Les arbres occupent une place essentielle dans la construction de la biodiversité terrestre. Leur tronc, véritable squelette de carbone, joue un rôle crucial en reliant les feuilles-exposées de la canopée qui assurent la photosynthèse – et les racines, indispensables à l’acquisition de nutriments et d’eau grâce à leur système vasculaire évolué. Mais sont-ils les seuls à pouvoir transporter l’eau de la sorte ? Dans un article paru dans Nature plants et un autre paru dans Science le 16 avril, des chercheurs INRAE reviennent sur la gestion de l’eau des organismes clés de voute des forêts : les arbres et les mousses. A la lumière de cette découverte, les chercheurs proposent un modèle pour prédire l’effet du changement climatique sur la vulnérabilité des forêts.
Qu’en est-il de la gestion de l’eau dans le règne végétal ?
L’évolution des plantes terrestres au cours des temps géologiques était jusqu’à présent régie par un dogme : les arbres sont ce qu’ils sont grâce à l’acquisition d’un système vasculaire qui leur permet d’acheminer l’eau dans toute la plante, y compris au sein de la canopée, là où la photosynthèse est la plus efficace. Des chercheurs INRAE ont récemment mis en évidence qu’une mousse, espèce non vasculaire, possède un appareil circulatoire fonctionnellement très proche de celui des arbres. Leurs travaux montrent en effet, que cette mousse possède des canaux qui transportent l’eau avec la même efficacité que le font ceux de leurs cousins les arbres. Ces vaisseaux ne s’affaissent pas sous une tension élevée et sont très résistants à l’embolie vasculaire. Mais alors qu’est ce qui différencient les mousses des arbres quant à leur gestion de l’eau ? La différence se trouverait dans leurs feuilles et non dans leur appareil vasculaire, c’est ce qu’ont mis en lumière les chercheurs INRAE. Les feuilles possèdent une face supérieure tournée vers le ciel qui permet de capter les rayons du soleil pour effectuer la photosynthèse, et une face inférieure tournée vers le sol, criblée de pores qui permettent de laisser passer plus ou moins l’eau en fonction des conditions climatiques. Et c’est justement ces pores, appelés stomates, qui sont très inefficaces chez les mousses pour la gestion de l’eau. Ce n’est donc pas via un perfectionnement de l’appareil vasculaire au cours de l’histoire évolutive que les végétaux primitifs ont pu devenir des arbres gigantesques ; mais plutôt via l’apparition d’un système de régulation efficace des pertes en eau au niveau des feuilles. Les arbres peuvent ainsi survivre dans une atmosphère bien plus asséchante que les mousses, mais cette capacité d’ajustement peut atteindre une limite lorsque les conditions deviennent anormalement sèchesQuelles conséquences pour l’avenir de nos forêts ?
Les prévisions climatiques pour l’avenir sont unanimes, l’accumulation de CO2 dans l’air va augmenter la température de façon significative à la surface du globe d’ici la fin du siècle. Mais comment les forêts vont gérer cette transition rapide ? Le CO2 peut avoir un effet fertilisant et l’augmentation de température peut aussi stimuler la croissance des arbres. Mais un air plus chaud est aussi plus sec, ce qui accentue le risque de sécheresse. Les effets du changement climatique peuvent alors être plus négatifs que positifs pour les forêts. C’est ce qui a intéressé des chercheurs INRAE, qui proposent un nouveau modèle mathématique pour prédire l’état des forêts de demain. Ce modèle combine le fonctionnement et les mécanismes hydrauliques des arbres avec le principe d’optimisation de fonctionnement des stomates. Il mêle ainsi plusieurs paramètres d’ores et déjà étudiés indépendamment dans les modèles existants, comme la résistance à l’embolie vasculaire. Mais contrairement aux modèles existants, leur modèle intègre la perte d’eau au niveau de la cuticule des feuilles des arbres, un paramètre non négligeable qui accroit la mortalité prédite en particulier en période de canicule. Les prédictions de ce modèle confirment une situation alarmante : si les arbres de nos forêts sont adaptés pour résister aux sécheresses qu’ils subissent depuis des millénaires, ils ne sont pas armés pour survivre à un changement climatique majeur. Dès lors, trois scénarios sont envisageables pour les arbres de nos forêts : l’acclimatation, l’adaptation ou la migration. L’acclimatation suggère de modifier certaines caractéristiques des arbres afin de résister à la hausse de température. Une possibilité d’acclimatation viable serait que chaque individu change sa physiologie, par exemple en réduisant sa surface de feuilles pour perdre moins d’eau. L’adaptation voudrait que les essences forestières soient capables de s’adapter aux températures qui augmentent au fil des générations via un processus de sélection naturelle. Mais le changement climatique est un phénomène trop rapide, ce qui limite drastiquement les possibilités d’adaptation. Enfin, la migration implique littéralement des déplacements naturels ou assistés d’espèces d’arbres au bénéfice d’espèces et ou de variétés résistantes à la chaleur dans des zones touchées par l’augmentation rapide des températures. Par exemple les chênes pubescents et les chênes verts sont des espèces plus résistantes que les espèces de chênes des zones tempérées. Mais les capacités de migration naturelle de ces espèces sont très limitées et c’est avant tout une intervention humaine qui permettrait aux forêts de s’adapter au mieux à une température et une sécheresse croissantes. Bien que les forêts montrent des capacités naturelles d’adaptation, elles restent donc très limitées. On peut craindre un impact massif du changement climatique sur la stabilité et la productivité des forêts, ce qui réduirait d’autant plus leur rôle majeur dans le stockage du CO2. C’est pourquoi il est primordial de continuer les recherches dans ce domaine afin d’améliorer les modèles et considérer les forces évolutives comme l’hybridation entre espèces, pour adapter les pratiques de gestion.Référence
– Brodribb, T.J., Carriquí, M., Delzon, S. et al. Advanced vascular function discovered in a widespread moss. Nat. Plants 6, 273–279 (2020). – Brodribb, T.J., et al. Hanging by a thread? Forests and Drought. Science vol. 368 no. 6488 261-266INRAE
INRAE, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement est né le 1er janvier 2020. Il est issu de la fusion entre l’Inra, Institut national de la recherche agronomique et Irstea, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture. Une ambition pour la vie, l’humain, la terre L’humanité et la planète font face à un changement global qui crée de nouvelles attentes vis-à-vis de la recherche : atténuation et adaptation au changement climatique, sécurité alimentaire et nutritionnelle, transition des agricultures, préservation des ressources naturelles, restauration de la biodiversité, anticipation et gestion des risques. S’y ajoutent des enjeux plus territorialisés qui incluent les conditions de vie et de rémunération des agriculteurs, la compétitivité économique des entreprises, l’aménagement des territoires, l’accès à une alimentation saine et diversifiée pour chacun. Premier organisme[[Index de spécialisation : part d’INRAE dans les 10 domaines suivants /part d’INRAE toutes disciplines confondues du Web of Science au niveau mondial : Agriculture, Plant sciences, Veterinary sciences, Genetics & heredity, Food science & technology, Nutrition dietetics, Biotechnology & applied microbiology, Environmental sciences & ecology, Water resources, Microbiology.]] de recherche spécialisé sur ses trois domaines scientifiques, INRAE, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement contribue à relever ces défis. En proposant par la recherche, l’innovation et l’appui aux politiques publiques de nouvelles orientations pour accompagner l’émergence de systèmes agricoles et alimentaires durables, INRAE ambitionne d’apporter des solutions pour la vie, les humains et la terre. Par le rapprochement de l’Inra, Institut national de la recherche agronomique, et Irstea, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, deux établissements reconnus pour la qualité de leur recherche et leur expertise, INRAE atteint une masse critique et mutualise des infrastructures de recherche importantes (observatoires, plateformes, banque de données) pour certaines uniques en Europe. Cette nouvelle position permet à INRAE des plus-values notoires dans différents domaines, comme les sciences de l’eau, les approches à l’échelle des territoires, la conservation et la restauration de la biodiversité, l’anticipation et la gestion des risques ou l’agriculture numérique.