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Les technologies liées à l’hydrogène sont elles pertinentes pour atteindre les objectifs de développement durable ?

Rapport de la Convention scientifique étudiante sur l’hydrogène

Ce rapport est l’œuvre d’une cinquantaine d’étudiants scientifiques tirés au sort pour participer à la première « Convention scientifique étudiante ». Lancée en 2023 par la Société des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF) sous le haut patronage du ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, elle avait pour tâche de dire dans quelle mesure « les technologies liées à l’hydrogène sont pertinentes pour atteindre les objectifs de développement durable » et quels devraient en être les usages prioritaires.

La Convention Scientifique Étudiante (CSE) est une initiative lancée en 2023 par le Comité Jeunes Promotions (JP) de la fédération des Ingénieurs Et Scientifiques de France (IESF). Elle a pour but de réunir des étudiants scientifiques – du master au doctorat – choisis au hasard pour représenter ce spectre de la population.

Sur le format des Conventions Citoyennes (Climat, Fin de Vie, …), encadrés par des animateurs et garants, quatre sessions de deux jours, rythmées par des conférences et des débats ont permis de rassembler experts et intervenants issus de la recherche, de l’industrie, des institutions, des ONG et du monde politique.

La question qui a été posée à la Convention est la suivante :

Dans quelle mesure et à quelles conditions les technologies liées à l’hydrogène sont-elles pertinentes pour atteindre les objectifs de développement durable, dans un monde aux ressources finies ? Quels devraient être les usages prioritaires ?

Les rencontres avec des spécialistes d’horizons variés ont éclairé leur compréhension des enjeux liés à l’hydrogène et enrichi les réflexions menées collectivement. Le résultat de cette Convention est un ensemble de recommandations, établies à l’issue de débats animés sur la production et l’utilisation de l’hydrogène. Ce rapport a été exclusivement élaboré par cette assemblée de jeunes scientifiques.

Un contexte d’urgence pour la transition énergétique

Le sixième rapport du GIEC tire la sonnette d’alarme : les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont réchauffé le climat à un rythme sans précédent. La température de la surface du globe s’est déjà élevée de 1,1 °C par rapport à la période pré-industrielle. Quelles que soient nos actions, ce réchauffement atteindra 1,5 °C dès le début des années 2030. L’utilisation massive d’énergie fossile contribue grandement à ce réchauffement mondial. Le mix énergétique de la France, bien que moins carboné par rapport à d’autres pays industrialisés, reste émetteur net de Gaz à effet de serre (GES). La part en énergie fossile représente toujours 50 % de l’énergie consommée en 2022 dans notre pays. La limitation du réchauffement climatique ne sera possible, selon les experts du GIEC, qu’en accélérant la baisse des émissions de GES. Il est donc crucial pour les jeunes générations, de s’impliquer dans cette transition énergétique.

Dans la recherche de solutions futures aux besoins énergétiques, il est essentiel d’intégrer les objectifs de développement durable (ODD) à la recherche d’énergies décarbonées. L’engouement actuel pour l’hydrogène, par son potentiel de décarbonation, rend nécessaire de réaliser une évaluation globale des impacts de ce nouveau vecteur d’énergie, ainsi que sa faisabilité. L’objectif est d’en dégager une vision systémique des atouts et points d’attentions du développement d’une filière hydrogène française.

Aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène est consommé par le secteur industriel en France. Les trois plus importants sont le raffinage de produits pétroliers (60 %), la synthèse d’ammoniac, principalement pour les engrais (25 %) et la chimie (10 %)​​. Essentiellement issu d’une production carbonée, seul 2 % de l’hydrogène provient d’énergies renouvelables.

L’hydrogène est perçue comme une promesse dans la transition énergétique mondiale, avec des stratégies ambitieuses déployées partout dans le monde. La Commission européenne a annoncé, en 2020, un objectif de déploiement de 40 GW d’électrolyseurs d’ici 2030, pour produire 10 millions de tonnes d’hydrogène.

En France, dont la stratégie vise la souveraineté énergétique, une feuille de route prévoit l’installation de 6,5 GW de capacité de production bas-carbone d’ici 2030, soutenue par un investissement de 9 milliards d’euros sur dix ans. L’Allemagne mise massivement, en plus d’une production locale (5 GW​​), sur l’importation pour subvenir à ses besoins internes. La Chine prévoit de produire des électrolyseurs pour l’exportation et d’investir dans la production d’hydrogène.


Hydrogène Vert : un décollage amorcé mais un marché à plusieurs vitesses selon une Étude Les Échos.

Quelles opportunités concrètes pour les secteurs de l’énergie, de l’industrie et des transports ?

L’étude « Hydrogène vert, décollage amorcé » que vient de publier Les Échos Études livre une vision unique et sans concession des perspectives du marché de l’hydrogène renouvelable en France. Derrière les
effets d’annonces et les projections prometteuses, toutes les filières ne présentent pas le même potentiel. Si le décollage est imminent pour les usages industriels, la donne est toute autre pour la mobilité hydrogène.

GUETTYIMAGES

La filière hydrogène

Parmi les éléments les plus abondants à la surface de la Terre, l’atome d’hydrogène est lié à d’autres types d’atomes dans l’eau, les hydrocarbures ou la biomasse. La molécule de dihydrogène (deux atomes d’hydrogène) n’existe pratiquement pas à l’état pur sur Terre. La majorité de l’hydrogène doit donc être produite à partir de sources d’énergie primaire pour être utilisé en tant que vecteur énergétique pour transporter l’énergie et en tant que matière première comme molécule chimique.

Une des problématiques de l’hydrogène est sa faible densité énergétique : il prend 4,6 fois plus de place que l’essence pour stocker une même quantité d’énergie. Un autre enjeu est la sécurité : l’hydrogène a beau être très peu dense, les explosions sont très dangereuses.

I. Production

Actuellement, d’après l’AIE, 95 Mt d’hydrogène​​ sont consommées à l’échelle mondiale, majoritairement par les industries chimiques et pétrolières. La France en consomme 1 Mt par an et l’Europe 8 Mt​​. 94% de la production est effectuée à partir d’énergie fossile en France​​, un procédé très polluant puisque la production d’1 kg d’hydrogène génère plus de 10 kg de CO2e​​ : par exemple, la production d’hydrogène en France représente aujourd’hui 3 % des émissions de GES nationales​​. Le tableau ci-dessous présente tous les modes de production de l’hydrogène.

Source : Revue de l’Énergie, Hors-série octobre 2021

Si beaucoup d’industriels considèrent l’hydrogène comme un vecteur énergétique clef dans leur stratégie de décarbonation, il est nécessaire que cette molécule soit produite de façon décarbonée. C’est pourquoi la production d’hydrogène vert, rose ou bleu apparaît pertinente.

Ne pas développer de nouvelles capacités de production d’hydrogène par vaporeformage et captation du carbone (hydrogène bleu)

Mais la production d’hydrogène bleu ne permettra pas de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles

Tendre uniquement vers le développement des filières de production d’hydrogène vert et rose

La production d’hydrogène vert ou rose repose sur le procédé d’électrolyse, qui utilise de l’électricité décarbonée et de l’eau pour produire de l’hydrogène. Le déploiement et la pertinence d’une filière de production d’hydrogène bas-carbone reposent sur certaines conditions.

Accélérer l’investissement dans la R&D des électrolyseurs pour améliorer les rendements et développer des technologies de rupture, plus économes en ressources (électrolyse haute température, diminution de l’empreinte matière, gestion de l’eau, etc.).

II. Distribution

Le réseau de transport de gaz actuel n’est pas adapté au transport d’hydrogène, sauf au prix de lourds investissements. L’autre solution de transport longue distance consiste à fabriquer un nouveau réseau de gazoducs, ce qui est encore plus onéreux et pose des enjeux d’acceptation et d’impacts sur la biodiversité. Les difficultés du transport de l’hydrogène soulignent la pertinence d’une production locale, permettant de réduire les distances parcourues.

Développer la production d’hydrogène proche des lieux d’usage afin de minimiser les distances de transport.

III. Stratégies nationales

La stratégie française doit s’intégrer dans la stratégie européenne. Par ailleurs, produire de grandes quantités d’hydrogène nécessite un renforcement du réseau électrique et une augmentation des capacités de production d’électricité décarbonée.

Au regard de la consommation d’électricité, de matières premières et du coût de l’hydrogène, la production sera nécessairement limitée et ne permettra pas de satisfaire tous les besoins envisagés par les acteurs économiques pour décarboner leur filière. Ceci justifie la priorisation des usages et le recours à la sobriété pour diminuer notre consommation d’énergie. C’est seulement dans un contexte de sobriété que les technologies liées à l’hydrogène apparaissent pertinentes pour atteindre nos objectifs de développement durable.

Soutenir une production locale d’hydrogène en France en développant l’ensemble de la chaîne de valeur.

Les usages

La Convention scientifique étudiante sur l’hydrogène a identifié trois domaines potentiels de développement de la technologie hydrogène :

  • Les mobilités, qu’elles soient routières, ferroviaires, maritimes ou aériennes
  • L’industrie
  • L’équilibrage du réseau électrique

Mobilités

En France, 80 % des déplacements effectués par la SNCF sont réalisés par des trains électriques. Le ferroviaire représente moins de 0,5 % des émissions totales de GES du secteur du transport, ce qui en fait le mode de transport le moins émetteur de carbone.

Ne pas prioriser le développement du train à hydrogène en France.

L’infographie ci-dessous présente la place potentielle du train à hydrogène dans le trafic ferroviaire.

Source : Alstom, “Hydrogen trains”, Stéphane Kaba, 01/2024

Aujourd’hui, plus de 80 % du volume de marchandises mondial transite par les mers et le secteur maritime est responsable de près de 3 % des émissions de GES soit environ 1 Gt CO2e.

Effectuer une transition vers des carburants de synthèse, à base d’hydrogène (e-carburants, hydrogène liquide, hydrogène gazeux) pour les navires marchands.

On retrouve sur le graphique ci-dessous une répartition des carburants en fonction des types de navires prenant en compte la puissance nécessaire à la propulsion et les capacités de stockage à bord.

Optimum des options zéro-émissions pour différents navires
(Source : Hydrogen Europe, 2020)

Repenser le trafic maritime global dans l’optique de décarboner au maximum la filière tout en intégrant l’hydrogène dans son mix énergétique.

La mobilité routière représente en France 30 % des émissions de GES, dont la moitié est imputable à la mobilité individuelle.

Planifier, à l’échelle européenne, l’usage de l’hydrogène pour la mobilité routière lourde.

Ne pas développer l’usage de l’hydrogène pour les véhicules légers.

L’aviation est responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Une étude de l’Ademe indique que pour respecter les objectifs des plans européens, la production de SAF (Sustainable Aviation Fuel), en France en 2050, nécessiterait entre 25 et 108 TWh d’électricité selon les scénarios envisagés​​. Ainsi, il semble nécessaire d’ajouter des mesures de sobriété, avec le report modal, en complément des solutions technologiques.

Ne pas encourager les technologies fondées sur l’utilisation directe de l’hydrogène (piles à combustible et combustion directe) pour la mobilité aérienne.

Industrie

Les industries sont une priorité en matière de décarbonation en France. Elles représentent une part importante des émissions françaises de gaz à effet de serre (18 %​​). Les trois principaux secteurs industriels concernés par les émissions de gaz à effet de serre sont :

  • La sidérurgie ;
  • L’industrie chimique incluant les engrais et le raffinage ;
  • La cimenterie.

Prioriser l’usage de l’hydrogène dans l’industrie, à des fins de décarbonation, en excluant l’utilisation d’argent public pour la branche industrielle de raffinage du fait de son incompatibilité avec les objectifs de décarbonation.

Source : Carbone 4 – Étude Hydrogène

Équilibrage réseau

Le réseau électrique comprend la production, le transport, la distribution et la régulation de l’électricité. La production en électricité doit être égale à la consommation à tout instant. L’hydrogène peut avoir un rôle à jouer dans l’équilibrage du réseau électrique.

Ne pas envisager l’importation d’hydrogène pour l’équilibrage du réseau électrique.

Conclusion

L’hydrogène n’est pas une solution miracle, mais une technologie pertinente nécessitant d’être développée pour des usages prioritaires, à condition de respecter les objectifs de développement durable et de sobriété. La production d’hydrogène étant contrainte, il est nécessaire de prioriser ses usages. La Convention scientifique étudiante recommande la hiérarchisation suivante :

Rapport de la Convention scientifique étudiante sur l’hydrogène

A propos

La Grande Conversation est la revue intellectuelle et politique de Terra Nova.

Son ambition est de nourrir la conversation démocratique, c’est-à-dire l’échange civilisé des arguments et des idées sans lesquels il n’est pas de débat public fructueux. La controverse y a naturellement sa place, mais pas la disqualification ; la contradiction, mais pas l’invective ; le pluralisme, mais pas les affirmations gratuites ou infondées.

La Grande Conversation veut également offrir aux différentes composantes de l’arc progressiste une plateforme intellectuelle qui renouvelle leur compréhension des problèmes contemporains : la radicalité y a droit de cité, mais pas l’extrémisme ; le désir de traiter les problèmes à la racine, mais pas les remises en cause du pacte républicain, de l’Etat de droit et de la démocratie.

La Grande Conversation accueille des contributions de sensibilités variées qui ne reflètent pas nécessairement les positions de Terra Nova et peuvent même les questionner ou les critiquer.

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