La voiture électrique ne pourra répondre seule à la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre liés aux transports, et plus largement aux impacts écologiques et sociaux de la voiture. Pourtant, c’est la solution portée en priorité par les pouvoirs publics. Cette Note de La Fabrique Écologique et du Forum Vies Mobiles « Pour une mobilité sobre : la révolution des véhicules légers » défend qu’une autre voie plus efficace est possible : développer une nouvelle gamme de véhicules beaucoup plus légers. A mi-chemin entre le vélo et la voiture : il s’agit des véhicules du type vélo à assistance électrique, tricycle, vélo mobile, triporteur, mini voiture…
Cette Note est actuellement ouverte à la co-construction citoyenne. Ceci signifie que chacun(e) peut contribuer à son amélioration en faisant des commentaires et surtout en proposant des amendements précis, soit ci-dessous ou par email à l’adresse contact@lafabriqueecologique.fr. À l’issue de cette période collaborative, le groupe de travail qui a rédigé le document initial se réunira une dernière fois pour retenir les amendements jugés pertinents. Leurs auteurs seront dans ce cas sollicités pour que leur nom figure, s’ils le souhaitent, dans la fiche de présentation de la note en tant que contributeur. La version définitive sera ensuite publiée.
Synthèse
Aujourd’hui, le système automobile fondé sur la vitesse est devenu insoutenable : des déplacements de plus en plus longs et lointains, des ménages de plus en plus motorisés, des véhicules de plus en plus lourds, des conséquences écologiques considérables, des modes de vies vécus comme trop intenses, mais aussi des inégalités sociales et des coûts pour les individus et la collectivité qui ne peuvent plus être ignorés, notamment après la crise énergétique survenue en 2022. Face à ces défis, l’électrification des véhicules est aujourd’hui au cœur des politiques publiques qui la considèrent comme le levier prioritaire, notamment pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des transports, premier secteur émetteur en France. Pourtant, l’entrée par la technique ne suffira pas, d’une part parce qu’elle n’apporte pas de réponse aux autres impacts écologiques et sociaux des transports routiers de personnes (étalement urbain, sédentarité, coût économique élevé, etc.), d’autre part parce que l’électrification accentue d’autres pressions environnementales. D’autant plus que le scénario de référence présenté par RTE en 2021 indique que l’électrification des transports sera le premier facteur d’augmentation de la consommation d’électricité à horizon 2050, impliquant de développer à un rythme effréné les énergies renouvelables et/ou le nucléaire. À rebours de la dynamique actuelle consistant à vendre toujours plus de lourds SUV, y compris électriques, une autre voie est possible : organiser la réduction du poids des véhicules. En complément des transports collectifs, de la marche et du vélo, une nouvelle offre alternative à la voiture doit être développée : les véhicules légers, moins coûteux, dont les besoins en énergie (électrique ou humaine) sont inférieurs, et parfaitement adaptés à de nombreux trajets. Les véhicules légers existent déjà mais ne sont pas encore suffisamment connus et déployés. Cette note a pour objectif de les présenter et de faire le point sur les actions à mettre en œuvre pour les diffuser. Ce sont des véhicules de moins de 500 kilogrammes qui roulent généralement à une vitesse maximum de 50 km/h et émettent peu de CO2, aussi bien lors de leur utilisation, car ils sont mécaniques ou électriques, que sur l’ensemble de leur cycle de vie grâce à une production locale et à une plus grande réparabilité. Ce sont des véhicules qui permettent de faire plus de choses que le vélo (équilibre, vitesse, effort, transport de charges ou de personnes, …) mais davantage en proximité que la voiture telle qu’on la connait aujourd’hui. Leur production et leur réparation pourrait s’appuyer sur un système décentralisé et issu d’une hybridation entre l’industrie (pour la production des composants) et l’artisanat (pour l’assemblage et la réparation). Au-delà de leur conception, pour favoriser le développement d’une mobilité sobre et d’un système modal réellement alternatif à la voiture, ces véhicules légers devront s’inscrire dans une réorganisation du territoire pour limiter le nombre et la portée des déplacements, et dans un nouvel imaginaire de la mobilité abandonnant la vitesse et la performance.Propositions
Pour impulser le développement et la diffusion de véhicules légers, le groupe de travail propose :- #1 – D’instaurer un véritable bonus-malus sur le poids des véhicules, condition nécessaire à l’essor des véhicules intermédiaires.
- #2 – D’organiser des « rencontres nationales et translocales des véhicules légers ».
- #3 De mettre en place une « maison de la mobilité » à l’échelle de chaque commune ou intercommunalité selon la taille.
Un véhicule léger…
- de quoi s’agit-il ?
- Une extension du vélo, plus polyvalente, et une simplification de la voiture, plus sobre.
- combien ça pèse ?
- Moins de 500 kilos.
- à quelle vitesse peut-on rouler avec ?
- Jusqu’à 50km/h.
- quelle motorisation ?
- Mécanique ou électrique.
- qui peut s’en servir ?
- Les 30% de la population qui pratiquent déjà l’ensemble de leurs activités à moins de 9km de leur domicile ; les 60% de personnes en emploi qui ont des trajets domicile-travail de moins de 9 km ; les 23% de travailleurs effectuant des déplacements professionnels quotidiens ou occasionnels ; les familles avec 2 à 3 enfants ; les personnes à mobilité réduite nécessitant un véhicule plus adapté que le vélo pour se déplacer ; …
- combien ça coûte ?
- De 1 500 à plus de 10 000 euros selon le type de véhicule (autour de 1 500 euros pour un vélo électrique, 3 500 euros pour un vélo cargo, 4 000 pour un triporteur et 10 000 pour une voiturette).
- pour quels usages ?
- Pour les déplacements de la vie quotidienne en proximité : aller au travail, faire ses courses, transporter du matériel, accompagner des enfants, des personnes âgées, etc.
- comment les déployer ?
- Mettre en place un bonus-malus sur le poids des véhicules, organiser la filière de production et de réparation, mettre à disposition des véhicules légers à l’échelle des collectivités et accompagner les individus dans leurs changements de pratiques.
Introduction
Polluante, de plus en plus coûteuse, et pourtant toujours indispensable dans de nombreux territoires, la voiture individuelle reste hégémonique. Son électrification est au cœur des politiques publiques de transition écologique des mobilités. Pourtant, remplacer les moteurs thermiques par des moteurs électriques toute chose égale par ailleurs ne suffira pas à réduire suffisamment les nombreuses nuisances associées à la production et à l’usage des véhicules : les émissions de gaz à effet de serre (GES) tout comme la pollution atmosphérique – cette dernière étant pour moitié causée par l’abrasion des freins et des pneus – resteront trop importantes, la fabrication des batteries génèrera des pollutions nouvelles et délocalisées et une compétition internationale pour l’accaparement des ressources minières, la fatigue et la sédentarité générées par les dizaines d’heures par semaine passées au volant d’une voiture continueront de dégrader les conditions de vie des usagers. De plus, l’hypothèse de toute chose égale par ailleurs est bien éloignée de la réalité : le poids des véhicules neufs continue d’augmenter et avec lui les émissions de CO2 des véhicules, faisant des SUV les véhicules les plus vendus, et les kilomètres parcourus continuent de croitre, tandis que le prix des carburants s’envole. Cette dépendance à la voiture a été engendrée par des décennies d’aménagement du territoire favorisant l’étalement urbain et de productions culturelles et de publicités créant « l’idéologie sociale de la bagnole » (Gorz, 1978). Elle génère aujourd’hui un problème politique majeur : les modes de vie sont organisés autour de véhicules lourds devenus insoutenables écologiquement et en passe de le devenir économiquement pour une grande partie des ménages. En France, le gouvernement, effrayé par la perspective d’un mouvement social de l’ampleur de celui des Gilets Jaunes – initié à l’époque contre l’augmentation du prix des carburants – est prêt à dépenser 7,5 milliards d’euros sur l’année 2022. Il agit à rebours de l’impératif partagé par l’ensemble de la communauté scientifique de stopper les subventions aux énergies fossiles. Pour sortir de cette impasse, il est indispensable de réduire à la fois les déplacements et le poids des véhicules, impliquant de réduire leurs performances, à rebours des tendances actuelles. Dans le premier cas, il est nécessaire de modifier en profondeur les modes de vie et l’aménagement du territoire, en s’appuyant sur les aspirations des personnes tout en préservant le droit à un exercice concret d’une liberté de mobilité pour tous. Dans le second cas, il faut concevoir des véhicules beaucoup plus légers, éco-conçus, réparables, facilement recyclables, modulables et inclusifs, avec une gamme pensée pour pouvoir être utilisée par des personnes à mobilité réduite, qui sont les parents pauvres des politiques de mobilité. Cette note met en évidence la diversité des véhicules légers, intermédiaires entre le vélo et la voiture, qui pourraient être utilisés en alternative à cette dernière. Une pluralité de termes est utilisée pour les désigner. Le sujet étant émergent, aucune appellation ne fait consensus ni n’est stabilisée. Le terme « véhicule intermédiaire », de plus en plus utilisé (voir le dossier « L’avenir des véhicules intermédiaires » de la revue Transports urbains[[L’avenir des véhicules intermédiaires, Transports urbains, 2022/1, n°141]]), donne une définition en creux, par comparaison de ces véhicules avec le vélo et la voiture. Le terme « véhicule low-tech », renvoie au caractère « utile, accessible et durable »[[Définition des low-tech par le Low-tech Lab]] qu’ils peuvent revêtir, mais son anglicisme peut rebuter. Le terme « véhicule léger et ultraléger » permet de faire référence au critère le plus pénalisant écologiquement pour une voiture : son poids. L’acronyme LEV (pour light electric vehicles) utilisé par un groupement d’industriels européens, restreint les modes intermédiaires aux véhicules électriques. Enfin, le terme « mobilité sobre » permet d’englober la nécessité de repenser les moyens et la finalité des déplacements. Si le choix du terme le plus judicieux pour décrire ces nouveaux engins est si difficile, c’est qu’il convient en réalité de sortir des catégories usuelles de « voiture » et de « vélo ». Alors que certains technophiles aimeraient faire décoller la voiture ou la rendre entièrement autonome, il faudrait à l’opposé la faire « atterrir » au sens de Bruno Latour, c’est-à-dire l’ancrer dans les limites planétaires, aussi bien en termes d’émissions de GES que d’utilisation des ressources. Quant au vélo, qui répond bien aux critères d’une mobilité écologique, il pèche parfois par son manque d’inclusivité et de polyvalence. Dans une première partie, cette note dresse l’état des lieux d’une mobilité toujours plus écrasante écologiquement et socialement. Dans une seconde partie, elle présente les véhicules légers comme autant d’alternatives écologiques, économiques, inclusives et bonnes pour la santé. Enfin, dans une troisième partie, elle développe trois propositions qui permettraient de mettre en place de réelles alternatives à la voiture individuelle telle qu’on la connait aujourd’hui qui viendraient en complément des transports en commun, du vélo et de la marche.Sommaire
I. Un système automobile devenu insoutenable- I. Une mobilité accrue aux conséquences écologiques et sociales colossales
- A. Des déplacements de plus en plus rapides, de plus en plus longs, et des ménages de plus en plus motorisés
- B. Des modes de vie structurés par la mobilité
- C. Des conséquences écologiques désastreuses
- D. Les inégalités sociales en matière de mobilité
- E. La voiture : un coût important pour les individus et pour la collectivité
- F. Des modes de vie trop intenses
- II. Une approche s’appuyant sur le progrès technique et la croissance des déplacements
- A. Le levier technologique privilégié au détriment de l’évitement des déplacements
- B. Le véhicule électrique au cœur des politiques publiques de mobilité
- I. Des véhicules légers et ultralégers pour répondre aux besoins
- II. Le développement d’un système modal, d’un urbanisme, d’un système de production et d’un imaginaire alternatifs pour accueillir les véhicules légers et réduire la portée des déplacements
- A. Le développement d’un système modal alternatif pour favoriser les véhicules légers
- B. L’aménagement du territoire pour réduire les déplacements contraints
- C. Un système de production et de réparation alternatif
- D. Sortir de l’imaginaire de la vitesse et de la puissance
- I. Instaurer un véritable bonus-malus sur le poids des véhicules, condition nécessaire à l’essor des véhicules intermédiaires.
- II. Mettre en place des « rencontres nationales et translocales des véhicules légers »
- III. Mettre en place une «maison de la mobilité» à l’échelle de chaque commune ou intercommunalité selon la taille
- I. Différentes analyses d’impacts du véhicule électrique
- II. Une typologie de véhicules intermédiaires
- III. Les quatre constituants d’un système modal