De plus en plus rapides et utilisés lors des crises majeures, les nouveaux moyens de communication peuvent freiner la réponse à la crise, voire la désorganiser.
Par Anouck Adrot, enseignante-chercheuse en systèmes d’information à Télécom Ecole de Management
Il y a pratiquement un an, le 16 mars 2011 au petit matin, je scrutais fébrilement la mise à jour des informations sur l’état du réacteur Fukushima Daiichi. Au travers de divers sites web internationaux, j’assistais impuissante à la valse des possibles.
Fukushima sur Internet, ou la valse des possibles
De mon point de vue, les informations relayées généraient davantage de bruit que
d’éclaircissements : à 9h46 le réacteur entrait en fusion, à 9h54, la situation était maîtrisée, puis vers 10h30, le réacteur devenait de nouveau incontrôlable. Au fur des mises à jour des informations journalistiques, les commentaires fusaient et l’issue de ces évènements restait incertaine.
La situation était encore plus confuse pour TEPCO et GE. Ce que nous avions toujours relayé au champ des scenarii catastrophes se déroulait en temps réel. Ni le gouvernement japonais, ni TEPCO ou GE n’avaient la certitude que le réacteur ne s’emballerait pas.
Comment expliquer qu’avec autant d’informations, les acteurs d’une crise restent plongés dans l’incertitude et la confusion ?
L’utilisation des TIC dans la gestion des catastrophes peut s’avérer… catastrophique !
Ce problème avait déjà été observé avant Fukushima. Comme le suggèrent les rapports sur l’ouragan Katrina de 2005 ou la canicule française de 2003, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont de plus en plus utilisées dans la gestion de grandes catastrophes, avec pour but de transmettre l’information et d’aider à la prise de décision.
Malgré des investissements massifs pour implémenter et paramétrer ces technologies, leur utilisation ne facilite pas le développement d’une compréhension commune de la situation lorsque cette dernière devient critique. En ce sens, l’utilisation des TIC peut peser sur la coordination nécessaire à la réponse aux désastres.
Les auditions publiques qui ont suivi la canicule de 2003 ont mis en évidence que les utilisateurs d’email avaient éprouvé des difficultés à évaluer la gravité de la situation et à comprendre des alertes pourtant explicites. De même, une analyse systématique des emails envoyés et reçus par la FEMA (Federal Emergency Management Agency) a été menée en 2005 par la Chambre des Représentants des États Unis. Ce rapport met en évidence que les emails éludent la question de la coordination des secours. Ainsi les utilisateurs d’email éprouvent des difficultés à affronter les problèmes concrets posés par la crise, alors que, paradoxalement, les TIC sont censés soutenir ce type d’effort.
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.
Les risques liés aux TIC : distorsion de la réalité, mise en scène du professionnalisme, autocensure
Tout d’abord, les utilisateurs font l’expérience de la crise au travers d’un écran, dans un contexte matériel différent de celui des évènements. L’expérience de l’utilisateur sera donc favorable à une interprétation personnelle de la situation. Chacun vit sa crise à sa façon, en fonction de ses impératifs et de son quotidien. Comment coordonner alors des individus qui vivent tous des crises différentes ?
Un autre facteur est celui des stratégies des individus au sein des organisations. Crise ou pas crise, les utilisateurs gèrent leurs communications en fonction des menaces et opportunités qui se présentent au sein des organisations.
Les utilisateurs d’email anticipent le risque inhérent à toute communication électronique. Chaque courrier peut-être facilement transmis à des responsables, des journalistes, ou encore recherché sur le serveur. Face à cette éventualité, les utilisateurs d’email tendent à mettre en scène leur professionnalisme et à s’autocensurer. Ils évitent ainsi d’aborder les sujets qui fâchent, ils transmettent systématiquement les emails, ils déploient des formules attendues. De fait, les décisions cruciales tardent à être prises et les organisations perdent des occasions d’avancer dans la résolution de la crise.
Comprendre les risques liés à l’utilisation des TIC en situation de crise : un enjeu majeur pour les organisations
Les TIC peuvent sauver des vies et des organisations, mais se jeter sur smartphones, emails et réseaux sociaux pour communiquer en situation de crise peut-être propice à une perte de sang-froid, une paralysie ou une escalade dans des interactions sans rapport direct avec l’action.
Les organisations prennent aujourd’hui conscience de ces effets néfastes mais en même temps, serait-on capable aujourd’hui de gérer une crise majeure sans utiliser les TIC ?
Aujourd’hui, on s’interroge encore peu sur les risques liés aux TIC en situation de crise. Un changement de culture doit s’opérer et les organisations doivent anticiper les possibles écueils. Bien que chaque crise soit unique, trouver les ressources pour analyser les difficultés d’utilisation des TIC en temps réel pendant le déroulement d’une crise constitue un enjeu majeur pour les organisations.
Anouck Adrot
Anouck Adrot, enseignante-chercheuse en systèmes d’information à Télécom Ecole de ManagementAnouck Adrot est enseignante-chercheuse au département systèmes d’information de Télécom Ecole de Management. Elle est diplômée de l’Ecole normale supérieure, agrégée d’économie, titulaire d’un doctorat en sciences de gestion de l’université Paris Dauphine et d’un PhD de l’université de Georgia State University. Ses recherches portent sur l’utilisation des TIC en période de crise et plus particulièrement lors de désastres ou de catastrophes naturelles. Plus que les aspects techniques, ce sont les usages qui intéressent la chercheuse et plus particulièrement le concept d’improvisation.
Télécom Ecole de Management
Fondée en 1979, Télécom Ecole de Management est une grande école de commerce publique accréditée AMBA. Elle fait partie des écoles préférées des entreprises qui apprécient sa double expertise en management et technologies de l’information. Télécom Ecole de Management est la business school de l’Institut Mines-Télécom, sous tutelle du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Elle partage son campus avec Télécom SudParis, grande école d’ingénieurs. Dirigée par Denis Lapert, elle compte 1200 étudiants, 73 enseignants-chercheurs et plus de 4000 diplômés.
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