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Fort d'une collaboration avec le gouvernement sur les stratégies...
MAI - JUIN 2013 / N°394

Revue Futuribles : l’anticipation au service de l’action

Réforme de la protection sociale en France : rendre possible ce qui est nécessaire

Une « feuille de route », préparatoire à une nouvelle réforme des retraites, a été retenue par le gouvernement français à l’issue de la conférence sociale de juillet 2012. Après une première phase de diagnostic, qui s’est achevée en janvier 2013 avec la publication des 11e et 12e rapports du COR (Conseil d’orientation des retraites), doivent maintenant venir une phase 2, conduite par un comité d’experts chargé de dessiner des pistes, puis une phase 3 qui devrait être celle des négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux, en vue d’une réforme annoncée par le gouvernement d’ici fin 2013. Malheureusement, comme le souligne ici Jean-Claude Angoulvant, il n’est pas garanti que cela permette de répondre aux difficultés du pays en matière de financement des retraites. (…) Voici 30 ans que la protection sociale française est déficitaire ; il y va donc de la pertinence des modes d’organisation du système global de protection sociale, en crise ouverte permanente, et de ses principales composantes que sont la retraite et la santé. Le système « va dans le mur, financièrement et structurellement » …

Changer d’ère

Editorial Par Hugues de JOUVENEL Tous les gouvernements, notamment en France, affichent leur volonté de juguler le chômage et de relancer la croissance économique. Force est toutefois de constater leur échec et de se demander s’ils ne s’épuisent pas vainement à colmater les brèches d’un modèle de développement dépassé, inéluctablement condamné à disparaître. Pour prétendre explorer les futurs possibles, identifier les enjeux à moyen et à long terme, définir une politique de nature à rendre possible le souhaitable, il faut commencer par essayer de se représenter le plus fidèlement possible la situation actuelle. Or il me semble que celle-ci fait l’objet aujourd’hui de deux interprétations radicalement différentes. Les uns semblent manifestement considérer que la crise que nous traversons, certes particulièrement grave, demeure de nature conjoncturelle. Fondant de grands espoirs dans le retour d’un environnement international plus favorable, ils s’imaginent — semble-t-il — que l’adoption plus ou moins heureuse de quelques mesures paramétriques permettra de retrouver tôt ou tard le chemin d’une croissance économique plus vive, d’inverser la courbe du chômage, bref de revenir au modèle qui connut son apogée lors des Trente Glorieuses. Je crains fort (c’est la seconde interprétation) que ceux-ci se trompent d’époque, qu’ils n’aient pas compris la vraie nature de la crise, inévitablement durable, et commettent deux erreurs majeures. La première concerne le diagnostic : cette crise en effet n’est pas, à mes yeux, de nature conjoncturelle, mais résulte du fait que nous sommes à la croisée de deux chemins, dans une phase de transition entre un modèle de société qui n’en finit pas de mourir et un autre qui peine à émerger. La deuxième erreur est en conséquence évidente : elle consiste à se cramponner à un schéma dépassé, les mesures adoptées s’avérant non seulement inefficaces, mais aussi contreproductives, puisqu’elles retardent l’effort d’adaptation et d’innovation que nous devrions faire. Je ne m’étendrai pas longuement sur le bouleversement de la scène géopolitique et géoéconomique mondiale, dont l’épicentre manifestement se déplace de l’Atlantique vers le Pacifique. Je ne développerai pas davantage un des autres éléments qui me semblent majeurs : le fait que l’économie, a fortiori la finance, mais aussi les entreprises s’organisent désormais selon une logique de réseau à l’échelle mondiale, très largement déconnectée du cadre géographique étroit dans lequel opèrent les États (dont la souveraineté est du même coup sérieusement entamée). J’insisterai davantage sur le fait que notre modèle de référence, celui d’une économie sociale de marché heureusement régulée par l’État et, le cas échéant, par les partenaires sociaux, est dépassé. Dépassé, comme je l’évoquais ci-dessus, parce que les frontières nationales sont devenues plus poreuses mais, surtout, parce que notre modèle de croissance économique — en particulier dès lors qu’il est adopté par les pays émergents — est à proprement parler insoutenable du fait, d’une part, de l’exploitation intensive de ressources naturelles rares, d’autre part des perturbations qu’entraîne cette « économie de l’abondance » sur l’écosystème. Un des enjeux majeurs est donc non pas de renouer avec une croissance forte dont les indicateurs sont, du reste, sujets à caution. Il est davantage de nous orienter vers un modèle de développement plus économe en ressources, moins agressif vis-à-vis de l’environnement et porteur d’autres aménités plus en phase peut-être avec les aspirations des jeunes générations. Ceci n’est pas qu’un vœu pieux comme en témoigne, par exemple, l’adoption ici ou là d’initiatives s’inspirant de l’économie circulaire et de celle de fonctionnalité (privilégiant l’usage sur la propriété). Un deuxième enjeu, évident à mes yeux, résulte de la crise du système français de protection sociale tenant, notamment, à la faible croissance économique, aux coûts résultant du chômage, à l’accroissement des dépenses d’assurance maladie et de retraite, ainsi qu’à l’impossibilité d’augmenter à due proportion les recettes du système du fait corrélatif du sous-emploi et du déficit sans précédent des comptes publics. Mais le problème n’est pas exclusivement financier ; il résulte aussi de la faible efficience de l’État protecteur et de la crise de confiance dont il souffre en raison de son incapacité à assurer l’indispensable solidarité entre et au sein des générations. En affirmant cela, je n’entends pas remettre en cause les valeurs fondamentales sur lesquelles s’est construit le système français de protection sociale, mais souligner combien son organisation semble aujourd’hui dépassée, comme en témoignent les phénomènes d’exclusion sociale. Le modèle se meurt. Il est donc urgent de jeter les bases d’un nouveau contrat social plus équitable et davantage en phase avec les besoins d’une époque nouvelle et des jeunes générations, dont les aspirations ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des générations antérieures. Pour ne prendre qu’un exemple, il m’apparaît improductif et inacceptable de perpétuer un système conduisant inéluctablement à une opposition entre rentiers et exclus, incongru de persister à séparer le temps des études, celui du travail, celui de la retraite et celui des loisirs. Cela entraîne un gâchis dramatique des ressources humaines dans lesquelles il serait au contraire essentiel d’investir. Je ne peux pas, dans le cadre étroit de cet éditorial, développer davantage cette réflexion. Mais, si j’estime que nos gouvernants manifestement se trompent d’époque, je remarque en revanche que, partant du terrain, de nouvelles initiatives émergent qui traduisent opportunément le désir de nos contemporains de produire, de consommer[[- Voir le projet d’étude Futuribles International « Produire et consommer en France en 2030 » ]] et de vivre autrement.

Au sommaire du N°394

La réforme de la protection sociale

Dans ce numéro de printemps, la revue Futuribles publie un article sur la nécessaire réforme de la protection sociale en France. Une « feuille de route », préparatoire à une nouvelle réforme des retraites, a été retenue par le gouvernement français à l’issue de la conférence sociale de juillet 2012. Après une première phase de diagnostic qui s’est achevée en janvier 2013, doivent maintenant venir une phase 2, conduite par un comité d’experts chargé de dessiner des pistes, puis une phase 3 qui devrait être celle des négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux, en vue d’une réforme annoncée par le gouvernement d’ici fin 2013. Malheureusement, comme le souligne ici Jean-Claude Angoulvant, il n’est pas garanti que cela permette de répondre aux difficultés du pays en matière de financement des retraites. Au-delà des remises en cause récurrentes du système de retraite, la question est plus vaste. Voici 30 ans que la protection sociale française est déficitaire ; il y va donc de la pertinence des modes d’organisation du système global de protection sociale, en crise ouverte permanente, et de ses principales composantes que sont la retraite et la santé. Le système « va dans le mur, financièrement et structurellement », avec des conséquences potentiellement lourdes sur les relations intergénérationnelles. S’appuyant en particulier sur la retraite et la santé, Jean-Claude Angoulvant insiste sur trois problèmes structurels auxquels il faut répondre : la fragmentation du système, la mal-gouvernance dont il est l’objet, et son inadaptation aux nouveaux besoins des individus. Pour sauvegarder les acquis essentiels de la protection sociale française, répondre à ces problèmes, tout en assurant la pérennité du système, un effort de réforme globale et structurelle — systémique — est nécessaire. Cet article suggère différentes pistes (visant en outre à mettre un terme à un certain nombre d’injustices constatées à l’égard des femmes et des travailleurs précaires, notamment) : unification du régime de retraite de base, cotisations définies pour les régimes complémentaires, révision des droits familiaux, etc. Mais le temps est compté et les responsables politiques ne raisonnent pas forcément selon les mêmes échéances.

Les mauvais chemins

Un article posthume d’André Lebeau reprenant l’avant-propos de l’ouvrage qu’il était en train de rédiger avant son décès, Les Mauvais Chemins, dans lequel il s’intéressait aux raisons pour lesquelles il est si difficile de modifier les comportements collectifs alors même que chacun sait que l’humanité va droit dans le mur compte tenu des pressions qu’elle fait subir à son écosystème. En cause principalement : la cécité et l’inertie des citoyens et des gouvernants.

Culture et médias : prospective et stratégie

Futuribles publie également un article de Philippe Chantepie présentant les enseignements de l’exercice de prospective stratégique lancé en 2009 par le ministère français de la Culture et de la Communication, destiné à prendre en compte les évolutions relatives aux multiples domaines couvrant les activités culturelles, et à en tirer des conséquences pour l’organisation du ministère et les politiques culturelles. Comment la France peut-elle faire face aux trois dynamiques majeures affectant la culture au sens large : la mutation numérique, la mondialisation et la montée de l’individualisme ? Comment le ministère en charge de la culture et les politiques associées peuvent-ils s’y adapter, en tenant compte également des changements de pratiques ? L’auteur présente d’abord les facteurs et composantes du système culturel qui ont servi de base pour dégager quatre scénarios d’avenir possible pour la culture et les médias à l’horizon 2030 (« L’exception continuée », « Le marché culturel », « L’impératif créatif », et « Culture d’identités »), ainsi que la vingtaine d’enjeux qui en découlent. Puis il précise, compte tenu de ce diagnostic, les orientations stratégiques à envisager pour le ministère, dans son organisation et dans les politiques à mettre en place à l’horizon 2020. Il s’agit désormais de bien tenir compte du profond changement de contexte à la fois national, européen et mondial, des changements de pratiques qui vont aller se renforçant au fil du renouvellement des générations ; et de s’y adapter tout en tenant compte des nouveaux acteurs intervenant dans le champ de la culture, en préservant la légitimité d’une politique et en innovant dans les trois grands domaines d’activités couverts par le ministère : la création artistique, les patrimoines, et les médias et industries culturelles.

L’avenir de la Corée du Sud

Alors que les esprits s’échauffent dans la péninsule coréenne, Futuribles publie ici un article d’Arnaud Leveau consacré à la Corée du Sud. Passée du statut de « dragon asiatique » à celui de « nouveau pays industrialisé », puis à celui de pays désormais « développé », la Corée du Sud a un statut particulier en Asie. Ancien royaume tributaire de la Chine, elle était sous l’orbite du Japon au début du XXe siècle, avant de devenir un grand allié des États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dans un contexte économique sensiblement modifié (ouverture et essor économique spectaculaire de la Chine, crise économique mondiale…), le pays dispose de nombreux atouts à faire valoir, de vastes compétences en matière de recherche et d’industrie, et cherche à développer une nouvelle stature internationale. C’est un pays d’Asie avec lequel il faut compter et qui cherche désormais à nouer de nouvelles alliances à la fois commerciales et géopolitiques, notamment avec l’Europe, pour faire face à un éventuel relâchement de l’alliance avec les États-Unis et, surtout, à la montée en puissance de la Chine, son principal partenaire commercial mais aussi un grand rival régional. L’auteur dresse ici un état des lieux assez complet de la situation de ce pays, montrant notamment comment Séoul fait évoluer sa politique asiatique, et les perspectives géopolitiques et géoéconomiques que cela dessine pour les années à venir.

L’innovation en pharmacie

Dans la rubrique « Forum », Patrick Couvreur met en garde contre les limites structurelles de l’innovation dans le domaine pharmaceutique. Celle-ci est en train de s’essouffler dans la plupart des pays occidentaux, notamment en raison de l’opinion publique qui, tout en attendant beaucoup en matière de thérapie, refuse la plupart des risques inhérents à tout nouveau médicament, rendant les laboratoires de recherche de plus en plus précautionneux dans la mise au point de nouveaux traitements, et l’environnement réglementaire de plus en plus complexe. S’ajoutent à cela, d’une part, la financiarisation croissante du secteur qui fait passer, dans la plupart des grandes entreprises pharmaceutiques, les intérêts économiques de court terme devant l’investissement de long terme qui serait le plus favorable à la mise au point de nouveaux procédés ou traitements ; d’autre part, les limites rencontrées par les méthodes classiques de découverte de nouvelles molécules et la rigidité, en France, des rapports entre la recherche et l’industrie. Pourtant, à lire Patrick Couvreur, il existe d’autres voies pour innover en pharmacie (la pharmacogénétique, la galénique, notamment), mais qui nécessitent une rupture culturelle consistant à stimuler la créativité et encourager les coopérations interdisciplinaires. Fort de son expérience de chercheur-entrepreneur en pharmacie, l’auteur montre les difficultés actuelles de la recherche pharmaceutique, en particulier en France, et les pistes à explorer pour ne pas assécher complètement l’innovation dans ce secteur.

Institutions et progrès des nations

Une analyse, par Charles du Granrut, de l’ouvrage Why Nations Fail, de Daron Acemoglu et James Robinson, qui a récemment relancé le débat sur les origines des inégalités économiques internationales. Selon les auteurs, l a garantie d’un développement économique pérenne repose principalement sur l’existence d’institutions politiques « inclusives » ; une thèse que Charles du Granrut, sans négliger l’originalité de la démarche, compare à celle d’un ouvrage antérieur : Violence et ordres sociaux (de D.C. North, J.J. Wallis et B.R. Weingast) reposant sur une approche similaire, et dont il souligne aussi certaines limites.

Tribune européenne

La tribune européenne de Jean-François Drevet est consacrée au séparatisme régional en Europe et à ses conséquences potentielles pour l’Union, au travers de trois exemples emblématiques : la Flandre belge, l’Écosse et la Catalogne.

Actualités prospectives

– « Vers une guerre en Asie orientale ? » – « Le futur entre innovations et catastrophes » – « La génération sandwich sous pression » – « La malédiction du paradigme artificieux » – « Suppression d’emplois dans les banques américaines » – « La fin des conducteurs ? »

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Pourquoi Futuribles ?

Notre intime conviction est que « l’avenir ne se prévoit pas, qu’il se construit », au travers de décisions et d’actions humaines adoptées en fonction de la représentation que se forgent les acteurs de l’avenir souhaitable et réalisable. Pour bénéficier d’une telle liberté d’action et de décision, il convient de faire preuve de vigilance et d’anticipation afin de ne point être en permanence acculés à gérer les urgences, celles-ci nous condamnant à subir et à agir en pompiers plutôt qu’en stratèges.

Nous sommes bien conscients que l’avenir n’est pas prédéterminé et ne peut être prévu de manière certaine : ainsi disons-nous qu’il est ouvert à plusieurs évolutions possibles (les futur-ibles) qui, toutefois, n’émergent pas du néant mais s’enracinent dans le passé et le présent.

Aussi le premier objectif de Futuribles est-il d’essayer de discerner dans la situation actuelle ce qui, d’un côté, est de nature purement conjoncturelle, voire anecdotique et, de l’autre côté, ce qui semble significatif, révélateur de tendances lourdes et émergentes (les
« signaux faibles ») qui constituent les véritables racines de futurs possibles. Ceci relève d’une fonction de veille et d’analyse.

Le deuxième objectif de Futuribles est, à partir de ce travail de veille, d’explorer ce qui peut advenir, quelle est l’arborescence des futurs possibles (les « futur-ibles »), en prenant en compte les facteurs de pérennité et d’inertie aussi bien que les facteurs de discontinuités, voire de ruptures. L’objectif de cette démarche de prospective exploratoire est essentiellement de mettre en évidence les défis et enjeux auxquels les acteurs risquent d’être confrontés lorsqu’ils disposent encore de marges de manœuvre suffisantes pour infléchir le cours des événements et, à défaut, se préparer avec succès à faire face aux défis du futur.

Le troisième objectif de Futuribles est d’examiner avec les acteurs concernés quelles politiques et stratégies ils peuvent adopter compte tenu de leur représentation du futur souhaitable (vision) et réalisable (projet), et de les aider à définir leurs stratégies. Il s’agit alors d’examiner qui peut faire quoi, à court, moyen et long termes, pour atteindre le but, plus ou moins consensuel ou conflictuel, que chacun des acteurs s’est assigné.

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