Les Etats pêcheurs de thon rouge réunis à Paris ont opté samedi pour une quasi-stabilité des quotas de pêche pour 2011, au désespoir des ONG écologistes qui réclamaient une réduction drastique, nécessaire selon eux pour sauvegarder l’espèce. Après dix jours de tractations intenses à huis clos, les 48 Etats pêcheurs de la Commission internationale pour la Conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA), ont adopté une limite de la pêche au thon rouge en Méditerranée à 12.900 tonnes en 2011, contre 13.500 t en 2010.
Aucune mesure concernant la protection des zones de reproduction n’a été adoptée malgré de nouveaux éléments scientifiques allant dans ce sens et les prises de position de certains Etats et des ONG environnementales. Malgré des éléments positifs sur le renforcement des contrôles, les problèmes concernant les transferts de poissons vivants n’ont pas été pris en compte et la pêche industrielle à la senne va perdurer bien que cette filière soit incontrôlable. La réunion a « conduit le thon rouge dans le couloir de la mort », a estimé Greenpeace tandis que l’ONG Oceana y a vu « un échec massif » pour cette espèce. Une fois de plus la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique (ICCAT) n’a pas rempli son rôle. « Il est incroyable que cette instance continue à céder aux intérêts à court terme de certains sans se soucier réellement de la pérennité du stock ni de l’avenir de la pêche artisanale » s’indigne la présidente du WWF-France, Isabelle Autissier. « L’ICCAT n’est en rien une instance démocratique. Alors que cette commission est en charge de la gestion d’une ressource commune, les décisions se prennent derrière des portes closes entre diplomates n’ayant pour objectifs que de préserver des intérêts nationaux » a déclaré Charles Braine, Responsable du programme pêche durable au WWF-France. « Quel sort funeste réserve-t-on au thon rouge en cette année internationale de la biodiversité ? » interroge Serge Orru, Directeur général du WWF-France. A l’instar de la Norvège, le WWF estime que l’ICCAT doit accroître considérablement sa transparence et son ambition afin de devenir réellement une commission de « conservation » d’espèces marines. Fait rare, c’est même une première, le Japon, qui absorbe 80% des thons rouges pêchés en Méditerranée, avait, lui aussi, réclamé des contrôles plus sévères pour enrayer la pêche illégale et le marché noir de cette espèce dont la chair raffinée est très recherché pour les sushis et sashimis. « Je ne suis pas content à 100% », a indiqué le chef de la délégation du Japon Masanori Miyahara à l’AFP. « Il nous reste à mettre beaucoup de choses en oeuvre pour s’assurer » de l’efficacité des contrôles et « de la capacité de chacune des parties de s’y tenir », a-t-il dit. « Je ne peux pas dire que nous avons agi en conformité avec le principe de précaution comme je l’aurai souhaité », a confié Russel Smith, chef de la délégation américaine à l’AFP. A l’inverse le ministre français de la Pêche Bruno Lemaire s’est « félicité », dans un communiqué, du résultat qui représente, selon lui, « l’équilibre entre le respect de la ressource et le maintien du tissu socio-économique sur le long terme ». Cependant, pour le WWF, la France perd sur tous les fronts : en ne voulant pas donner l’exemple, elle se tire une balle dans le pied car elle sera la seule à avoir un quota drastiquement réduit en 2011. Explications. En octobre, la France avait pris la tête d’une fronde contre la commissaire européenne, Mme Damanaki, qui avait proposé un TAC de 6000 tonnes, seul montant permettant de respecter le principe de précaution et la directive cadre « Stratégie pour le milieu marin ». Un TAC de 12 900t peut donc sembler être une victoire pour le gouvernement français. Mais la France, ayant pêché le double de son quota en 2007, a une dette en thons rouges qui s’élève à 1510t pour 2011 et 2012 et qui seront soustraites de son quota, ce qui ne laisse qu’environ 900 tonnes à pêcher pour la France. « Si Bruno Le Maire est réellement soucieux des emplois, il doit absolument donner la priorité à la pêche artisanale ! Contrairement à ce qu’il a fait en 2009 et 2010 quand il a imputé ce remboursement aussi petits métiers alors que, eux, n’avaient pas triché » demande Charles Braine, Chargé de programme pêche durable au WWF-FR. A l’ICCAT, la France aura tout fait pour obtenir un rééchelonnement de cette dette. Alors que la délégation européenne n’avait aucun mandat pour renégocier la dette française en thon rouge, la diplomatie parallèle française a agi dans les coursives pour tenter d’échapper à sa peine. Le hasard et la francophonie faisant bien les choses, le Maroc est venu au secours de la France en proposant un amendement visant à étaler les remboursements. Heureusement, la Norvège a bloqué ce processus, soutenue, ironie de l’histoire, par l’Union Européenne qui a souligné le caractère laxiste de cette proposition… « Dans un entretien au journal Libération mercredi dernier, Bruno Le Maire déclarait « vouloir systématiquement donner l’exemple, c’est se tirer une balle dans le pied ». Pour le thon rouge, la France n’aura non seulement pas donné l’exemple mais se sera en plus tirée une balle dans le pied : elle sera la seule à avoir un quota drastiquement réduit en 2011 » regrette Isabelle Laudon, Responsable des politiques européennes au WWF-France.