Députés, amendements, commission… Afin de comprendre le débat parlementaire sur la proposition de loi contre l’exploitation des hydrocarbures de schiste, OWNI vous livre un décryptage de la situation et des textes.
Déposée le 31 mars 2011 par le président du groupe UMP, la proposition de loi visant à abroger les permis de recherche et d’exploitation des hydrocarbures de schiste sera débattue mardi 10 et mercredi 11 mai. Depuis le début des travaux parlementaires, le texte a été fracturé comme un puits de gaz de Pennsylvanie… pour, au final, une législation des hydrocarbures non conventionnels sans grand rapport avec l’intention de départ. Passage en commission… et à la moulinette ! D’un coup de serpe, les députés de la commission développement durable ont d’abord rayé le terme « non conventionnel » du texte. Une décision qui va plutôt dans le sens des opposants puisqu’elle élargit à tous les hydrocarbures (et non seulement à ceux extraits des couches de schiste) l’interdiction d’utiliser la méthode de fracturation hydraulique, vorace en eau et cause d’énormes dégâts environnementaux et sanitaires aux Etats-Unis. En revanche, dès le deuxième article, le texte se ramollit : plus d’abrogation pure et simple des permis, alors que c’était l’esprit même de la loi ! Au lieu de ça, les rapporteurs demandent aux entreprises détentrices des fameux permis un rapport détaillant les techniques qu’elles utiliseront. En clair, une promesse qu’elles n’utiliseront, jamais au grand jamais, la fracturation hydraulique. Seule véritable garantie exigée par la commission : les entreprises devront fournir le document sous deux mois, délai au delà duquel elles se feront retirer d’office leur permis. Pour la suite, les rapporteurs sortent la dynamite : l’article 3 prévoyant l’obligation d’une enquête publique est tout simplement supprimé ! Là, c’est la promesse de le ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet qui vole en éclat. Elle qui, après une prise de conscience tardive du risque écologique des hydrocarbures de schiste, promettait à tous les citoyens inquiets concertations et expertises publiques. L’argument pour faire sauter l’article 3 a été présenté en commission par le rapporteur socialiste Jean-Paul Chanteguet : « Nous souhaitons enfin supprimer l’article 3, modifiant le code de l’environnement, qui soumettait les procédures d’attribution des concessions de mines et des permis exclusifs de recherches à débat public, enquête publique et étude d’impact. C’est en effet une réforme globale et complète du code minier qu’il faut engager ». Ce qui nous ferait donc deux réformes du code minier en quelques années puisque, comme le relève lui-même le député, la dernière refonte de ce texte date de… janvier 2011 ! Pour mémoire, l’ancien code datait de 1956. Mais, ajoute-t-il : « Il conviendrait d’attendre la remise du rapport de la mission conjointe du CGIET et du CGEDD et de celui de la mission d’information conduite par François-Michel Gonnot et Philippe Martin. Toutefois, nous attendons du Gouvernement qu’il s’engage à inscrire, à l’ordre du jour de Parlement, dans un délai raisonnable, un projet ou une proposition de loi modernisant le code minier ». Curieux discours : la réforme faite par le gouvernement ne va pas assez loin… mais il faut attendre qu’il s’y remette ! Le texte ne doit pas mentionner les gaz et huiles de schiste… mais hors de question de réformer le code minier sans avoir le rapport sur les hydrocarbures non conventionnels ! L’argument financier: satisfait ou remboursé ? Elément important à prendre en compte : en cas d’abrogation des permis, l’Etat aurait à rembourser les frais engagés par les exploitants pour leurs recherches. Pour les petits permis, comme le permis de Nant, l’engagement financier de Schuepbach Energy ne s’élève qu’à 1,7 millions… mais pour les plus gros projets, comme les permis de Montélimar ou Villeneuve de Berg, l’addition dépasse largement les 35 millions d’euros. A titre d’exemple, si l’Etat devait solder l’intégralité des dépenses engagées aux trois permis de gaz de schiste accordés en mars 2010 dans le Sud, la facture s’élèverait à près de 80 millions d’euros. Un calcul indicatif, tous les frais n’ayant pas déjà été engagés, mais qui donne une idée des arbitrages économiques sous-jacents aux décisions politiques sur ce dossier. Les amendements : dépouiller le texte… ou l’étendre aux autres risques Comme nous l’avions révélé vendredi 6 mai au moment de la clôture du dépôt d’amendement, c’est moins dans le texte lui-même que dans les modifications proposées par les élus que se nichent les réécritures permettant de vider ou de renforcer cette loi. Sur les 32 textes enregistrés avant le « gong » de 17 heures, OWNI s’en était déjà procuré neuf, paraphés par Claude Gatignol, député UMP de La Hague, qui se réjouissait dans le mail envoyé à quelques parlementaires UMP appelés à l’aide, de la suppression de l’article 3, si contraignant pour les exploitants d’hydrocarbures. Mais il n’est pas le seul à se soucier de la liberté d’action des pétroliers et gaziers. Quatre grandes tendances se détachent : 1. Les socialistes sont pour la plupart favorable à une réaffirmation de l’esprit de la proposition de loi au départ : abrogation des permis et conformité à la Charte de l’environnement. Des idées accompagnées d’une extension de l’interdiction aux exploitations off shore, notamment portée par Christiane Taubira, député de Guyane. 2. Une poignée de député UMP (menée par Claude Gatignol) pousse au démantèlement de la loi par une réduction de son champs d’application et, surtout, une limitation de la durée de suspension des permis et le retrait des garanties exigées par la commission sur les techniques de forage utilisées. Parmi eux, Gérard Gaudron (UMP, Seine-Saint-Denis) a déposé trois textes en propre, appuyant notamment le recours à ces techniques sur les avancées technologiques et l’expertise scientifique. Introduite par certains socialistes et les écologistes, la question des plates-formes off shore (qui concerne notamment la Guyane) sera abordé à l’occasion du vote des amendements. 3. Les écologistes (élus Europe écologie, Les Verts ainsi que la député Parti de gauche, Martine Billard) tentent quant à eux d’utiliser ce texte à des fins extensives: interdiction de l’exploitation off-shore sur le territoire nationale ou par des entreprises françaises, modification du code minier dans le sens d’une plus grande concertation démocratique, etc. Une tentative de « doper » le texte qui pourrait constituer une des faiblesses de leurs propositions, certaines portant sur le dernier code minier, modifié par ordonnance, pas encore validé par parlementaires… 4. Enfin les « anti-gaz de schiste canal historique », Pierre Morel-à-l’Huissier et Pascal Terrasse, respectivement député UMP de Lozère et élu PS en Ardèche, répercutent dans leurs amendements les échos parvenus du terrain, exigeant notamment une plus grande transparence démocratique et un meilleur accès aux documents administratifs donnant lieu à l’octroi de permis. Reste à savoir si ces idées d’ouverture trouveront échos chez leurs collègues… La partie risque donc d’être serrée: pour la journée du 10 mai, l’Assemblée nationale joue la bataille droite-gauche à guichets fermés ! A la fermeture des bureaux du Palais Bourbon, les bulletins de présences pour cette séance avaient tous été pris, « comme au bon vieux temps de la Hadopi », s’amuse un collaborateur parlementaire. Reste à savoir si le scrutin réservera autant de surprise. Si vous souhaitez avoir les amendements détaillés, rendez-vous sur OWNISchiste