accès à l’eau potable des populations, mais parfois leur usage est plus discutable.
Aujourd’hui, dans un contexte à la fois de stress hydrique et de transition énergétique et environnementale, on peut s’interroger sur la place à donner au dessalement. Quand des eaux douces souterraines ou de surface sont disponibles, ce qui est encore largement le cas en France, il est préférable énergétiquement, économiquement et environnementalement de les utiliser pour potabiliser l’eau. Par contre, quand la seule ressource en eau disponible est une eau de mer, le dessalement permet un accès à l’eau potable pour tous.
Comment sépare-t-on les sels de l’eau ?
On dessale principalement des eaux de mer ou des eaux souterraines proches des côtes influencées par les eaux de mer et dites eaux saumâtres. Une eau de mer contient surtout des sels (et majoritairement NaCl, le sel de table), à une concentration qui peut varier selon la mer ou l’océan et le lieu de prélèvement et qu’on considère en moyenne à 35 grammes de sels par litre d’eau de mer. Elle contient aussi des fines particules, des matières organiques, des algues et microorganismes. Parmi les particules, on observe la présence croissante de micro et nanoparticules de plastiques due à l’activité humaine.
Pour transformer une eau de mer ou saumâtre en eau douce, il faut séparer les sels et les molécules d’eau. Quand un mètre cube d’eau de mer est dessalé on récupère environ 500 litres d’eau dessalée, et 500 litres d’un concentrat ou saumure enrichi en sels. Avant cette séparation, qui constitue l’opération de dessalement à proprement parler, il faut prétraiter l’eau de mer pour la débarrasser d’une grande partie des particules, matières organiques, algues et microorganismes, pour assurer la productivité de la séparation sel/eau.
Au global, une installation de dessalement comporte un pompage de l’eau saline pour approvisionner l’usine de dessalement, des prétraitements, une opération de dessalement, et une dispersion des saumures en mer, en utilisant des techniques appropriées pour ne pas perturber le milieu naturel. Si l’eau dessalée est destinée à la consommation humaine, une opération de reminéralisation est nécessaire.
Aujourd’hui on dispose de deux technologies principales pour dessaler l’eau de mer ou saumâtre :
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l’osmose inverse, qui est basée sur une séparation physique des sels et de l’eau grâce à une membrane qui laisse passer les molécules d’eau mais retient les sels. Pour faire passer l’eau au travers de la membrane, il faut des pompes pour appliquer une pression forte (50 à 70 bars ; la pression doit être plus importante quand la concentration en sels augmente en fonction du lieu de prélèvement) ;
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la distillation, qui est basée sur un changement d’état de l’eau, que l’on vaporise en lui apportant de la chaleur. La vapeur d’eau ne contient pas de sels et est condensée sur des parois froides, ce qui permet de récupérer l’eau.
Où dessale-t-on de l’eau de mer aujourd’hui ?
Techniquement on est donc capable de dessaler des eaux et le dessalement se développe. En 2020, près de 100 millions de mètres cubes (soit 100 milliards de litres) d’eau dessalée sont produits chaque jour dans le monde et le dessalement est en plein développement, avec un taux de croissance annuel moyen de 7,5 % depuis 2010.
Les plus grands utilisateurs sont des pays riches souffrant d’une pénurie d’eau douce et disposant de gaz ou pétrole pour faire marcher les installations, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les USA dessalent depuis très longtemps des eaux souterraines côtières salées ou colorées.
En Europe, le pays le plus utilisateur du dessalement est l’Espagne, qui manque d’eau douce sur ses côtes méditerranéennes et compte un millier d’installations de dessalement (publiques ou privées). La ville de Barcelone est équipée d’une installation de dessalement des eaux de mer, qui peut délivrer 200000 mètres cubes d’eau potable chaque jour. Depuis la sécheresse de 2022, elle est poussée à sa capacité maximale pour alimenter, selon ses exploitants, jusqu’à 33 % des habitants de Barcelone et de la métropole. Deux ans auparavant, 3 % seulement des eaux distribuées étaient produites par dessalement. Cette installation a été construite en 2009 après des périodes de sécheresse, qui avaient conduit la ville à s’approvisionner en eau par des containers en provenance de Marseille et à rationner les quantités d’eau distribuées.
Le dessalement est énergivore et a de forts impacts environnementaux
Le dessalement contribue aux émissions de gaz à effets de serre, notamment par son utilisation d’énergie. Au total dans le monde, on estime que le dessalement par osmose inverse utilise 100 TWh d’énergie électrique et émettait 76 millions de tonnes de CO₂ en 2014, avec une prévision de 400 millions de Tonnes de CO₂ estimées pour 2050.
La seule opération de séparation sel/eau, que ce soit par osmose inverse ou par distillation, nécessite une énergie théorique minimale de l’ordre de 1 kWh par mètre cube d’eau produite. À cela, il faut ajouter sur chaque site les énergies nécessaires pour l’approvisionnement en eau, la distribution de l’eau traitée et la diffusion des saumures qui dépendent de l’emplacement de l’installation, et l’énergie nécessaire pour prétraiter et reminéraliser l’eau, qui dépendent de la qualité de l’eau de mer.
En pratique, pour le dessalement, on dépasse encore largement la valeur théorique minimale. L’osmose inverse consomme actuellement 2 kWh à elle seule pour produire un mètre cube d’eau dessalée à partir d’eau de mer, et pour une installation complète de dessalement le coût énergétique total peut représenter jusqu’à 4 kWh par mètre cube. Néanmoins, l’osmose inverse consomme moins d’énergie que la distillation, c’est la raison pour laquelle elle se développe plus (notamment dans les pays non producteurs de gaz et de pétrole) et est actuellement la technologie de dessalement la plus utilisée dans le monde actuellement.
Il est encourageant de noter que dans les années 1970, le coût énergétique de l’osmose inverse était de 20 kWh par mètre cube et que la recherche et le développement de nouvelles membranes, et surtout d’équipements de récupération de l’énergie de pression, ont permis de réduire d’un facteur 10 les coûts énergétiques du dessalement par osmose inverse.
Des efforts de recherche et d’innovation sont en cours dans de nombreuses équipes de recherche internationales pour tenter de s’approcher mieux du minimum, par exemple en développant de nouvelles membranes ou en améliorant le procédé d’osmose inverse ou les prétraitements.
À noter, l’utilisation d’énergie électrique d’origine renouvelable (éolien, solaire ou force marée-motrice) pour dessaler l’eau de mer par osmose inverse a fait l’objet de travaux de recherches dans de nombreux laboratoires de par le monde. Toulouse Biotechnology Institute Toulouse Biotechnology Institute s’intéresse à l’utilisation d’énergie solaire pour le dessalement par osmose inverse et par distillation. De petites installations de dessalement autonomes sont commercialisées par des entreprises françaises, mais moins d’1 % des eaux dessalées dans le monde en 2018 étaient produites en utilisant des énergies renouvelables.
Quels usages pour le dessalement face à ces coûts énergétiques et environnementaux ?
Une eau obtenue par dessalement est donc une eau chère et à fort impact environnemental : elle doit être produite après réflexion et utilisée avec parcimonie. Il faudrait donc réserver son usage à des besoins vitaux, comme l’eau potable des populations qui n’y ont pas accès.
À titre de comparaison, il est beaucoup moins énergivore et donc plus soutenable de produire une eau potable à partir d’une eau souterraine ou de surface. Là encore, la consommation énergétique dépend de la ressource : pour une eau souterraine très claire, 0,02 kWh par cube d’eau est nécessaire ; contre 0,75 kWh par cube d’eau pour une eau de surface polluée par des micropolluants (sans compter le transport d’eau vers l’usine et de distribution) — en d’autres termes, le coût énergétique est 2,5 à 100 fois moindre que pour un dessalement par osmose inverse (selon les sites).
Il faut se tourner vers le dessalement seulement quand d’autres alternatives moins énergivores ne sont pas envisageables.
Les effets du changement climatique sur la disponibilité de l’eau douce
Dans le futur, la montée du niveau des océans liée au changement climatique va amplifier les effets des marées en augmentant l’intrusion d’eau de mer dans les rivières à partir des estuaires. Cette intrusion et le mouvement ascendant et descendant des marées vont modifier la qualité des eaux de rivière, qui sera très variable dans le temps, d’autant que les eaux seront salines à marée haute.
Ainsi, la question du dessalement des eaux de rivières va se poser. C’est déjà le cas dans des pays déjà très affectés par le changement climatique, comme le Vietnam, pour lequel les eaux de surface du Fleuve rouge ou du Mékong sont trop salées jusqu’à 100 kilomètres de l’estuaire.
Les scientifiques ont une expertise sur le traitement des eaux de rivière ou des eaux salines, mais pas des eaux de rivière salines influencées par les marées, dont la composition et la concentration en sels et autres composants varient au cours du temps. Il est donc important pour notre équipe à Toulouse Biotechnology Institute de poursuivre des travaux de recherches sur ces sujets.
Quelle que soit la nature de l’eau utilisée pour produire de l’eau douce et potable, celle-ci doit être considérée avec beaucoup d’attention et de sobriété et la nature de ses usages repensée, au prisme des connaissances scientifiques, et des enjeux climatiques, économiques et sociétaux en associant les usagers de l’eau et les collectivités.
Corinne Cabassud, Professeure des Universités en Génie des Procédés et Environnement, INSA Toulouse
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