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Au cinéma le 15 septembre

Black Diamond, un conte africain dans l’univers du footbiz

Le film de Pascale Lamche en salles le 15 septembre prochain est une plongée en apnée dans le côté le plus sombre du footbusiness. Là il n’est pas question des millions de dollars qui s’affichent pour les transferts des joueurs les plus quottés, mais de la poignée de dollars qui est extorquée aux malheureux prétendants au miroir aux alouettes du vedettariat assumé qui a donné son visage à l’un des sports les plus populaires de la planète.

Le film tisse la toile d’un réseau international de spéculation et de trafic de jeunes garçons africains, agissant sous l’égide du culte du football mondialisé. Des taudis d’Accra et d’Abidjan aux rutilants temples du sport financés par les pétrodollars, ce film dévoile une corruption et une organisation à des échelles insoupçonnées. La chaîne des intermédiaires n’épargne personne, aucun milieu social, aucune provenance ethnique ne recule devant la possibilité d’extorquer aux siens ou aux autres son bien le plus précieux. Après les matières premières, ce sont à nouveaux les enfants d’un continent que l’on pille. Plusieurs organisations non gouvernementales estiment à plus de 7 000 le nombre de jeunes, pour la plupart clandestins et mineurs, qui ont été abandonnés en France après avoir été abusés par des agents véreux. Mêlant entretiens, documents en caméra cachée, images d’animation, le film de Pascale Lamche se déploie donc d’une façon inédite, loin de la révélation coup de poing qui finirait comme un pavé dans la mare au canard, loin d’une imagerie frappante qui ne se distinguerait pas de celle utilisée publicitairement par la télévision. Black diamond emprunte au registre du conte africain pour rendre à ce continent la justice qu’il mérite, et l’émotion qu’il nous donne. – Consultez le site officiel du film Black Diamonden cliquant ici.

Entretien avec Pascale Lamche

Vous établissez un parallèle dans le titre avec Blood Diamond, le film d’Edward Zwick : est-ce aussi grave que ça ? Pascale Lamche : Le titre complet du film est BLACK DIAMOND : Fool’s Gold. L’idée, c’est que lors de cette recherche frénétique d’un « diamant  » (un garçon qui apportera la fortune à celui qui le négociera), des millions de garçons sont exploités d’une façon ou d’une autre, soit comme victimes de trafiquants et d’agents sans scrupules, soit comme « rebut » de chercheurs de « talents » arrogants. L’or du fou qui est apporté au marché représente tout ce qui brille. Et, sur un terrain de foot, ce qui brille est tout ce qui peut devenir la matière brute de quelque commerce – le plus souvent d’un commerce d’illusions – comme, par exemple : « Tu me paies et je t’emmènerai à l’étranger et te rendrai riche ». La FIFA a aussi récemment condamné ce trafic d’êtres humains comme un nouvel esclavage : qu’est-ce qui l’y a poussé ? Pascale Lamche : Je crois que c’est une question politique. Cela fait longtemps que Michel Platini, de l’UEFA, tire la sonnette d’alarme d’un point de vue morale et éthique. Sepp Blatter ne pouvait pas se montrer indifférent au problème. Je crois que Blatter a aussi été forcé de réagir à cause de certains puissants professionnels d’Amérique latine qui craignent le pillage de leurs talents. Mais, à mon avis, il s’agit là moins d’éthique que d’affaires.
Black Diamond, un conte africain dans l'univers du footbiz
Black Diamond, un conte africain dans l’univers du footbiz
Votre film dévoile une corruption et une organisation à des échelles insoupçonnées. C’est finalement une gigantesque arnaque s’appuyant sur la fascination du foot aiguisée par les médias et dont sont victimes les familles les plus pauvres… Pascale Lamche : Absolument. J’ai voulu commencer le film par le « rêve » d’être un grand footballeur, mais ne m’apparaissait que le désespoir qui nourrissait cette chimère. Celle-ci est bien différente du « rêve » que peut avoir mon neveu de dix ans, en Angleterre, de devenir une star du foot. En Afrique, c’est un désir fou d’échapper à la monotonie et la précarité de la pauvreté, ainsi que le devoir que ressentent de nombreux fils d’améliorer la condition générale de leur famille. Des familles tout entières placent leurs espoirs dans tel ou tel garçon, parce qu’il fait preuve de talent ou se fait aborder par un agent. Elles contribuent financièrement – souvent à hauteur de toutes leurs économies ou en empruntant à des usuriers – pour que le garçon puisse saisir la « chance » qui est censée sauver toute la famille. Le garçon devient un agneau sacrificiel. Quand il se découvre la victime d’une grosse arnaque, souvent il a honte (ou n’a pas les moyens) de rentrer dans sa famille et essaye plutôt d’emprunter une autre voie. Il se trouve alors dans un monde étranger rendu d’autant plus menaçant qu’il est devenu un immigré clandestin. Dans le prologue du film, vous paraissez faire un parallèle entre les stades de foot et les cirques de la Rome antique. Pascale Lamche : Oui. Il me semble que dans un monde où les clivages sont toujours plus marqués entre l’ostentation des riches et la pauvreté, le culte fanatique du football – qui a toujours été le sport du « pauvre » – sert un certain dessein : la même fonction que l’esprit « Du pain et des jeux ! » romain, qui servait à empêcher les masses de se révolter. J’ai trouvé intéressant que les deux principales réalisations architecturales érigées par le premier président de la Côte d’Ivoire indépendante (Félix Houphouët-Boigny) soient un gigantesque stade national de football et la « Plus Grande Cathédrale du monde ».
Black Diamond, un conte africain dans l'univers du footbiz
Black Diamond, un conte africain dans l’univers du footbiz
Certains passages utilisant des images d’animation se réfèrent à un univers de poésie distancié du réel : quelle était votre volonté ? Pascale Lamche : Je voulais apporter une façon différente de voir, qui permette au public de faire une pause pour penser. Nous sommes chaque jour saturés d’images à travers tous les médias. Nous sommes bombardés de « sujets » destinés à une consommation immédiate. Prenez un stade de foot. La plupart des gens associeraient spontanément ce stade, non au pouvoir et à la politique, mais au « sport « . Il y a deux animations dans le film et toutes deux représentent un « rêve » lié au culte du football qui se transforme en cauchemar. La première évoque un désastre dans un stade dont la véritable histoire a été censurée pour des raisons politiques. Elle sert à contextualiser le culte du football dans le milieu africain et à mettre en évidence le peu de cas que l’on fait de la vie des pauvres. C’est à partir de cet état de faits que la tromperie et l’exploitation, qui deviennent le sujet du film, peuvent être comprises.
Black Diamond, un conte africain dans l'univers du footbiz
Black Diamond, un conte africain dans l’univers du footbiz
De nombreux indices jalonnent le film, de la tempête qui chavire les barques aux traces du passage de Barack Obama, multipliant les entrées symboliques dans le sujet du film. Finalement, ce qui vous intéresse semble être avant tout la fascination qui permet l’arnaque… Pascale Lamche : Il y a de multiples niveaux de sens, pas nécessairement tous visibles, mais présents dans les séquences du film. Il est difficile de voir, par exemple, que beaucoup des bateaux de pêche de la première scène au Ghana sont jaunes parce qu’ils arborent le logo de MTN, l’opérateur téléphonique qui sponsorise la Coupe du Monde 2010 et le reality show Soccer Academy. Les bateaux de pêche portent des devises censées protéger les pêcheurs. Mon préféré portait ainsi les mots : Qui est libre ? Il est tiré de l’eau par la force conjuguée de vingt hommes. Des pêcheurs qui s’aventurent dans les eaux dangereuses portent le maillot de foot de Drogba : talisman ou faux Dieu ? Des jeunes garçons portent des t-shirts Obama. Au final, de puissants sponsors des affaires, des célébrités et un président américain superstar se muent en une multitude de talismans – mais la vie des pauvres n’en continue pas moins d’être une lutte désespérée pour survivre d’un jour sur l’autre. Et dans ce contexte – où la télévision satellite peut être payée et regardée collectivement dans des cinémas de fortune diffusant plusieurs matchs simultanément – le culte du football s’est enraciné. Alors qu’à l’époque optimiste de l’après-Indépendance, les garçons et jeunes hommes auraient rêvé d’être agronomes ou ingénieurs pour construire leur pays et seraient allés à l’école, aujourd’hui ils sont hypnotisés par le culte du football. Fréquenter l’école ne semble plus en valoir la peine. Il vaut mieux jouer des heures et des heures au foot, essayer d’améliorer son jeu et espérer se faire remarquer par un « débusqueur » de talent. Comme nous le dit le vieux Nabi : « Sans développement, sans progrès, sans changement » depuis l’Indépendance, et sans services sociaux, les Africains pauvres sont livrés à eux-mêmes. Pacifiés aussi par la religion puisqu’ils pensent généralement que Dieu détermine leur destin, ils sont prêts à saisir n’importe quelle chance de croire. Le message américain selon lequel il ne faut que croire suffisamment en soi pour réussir a été entendu. Ce terrain d’ignorance et de souffrance fait les choux gras des agents sans scrupules et des riches « débusqueurs » de « talent » étrangers. En sous-titrant votre film « L’or des fous » et en le terminant sur des scènes d’orpailleurs, vous suggérez que l’appât du gain conduit à une folie collective, mais les jeunes sont recrutés parmi les plus pauvres, dont la motivation est simplement de sortir de la misère… Pascale Lamche : Nous avons filmé dans une mine de galampseys, des mineurs « illégaux » qui creusent une terre qui leur est offerte par des chefs tribaux mais qui est en fait la « propriété » de grandes compagnies minières. C’est un travail dangereux, désespéré. Mais métaphoriquement, ce que je souhaitais exprimer était plus le fait que, sur le marché de la chair humaine, ceux qui exploitent les rêves trompeurs d’un eldorado des stades, cherchent à vendre n’importe quoi. Ces agents savent bien qu’ils ne peuvent vendre professionnellement qu’une infime partie de ces garçons, alors ils leur vendent un faux rêve pour une énorme somme. Plus la somme et le sacrifice qu’ils demandent à la famille sont élevés, plus elle y croit.
Black Diamond, un conte africain dans l’univers du footbiz
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C’est finalement une arnaque vieille comme le monde, mais qui prend des dimensions industrielles à l’ère des pétrodollars ! Pascale Lamche : J’ai été choquée d’entendre le directeur européen d’Aspire Football Dreams, me dire que lorsqu’il a découvert un « diamant » au Sénégal parmi les cinquante garçons qu’on lui présentait, sa réflexion immédiate a été : « Qu’est-ce qui se passerait si j’en passais 700 000 au crible ?!!! ». Le Sénégalais dont il parle a été amené à l’Académie junior du F.C. Barcelone, a pris la nationalité espagnole et est maintenant « le meilleur joueur d’Espagne ». Ça représente beaucoup d’argent. Les gens qui injectent des pétrodollars dans ce qu’ils appellent « la plus grande chasse au talent du monde » pour trier 700 000 garçons des pays du Sud, prétendent vouloir aider leur développement. D’autres y voient plutôt un pillage. Quand il y a argent, il y a protection et méfiance : vous avez dû utiliser une fois une caméra cachée, mais sinon avez-vous rencontré beaucoup de réticences à être filmé ? Pascale Lamche : Avec les gangsters, une fois que j’ai eu le bon contact pour accéder à eux, j’ai simplement utilisé leur narcissisme. Ils croyaient que je m’intéressais à eux en tant qu’agents de bonne foi. Et ils se sentent de toute façon très en sécurité. Personne n’est sur leur dos (sauf Anas). La plupart de ceux qui se livrent au business du football dans les pays où j’ai tourné savent qui contrôle ce commerce, certains en bénéficient à un moment où un autre et les autorités font mine de ne rien voir pour toutes sortes de raisons, dont la moins critiquable est l’idée fausse que certains garçons pourront se faire une vie meilleure « de l’autre côté ». Les trafiquants sont aussi protégés par la communauté, qui les considère comme une issue pour sortir de la misère. Quant aux plus gros bonnets, il a fallu faire montre de beaucoup de persuasion parce qu’ils n’ont jamais permis à quiconque de les filmer auparavant. Et il y a plusieurs strates à ce sujet, que seuls de courageux journalistes d’investigation pourront mettre à jour, si ça les tente. Propos recueillis par Olivier Barlet (Africultures), mai 2010

Pour aller plus loin, un livre : la face cachée du foot business

Par Jérôme Jessel : « Argent sale, matchs truqués, détournement de fonds sur les transferts de joueurs, trafic d’êtres humains… Les affaires nous le rappellent chaque jour avec cruauté : le foot business ne tourne plus rond. Sport aux lois universelles, le football est aussi devenu une activité économique majeure. Au cours des vingt dernières années, l’explosion des droits TV a été d’une intensité folle. Quant au marché des transferts, il ne cesse de repousser les limites du réel avec des joueurs comme le Portugais Cristiano Ronaldo acquis par le Real Madrid 94 millions d’euros, plus cher qu’un Airbus A 321. L’état de santé du footbiz, rongé par la cupidité et la corruption, justifierait une admission aux urgences. Sous toutes les latitudes, ses acteurs, dirigeants, joueurs, diffuseurs, ont cédé aux sirènes de l’argent facile. Victimes de leur succès, ces nouveaux seigneurs se livrent des combats féroces afin de sauvegarder leurs intérêts. Comment une société peut-elle fonctionner quand un joueur perçoit en un mois ce qu’un simple salarié mettra toute une vie à gagner. Comment comprendre que des présidents de clubs s’octroient des salaires dignes de patrons du CAC 40 quand les bilans comptables des clubs de foot affichent des déficits abyssaux ? Comment admettre que des agents véreux jouent aux maquignons à travers la planète en promettant monts et merveilles à de jeunes joueurs ? Des proies bien faciles et dociles ne rêvant qu’à une seule chose : sortir leur famille de la misère où ils sont nés. Mais le foot avant d’être un ascenseur social doit rester un sport, ce jeu populaire et magnifique qui apprend le dépassement de soi et la générosité. Considéré comme un Eldorado, il s’imposera immanquablement un miroir aux alouettes, voire un enfer pour beaucoup ».

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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