Cette étude « Dans la tête des éco-anxieux », de la Fondation Jean-Jaurès réalisée en partenariat avec le Forum français de la jeunesse, a pour ambition d’étudier les ressorts personnels et intimes qu’implique la certitude du dérèglement climatique et la manière dont cette dernière affecte leur rapport aux autres et à leur famille, la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’avenir. Ce rapport revient également sur les engagements civiques et politiques que cela implique, les choix d’alimentation et de consommation, ou encore de mobilités.
Synthèse
Cette enquête repose sur une série d’entretiens conduits par la Fondation Jean-Jaurès et le Forum français de la jeunesse auprès de 34 individus résidant en France et âgés de 18 à 30 ans. Parmi eux, on compte un groupe principal de 30 répondants particulièrement préoccupés par la perspective du dérèglement climatique. L’étude permet de mieux saisir l’état d’esprit des jeunes éco-anxieux et la manière dont ils perçoivent l’aspect personnel, intime, collectif et politique de l’imminence du réchauffement et de ses conséquences.L’éco-colère à l’égard de « ceux qui ont le pouvoir »
La colère constitue l’émotion la plus partagée par les éco-anxieux du panel. Cette « éco-colère » naît de la dichotomie entre, d’une part, le sentiment d’urgence des répondants ainsi que leur engagement personnel et, d’autre part, le constat qu’ils font d’une relative inaction à l’échelle collective, dans leur cercle proche, sur leur lieu de travail et dans la vie publique. Leur irritation se dirige principalement contre « ceux qui ont le pouvoir », décideurs publics et privés.Un « bruit de fond » latent depuis l’enfance : permanence des enjeux climatiques à l’esprit des 18-30 ans
Les entretiens conduits ont permis d’illustrer la diversité de parcours et d’expérience qui fait croître la préoccupation climatique des individus du panel. Certains font état d’un déclic soudain, comme l’émergence du mouvement Fridays for future en 2018. La majorité du panel soulignent toutefois la montée progressive de leur préoccupation au regard de la prégnance des enjeux climatiques depuis l’enfance dans leur cercle familial, leur parcours scolaire et l’actualité, sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels. La moitié du groupe d’étude fait état du rôle de leurs parents dans leur sensibilisation aux enjeux environnementaux. 11 répondants datent le début de leur préoccupation au lycée.Vers la formation d’une stratégie carbone individuelle
Les éco-anxieux font de leurs préoccupations un moteur à l’action environnementale. Pour prioriser les changements de comportements à opérer dans leur vie quotidienne, ils établissent une hiérarchie entre l’impact environnemental des actions à mener et leur capacité à les mettre en œuvre selon leurs revenus, leurs fréquentations, leur activité professionnelle, leurs études et leur lieu de vie. Ils procèdent ainsi à une planification des écogestes à adopter dans le temps, ce que nous avons désigné comme le développement d’une stratégie carbone individuelle. Ainsi, à titre d’exemple, 70 % des répondants du groupe d’étude pratiquent un régime alimentaire réduisant ou restreignant les produits carnés, geste qui compte parmi ceux ayant le plus de répercussions sur la réduction de l’empreinte carbone.« Dans quel monde va-t-il vivre ? » : la structure argumentative du projet parental des éco-anxieux à l’étude
En France, 37 % des 16-25 ans hésitent à avoir des enfants face à la perspective du changement climatique. Une indécision largement présente dans le panel, où trois arguments sont cités en faveur d’une renonciation au projet parental. Il s’agit tout d’abord de préserver « les générations futures » et ses enfants à naître d’un monde aux conditions de vie incertaines. Puis de limiter sa propre empreinte sur le climat, la naissance d’un enfant étant perçue comme une contribution potentielle à la surpopulation. Enfin, 9 répondants, soit près d’un tiers du groupe d’étude, en viennent à interroger les raisons qui les amènent à souhaiter avoir des enfants : face aux conséquences du dérèglement, le désir de fonder une famille apparaît alors « égoïste », relevant de la satisfaction d’un besoin personnel.In fine, seuls 3 répondants du panel affirment renoncer à avoir des enfants pour des raisons climatiques.
Le raisonnement de la renonciation est, dans le reste du panel, mis en regard d’une série de pensées positives, parmi lesquelles l’espoir d’un changement de situation sur le plan climatique ou encore que ces futurs enfants deviendront « des militants » en plus pour la cause environnementale. Les répondants qui décident d’avoir des enfants font enfin état d’une priorisation de leur projet parental sur leurs convictions et appréhensions.Introduction
Pouvons-nous affirmer de manière rationnelle que nous allons réussir à limiter le réchauffement dans la limite de 1,5°C à 2°C ? Sommes-nous confiants dans la capacité de notre société à s’adapter pour sauve- garder notre qualité de vie dans un monde en proie au réchauffement ? À ces questions, deux tiers des Français tendent à répondre de manière négative. 64 % d’entre eux estiment que les conditions de vie deviendront bientôt « extrêmement pénibles » à cause des dérèglements climatiques[[Représentations sociales du changement climatique : 22e vague du baromètre, Agence de la transition écologique (ADEME), octobre 2021.]]. Pour la génération née dans les années 1990 et 2000, cela signifie porter la charge d’une vie à construire à travers les bouleversements induits par ces dérèglements. Un avenir dans lequel l’été 2022, ses vagues de chaleur record, sa sécheresse et ses incendies constitueront un « été normal » en milieu de siècle[[« Changement climatique : l’été 2022 et ses extrêmes météorologiques pourraient être la norme après 2050 », Météo France, 30 août 2022.]] selon Météo France. En ce sens, cette classe d’âge plaçait début 2022 l’environnement parmi ses premières préoccupations – 38 % des 18-24 ans et 36 % des 25-34 ans le désignent comme l’un des sujets prioritaires pour eux – dans une proportion supérieure au reste de la population française (29 %) [[Enquête électorale française, vague 5, enquête Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde, 11 février 2022.]]. Le Forum français de la jeunesse et la Fondation Jean-Jaurès ont entrepris d’explorer la vision du monde développée par des jeunes exprimant une préoccupation climatique particulièrement aiguë. Ces témoins résident en France et sont âgés de dix-huit à trente ans. Ensemble, ils forment un panel d’éco-anxieux issus de tous les milieux géographiques et sociaux. Dans leur diversité, leurs propos permettent de recomposer l’état d’esprit d’une génération face à la perspective d’un monde dont ils anticipent avec angoisse les bouleversements. Nous avons étudié les ressorts personnels et intimes qu’implique la certitude du dérèglement climatique et la manière dont cette dernière affecte leur rapport aux autres et à leur famille, la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et leur vision de l’avenir, leurs engagements sur les plans civique et politique, la manière qu’ils ont de consommer et de se nourrir ou encore de se déplacer au quotidien. Ce portrait est celui d’une avant-garde : des personnes de tous horizons caractérisées par leur conscience des conséquences critiques du change- ment climatique. De par leur jeunesse, ils font face à une équation difficile : travailler à préparer leur avenir personnel au sein d’une société qu’ils perçoivent comme dysfonctionnelle, puisqu’elle ne semble pas avoir pris pleinement conscience de l’urgence à laquelle elle fait face.« Dans la tête des éco-anxieux »
« Dans la tête des éco-anxieux »Conclusion
Face au dérèglement climatique, les défis de l’ajustement
Les éco-anxieux de notre panel se démarquent par de nombreux traits communs. Ils partagent une même colère vis-à-vis de « ceux qui peuvent » agir efficacement pour limiter le réchauffement climatique. Ils ressentent une angoisse commune face à ce que sera leur monde pour les décennies qu’il leur reste à vivre. Une perspective encore assombrie lorsqu’ils pensent au monde dans lequel leurs enfants feront leur vie. Enfin, ils forment également une communauté surengagée, unanimement mobilisée à titre personnel et de manière plus éparse sur les plans collectif ou politique. Les jeunes Français concernés par notre étude passent dans leur cycle de découverte par une intense phase d’information. Ils empruntent pour cela un parcours itératif entre médias traditionnels, réseaux sociaux, publications scientifiques et cercles proches ou militants. Les présents travaux tracent ainsi le portrait d’une avant-garde, un groupe particulièrement conscient des effets du dérèglement climatique. Dans ce cheminement, leur niveau de préoccupation s’est accru progressivement tout en relevant de déclics successifs. Parmi la liste des facteurs qui provoquent ou avivent la prise de conscience, on a listé la confrontation avec un événement climatique extrême, le constat d’un changement de son environnement naturel ou encore un fait d’actualité dans la sphère publique ou politique. L’été 2022 a conjugué l’ensemble de ces éléments anxiogènes. La multiplication des vagues de chaleur a provoqué des incendies inédits par leur ampleur. Et en bout de chaîne, la réaction du coach du PSG, Christophe Galtier, à la polémique déclenchée sur les déplacements en avion de son équipe donne à voir l’intense frustration qui saisit les éco-anxieux lorsqu’ils s’échinent par leurs actes individuels à réduire leur empreinte carbone alors que les élites économiques, médiatiques ou encore sportives s’entêtent à ne pas comprendre le sentiment d’urgence qui les étreint. L’éco-anxiété n’est pas une pathologie. Elle est le symbole d’une prise de conscience salutaire dans une société qui ne semble pas, pour les répondants du panel, comprendre les enjeux. Il n’existe pas encore de consensus sur le nombre de Français qui pourraient se considérer comme éco-anxieux. Il y a toutefois fort à parier que leur nombre va croissant, comme le démontre leur préoccupation grandissante sur ce thème relevée par les études d’opinion[[Depuis plus de dix ans, le changement climatique figure parmi les problématiques mondiales considérées comme les plus sérieuses par les Européens, ce sentiment montant en puissance depuis 2019. Pour aller plus loin, voir : Rémi Lauwerier, Théo Verdier et Yana Prokofyeva, Des Européens éco-anxieux ? Le changement climatique à l’épreuve du quotidien, op. cit., 2022. Voir aussi l’eurobaromètre spécial n°513 sur le changement climatique. Le changement climatique est la deuxième préoccupation des Français derrière la pauvreté, la faim et le manque d’eau potable.]]. En ce sens, ces travaux donnent à voir les ajustements réalisés par des individus aux prises avec leurs paradoxes, partagés entre la nécessité de continuer à vivre dans une société qui consomme plus que ce que la Terre peut leur fournir et la volonté de s’engager pour faire partie de la solution. À tous les éco-anxieux, ces travaux donnent à voir le cheminement que vous ne manquerez pas de parcourir, au moins partiellement, quand il faudra réfléchir aux thèmes abordés ici : vision de l’avenir, engagement, parentalité, consommation… Aux décideurs, cette étude permettra de se projeter dans le quotidien d’une personne particulièrement préoccupée par le dérèglement climatique. Comment perçoivent-ils la transition menée jusqu’ici ? Comment se projettent-ils dans l’avenir ? Font-ils encore confiance au pouvoir transformateur de la politique ?A propos de la Fondation Jean Jaurès
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