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Le Cauvery : bienvenue dans le bordel indien !

Une analyse des projets de coopération transfrontalière autour des ressources en eau à suivre sur Cdurable.info

Le problème du Cauvery, lorsque l’on commence à s’y intéresser, semble des plus simples : la quantité d’eau disponible dans le fleuve est connue, et nécessite d’être partagée entre des Etats dont les besoins ont été maintes fois évalués. Alors pourquoi ne pas faire une division bête et méchante en fonction de la surface et des besoins de chacun ? Répondre à cette question nous a pris deux mois.

Srirangapatnam - Temple sur  l'eau (33)
Srirangapatnam – Temple sur l’eau (33)
Comme de nombreux fleuves interétatiques en Inde, l’histoire du Cauvery est complexe. Et parce que « Water is a matter of States in India » (L’eau est une affaire d’Etats en Inde), il incombe au Karnataka et au Tamil Nadu, deux Etats aillant des ressentiments historiques l’un envers l’autre, de régler leurs différends. Tous les ingrédients sont rassemblés pour un conflit qui dure encore aujourd’hui et depuis plus de 125 ans.
Le Cauvery s’étend sur une longueur de 765 km (soit presque deux fois la longueur du Jourdain) à travers les plateaux du sud de l’Inde, dans les Etats du Karnataka, du Kerala, du Tamil Nadu et du Pondichéry avant de se jeter dans la Baie du Bengale.
Le Cauvery s’étend sur une longueur de 765 km (soit presque deux fois la longueur du Jourdain) à travers les plateaux du sud de l’Inde, dans les Etats du Karnataka, du Kerala, du Tamil Nadu et du Pondichéry avant de se jeter dans la Baie du Bengale.

Quelle prise de tête !

Le Cauvery s’étend sur une longueur de 765 km (soit presque deux fois la longueur du Jourdain) à travers les plateaux du sud de l’Inde, dans les Etats du Karnataka, du Kerala, du Tamil Nadu et du Pondichéry avant de se jeter dans la Baie du Bengale. Comme de nombreux fleuves interétatiques en Inde (cf article « Les conflits interétatiques liés à l’eau »), son histoire est complexe. Il faut dire que la constitution indienne définit l’eau comme une affaire d’Etat. C’est d’ailleurs la première phrase qui a martelé tous nos rendez-vous dans la région : « Water is a matter of States in India ». Le Gouvernement indien n’a un pouvoir que très limité quant aux fleuves interétatiques. Ce sont donc au Karnataka et au Tamil Nadu, deux Etats aillant des ressentiments historiques l’un envers l’autre, de régler leurs différends. Le problème, lorsque l’on commence à s’y intéresser, semble des plus simples : le fleuve est une ressource commune, dont la quantité d’eau disponible est connue, et nécessite d’être partagée entre des Etats dont les besoins ont été maintes fois évalués. Alors pourquoi ne pas faire une division bête et méchante en fonction de la surface et des besoins de chacun ? Répondre à cette question nous a pris deux mois. En premier lieu, les Etats ont signé deux accords, en 1892 et 1924, qui les ont liés l’un à l’autre tout en installant une relation déséquilibrée. Le Tamil Nadu, avantagé par ce Status-quo, voulut par la suite le maintenir coûte que coûte tandis que le combat du Karnataka, en parallèle, fut de le modifier. Ajoutons à cela un développement fluctuant, le Tamil Nadu ayant une économie essentiellement et historiquement basée sur l’agriculture, tandis que le Karnataka s’est développé plus récemment, notamment grâce à l’informatique dans la ville de Bangalore. Géographiquement, le Karnataka est un Etat montagneux, lui permettant la construction de barrages et donc le stockage de l’eau, tandis que le Tamil Nadu est plat, limitant l’établissement d’infrastructures mais permettant l’irrigation. Tous les ingrédients sont rassemblés pour un conflit qui dure encore aujourd’hui et depuis plus de 125 ans.

L’histoire d’une dispute

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Le conflit autour du Cauvery remonte à 1892, alors que le Karnataka était encore appelé Etat de Mysore et que le Tamil Nadu était sous la Présidence de Madras. Le 18 février, les deux Etats signèrent l’Accord de Madras-Mysore imposant à l’Etat en amont (Mysore) de demander l’accord de l’Etat en aval (Madras) pour tout projet d’irrigation. C’est là que les ennuis commencèrent, posant le fleuve dans une situation similaire à celle du Nil, où l’Egypte impose ses conditions aux pays en amont. En 1924, un second accord, autour de la construction de deux barrages majeurs, KRS et Mettur, fut signé pour une période de 50 ans. Les 50 ans qui suivirent furent loin d’être de tout repos : l’indépendance de l’Inde transforma Mysore et Madras en les actuels « Tamil Nadu » et « Karnataka » et impliqua deux nouveaux acteurs : les Etats du Kerala et de Pondichéry. Au bout de 25 ans, n’arrivant à trouver un accord entre les parties, le Gouvernement Indien et la Cour Suprême constituèrent en 1990 un Tribunal destiné uniquement à résoudre le conflit sur les eaux du Cauvery. Le Tribunal mit 16 ans à exercer ses fonctions. Pendant les délibérations, trois crises sociales majeures survinrent : en 1991, suite au verdict intérimaire, une vague de violences apparut au Karnataka contre les Tamils. Environ 90 000 Tamils furent forcés de fuir le Karnataka. En 1995-96, puis en 2002, les moussons furent particulièrement mauvaises et nombres de fermiers perdirent leurs cultures, entraînant une résurgence du conflit. Le 5 février 2007, le Tribunal a enfin rendu son verdict final. Malheureusement, la satisfaction des deux Etats n’en fut pas repue pour autant puisque tous deux signèrent des pétitions dans la foulée. Au jour d’aujourd’hui, la Cour Suprême doit examiner ces pétitions et demander au Tribunal de revoir son jugement ou non.

Les acteurs du conflit

Au niveau régional, le bassin du Cauvery concerne 4 Etats, mais le Kerala et le Pondichéry ne sont que très peu concernés, rassemblant à eux deux à peine 3% de la zone. Les deux acteurs principaux du conflit sont donc le Karnataka et le Tamil Nadu. La transversalité est un mot entièrement taboo dans ce chapitre. Autant il existait des échanges entre les scientifiques ou les ONG des différents pays, même sur le Jourdain, autant le Cauvery est une vaste page blanche. Certes, certains acteurs provenant des deux Etats se connaissent, voire ont tissé des liens d’amitié, mais dès lors qu’il s’agit du conflit, chacun se recroqueville dans sa coquille. Aucun échange de donnée n’existe, alors ne parlons même pas de réunions communes. Il convient à chacun de défendre son bout de gras.
Inde 570
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En résulte que les méthodes de mesure sont différentes de part et d’autre de la frontière et donc difficilement comparables. Les données sont plus confidentielles que dans n’importe quelle autre zone au monde. Les seules personnes à avoir accès à une image systémique du bassin sont les trois membres du Tribunal, plus certains hauts placés au niveau des gouvernements des Etats et du Gouvernement Central. Pour les autres, rien ne filtre. Ceux qui s’occupent de mesurer le flux mesurent le flux (la Central Water Commission), ceux qui quantifient les besoins en hydroélectricité (Département Industries), en eau potable (Bureaux de drainage et d’approvisionnement en eau) ou en irrigation (« Command Area Development Authority ») font chacun leurs propres évaluations et transfèrent leurs données aux deux organismes étatiques chargés de fournir les dossiers aux avocats des parties : la Cellule Technique du Cauvery (« Cauvery Technical Cell ») au Tamil Nadu et le Comité de Conseil sur le Cauvery («Cauvery Advisory Committee ») au Karnataka. Une fois les dossiers constitués, les avocats plaident en faveur de leurs Etats devant le Tribunal qui est chargé de statuer. Cependant, aucune obligation n’impose aux Etats de fournir des renseignements précis sur, par exemple, le type de cultures qu’ils pratiquent ou la distribution des eaux. Si ces informations tombaient dans le domaine public, comme c’est déjà arrivé en 2006, les acteurs concernés demanderaient avec certitude révision des données et les Etats seraient très probablement critiqués sur leur gestion de la ressource. Il convient à cet égard de faire une légère parenthèse : les cultures prédominantes dans les deux Etats sont le paddy et la canne à sucre, fortement consommatrices en eau. A titre indicatif, 28,3 millions de m3 d’eau ( = 1 tmc ft = 1000 millions de pieds cube) permettent d’irriguer 40 km2 de cultures semi- arides comme le tournesol ou les arachides, et seulement 16 à 20 km2 de riz, de canne à sucre ou de paddy. (Source : Interview avec le Prof. PRACASH, ancien employé du Département des Ressources en eau au Karnataka). Au niveau national, les acteurs principaux sont le Gouvernement central et la Cour Suprême. Le Gouvernement indien, dans le conflit sur le Cauvery, a un pouvoir relativement limité puisque « l’eau est une affaire d’Etats ». Sa principale fonction est la création d’entités agissant sur le conflit, fonction qu’il a exercée à de nombreuses reprises en 1971 avec le Cauvery Fact Finding Committee (CFFC), en 1998 avec le Cauvery Monitoring Committee (CMC)et la Cauvery River Authority (CRA), en 1974 avec la Cauvery Valley Authority (Finalement jamais entrée en fonction) ou bientôt avec le Cauvery Management Board (CMB) réclamé par le verdict de 2007. La démultiplication de ces acteurs n’a cependant pas foncièrement aidé à résoudre le conflit puisqu’à aucun moment les deux parties ne se sont accordées sur leur autorité. Le principal désaccord entre Tamil Nadu et Karnataka au niveau juridique réside dans le pouvoir du Tribunal. C’est le Tamil Nadu qui en premier demanda la création d’un Tribunal indépendant pour gérer le conflit. Ce dernier fut finalement créé en 1990 mais le Karnataka a depuis lors toujours remis en cause ses décisions. La question que nous nous sommes posée est : « Pourquoi n’y a-t-il pas de sanction, comme dans tout autre Tribunal, obligeant les Etats à suivre le verdict émis ?». Justement parce qu’il n’existe pas d’entité ayant autorité sur les Etats, dans la mesure où ils sont les détenteurs du pouvoir sur leurs ressources. Le seul acteur qui pourrait jouer ce rôle est le gouvernement central, mais son pouvoir est trop faible face aux Etats. Economiquement, les taxes apportées par le Karnataka contribuent à hauteur de 20% aux finances nationales. Comment le Gouvernement indien pourrait-il forcer un si gros « investisseur » à agir contre sa volonté ? Le seul moyen serait de modifier la constitution, mais encore une fois, il faut une majorité des deux tiers au Parlement (soit 66 sièges) pour modifier toute loi, chose entièrement impossible à l’heure actuelle puisque le parti politique au pouvoir au Tamil Nadu (Voir la composition du Parlement après les élections de 2009) a plus de sièges que le Karnataka. Le verdict du Tribunal échoue donc lorsqu’il doit être implanté et les Etats font appel à la Cour Suprême pour faire valoir leurs revendications. En ultime recours, c’est aujourd’hui à elle qu’incombe de prendre une décision.

Les éléments de la complexité

Le conflit du Cauvery aurait pu être résolu à de multiples reprises : dès 1990 avec la constitution du tribunal, en 1991 avec le verdict intérimaire, en 1998 au moment de la mise en place de la Cauvery River Authority ou encore en 2007 avec le verdict final. Mais à chacune de ces dates, des paramètres internes ou externes sont venus augmenter le degré de complexité du conflit. Quels sont-ils ? * La divergence d’opinion entre les deux Etats : Le Tamil Nadu et le Karnataka, outre leurs différences culturelles, économiques ou sociales, n’agréent pas aux mêmes bases juridiques autour du conflit. Ainsi, le Tamil Nadu a toujours souhaité la création d’un Tribunal à laquelle le Karnataka s’est toujours opposé, et défendu les accords de 1892 et de 1924 jugés injustes par sa contrepartie. Les Etats avancent tous deux que les acteurs du conflit ne sont pas impartiaux : le Tamil Nadu assure être fusillé par le Gouvernement Central mais aidé par la Cour Suprême tandis que le Karnataka juge le Tribunal injuste à son égard. * Le rôle des différents acteurs du conflit n’est pas clair : La Cour Suprême et le Gouvernement Central pensent le Tribunal à même de faire appliquer ses décisions aux parties. Ce n’est pas l’opinion de l’entité juridique qui se prévaut de prendre des décisions mais de ne pas détenir de pouvoir d’implémentation. Ainsi, la répartition entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est floue. A certaines étapes, la Cour Suprême (pouvoir judicaire) a demandé au Premier Ministre (pouvoir législatif) de prendre en main la dispute. Cela ne rentre pas dans les dispositions de ces acteurs d’exercer de telles fonctions. Ce manque de clarté existe également entre le Gouvernement Central et les Gouvernements des Etats. En résulte un imbroglio juridique qui permet de prendre des décisions mais pas de les appliquer, de poser un verdict qui est continuellement discuté et de repartir à chaque faible mousson au point zéro. * Un manque de volonté politique : En Inde, les partis politiques sont étatiques. Les changements de majorité sont très fréquents et avec eux le revirement d’opinion. Dans les 4 Etats concernés, et a fortiori dans le Tamil Nadu et le Karnataka, le Cauvery est un sujet prédominant au niveau des politiciens. Et c’est là que réside une des causes majeures de la durée du conflit : il règne un manque de volonté politique de mettre fin au débat. Si demain, les Ministres des deux Etats décidaient de s’entendre, le conflit serait résolu en quelques heures. Mais le sujet est trop palpitant pour le laisser s’évader ainsi. Depuis des dizaines d’années, les promesses électorales de la région reposent sur le partage des eaux. Pourquoi le résoudre alors qu’il ouvre aux candidats une porte d’accès au gouvernement ? A aucun moment dans l’histoire de la dispute, une solution purement technique n’a été envisagée. * Certains paramètres n’ont pas été pris en compte dans les discussions : Pendant des décennies, et encore aujourd’hui avec le verdict de 2007, certains aspects n’ont pas été pris en compte ni dans les discussions, ni dans les décisions. C’est le cas par exemple des faibles moussons. Le verdict du Tribunal se base sur une disponibilité de l’eau (« water availability ») de 50%. Si la mousson annuelle n’atteint une disponibilité que de 25%, le partage des eaux n’est pas défini. C’est le cas également des eaux souterraines. Seules les eaux de surface sont prises en compte dans les discussions. Or le bassin forme une entité hydrographique à part entière et certains scientifiques insistent sur la nécessité d’inclure les eaux souterraines dans le débat. Les sources alternatives d’approvisionnement en eau sont également mises de côté. Dans les deux Etats, bien que le Cauvery représente une part importante des ressources, il n’en est pas l’unique.
Trichy - Ammamandapam, temple au bord du CAuvery (3)
Trichy – Ammamandapam, temple au bord du CAuvery (3)
Lire l’intégralité de la newsletter Entre 2 Eaux Le projet « Entre Deux Eaux » est à l’initiative de deux diplômés de l’Ecole supérieure de commerce de Lille (ESC lille), option management de projet, Emeline HASSENFORDER et Benjamin NOURY. « Entre Deux Eaux » est un projet de recherche itinérant au service de l’eau. Afin d’aider les porteurs de projets futurs, Emeline et Benjamin souhaitent analyser les projets de coopération transfrontalière existant dans 11 bassins hydrographiques qu’ils ont préalablement identifiés. Cette analyse leur permettra de comprendre pourquoi ces projets ont réussi ou échoué, quels ont été les obstacles et les risques à leur développement et, finalement, quelles leçons en tirer pour les projets à venir. Dans un deuxième temps, faire prendre conscience au grand public, par l’intermédiaire d’un livre présenté sous forme de carnet de voyage, de l’importance de coopérer autour des ressources en eau : économiser l’eau domestique est une chose, mais accepter que des centaines de migrants climatiques arrivent dans les pays développés parce qu’ils sont victimes de sécheresse ou d’inondation est une problématique d’une autre ampleur. Une prise de conscience facilitée par les témoignages et découvertes de ce voyage Entre Deux Eaux …

 

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