Le Comité 21 publie une note sur la Planification écologique « L’avenir heureux (?) au prisme de la sobriété choisie » qui rappelle l’esprit de la planification indicative à la française, passe en revue des exemples européens de planification écologique, analyse l’émergence du Secrétariat général à la planification écologique, et ainsi questionne l’exercice français actuel de plan(s) écologique(s) dans notre pays. La planification-elle à la hauteur des enjeux ? Ne faut-il pas une planification de rupture ?
Le Comité 21 publie une note de Bettina Laville sur la Planification écologique « L’avenir heureux (?) au prisme de la sobriété choisie » qui rappelle l’esprit de la planification indicative à la française, passe en revue des exemples européens de planification écologique, analyse l’émergence du Secrétariat général à la planification écologique, et ainsi questionne l’exercice français actuel de plan(s) écologique(s) dans notre pays. La planification-elle à la hauteur des enjeux ? Ne faut-il pas une planification de rupture ? A l’occasion d’un débat en Assemblée générale le 15 mai 2023, le Comité 21 a présenté ses 10 propositions pour faire évoluer la planification écologique :
On assiste, particulièrement après le COVID, à un « retour de l’idée de planification », comme l’écrit l’économiste Jacques Sapir, qui décrit le regain d’intérêt de la planification indicative, par opposition à la planification centralisée soviétique et souligne « l’étonnante résilience du Plan » ; il examine dans quel cadre institutionnel (national et européen) pourrait s’effectuer son retour en France, et souligne l’importance, pour la réussir, d’institutions démocratiques de régulation du conflit social et de réponse aux défis environnementaux.
Notons d’abord que la planification écologique est un concept inventé ... en 1969 par Ian L. McHarg, [1] qui développe le concept de planification écologique (ecological planning). Cette conception n’a pas prospéré en France et dans un article en date de 1998, [2] Max Falque a bien montré que les documents définissant l’avenir d’une commune pour les 5 ou 10 ans ont été influencés par les seuls urbanistes au lieu des environnementalistes ; d’ailleurs dans la loi du 10 juillet 1976 qui introduisait les études d’impact en France, l’évaluation environnementale concernait seulement les aménagements et les ouvrages sans toucher les documents d’urbanisme ; qui devaient simplement « respecter les préoccupations d’environnement » ; la directive européenne relative à l’évaluation environnementale stratégique des plans et programmes avait donné de l’espoir mais on a vu plus haut les interrogations que suscite son application.
Une fois oublié cet espoir de planification écologique, le terme est revenu à travers différentes propositions associatives ou politiques, avec un débat très riche qui pose d’ailleurs les difficultés et les contradictions d’une époque marquée par les incertitudes, et cependant désireuses de trajectoires vers des directions salvatrices ; mais se posent immédiatement les questions suivantes :
Se pose aussi la question de la temporalité :
Se pose enfin la question de la forme de la planification :
(...)
Très vite, le « manque de plan » s’est fait sentir.
Ainsi beaucoup ont considéré que le Grenelle de l’Environnement, qui souhaitait embrasser tous les champs de la durabilité, aurait dû déboucher sur un Plan environnemental ; ainsi,en 2009, les députés écologistes présentent une proposition de loi concernant « le plan écologique de la Nation », qui eût été chargée de définir des choix stratégiques et des objectifs économiques, sociaux et environnementaux à moyen et long terme, sous forme d’une Loi, afin de définir « les orientations pour certaines interventions publiques et les ambitions environnementales » ; avec la création du Commissariat à la planification écologique en lieu et place du Centre d’analyse, les contrats État- Région étant l’instrument de la mise en œuvre de ce Plan écologique ; et aussi l’organisation de conférences de participation populaire confiée à la Commission nationale du débat public.
En 2012, Serge Orru, alors Président du WWF, alors que le Président Hollande mettait en place les Conférences gouvernementales annuelles, souhaitait y voir « les prémices d’une indispensable planification écologique » [3]
(...)
Le Secrétariat général à la planification écologique a été créé le jour même du discours de politique générale de la Première Ministre, comme signal de début du second quinquennat d’Emmanuel Macron.
Le décret du 7 juillet 2022 crée donc un secrétariat général à la planification écologique qui exerce, sous l’autorité du Premier ministre, les attributions suivantes et nomme en même temps le Secrétaire Général :
On voit que le mot « Plan écologique » n’est prononcé que dans l’intitulé de la structure, et on doit donc en déduire que les « stratégies et plans d’actions », cités, sont les vecteurs de la Planification écologique
(...)
La méthode a été explicité par 3 fois par la Première Ministre :
• La première fois le 21 octobre 2022 par le lancement de « France Nation Verte » : Les objectifs sont construits pour que la France réduise ses émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, conformément à l’engagement pris au niveau européen, et à atteindre la neutralité carbone en 2050, ce que Mme Borne résume « Cela suppose de faire en huit ans plus que ce que nous avons fait en 32 ans. 22 chantiers ont été identifiés, regroupés sous les mêmes chapitres que la Loi Climat Résilience, qui couvrent les domaines de la vie quotidienne : la mobilité, le logement, notre façon de produire et de consommer », auxquels s’ajoutent « la restauration de la biodiversité et de nos écosystèmes (eau, sols, forêts, océans) », chaque chantier se déclinera en « plans d’action », conformément au décret créant le SGPE
• La deuxième fois, le 26 avril 2023, a été présentée la feuille de route du Gouvernement, comportant en 2ème priorité « Planifier et accélérer la transition écologique » : Cette présentation a permis de constater l’imposant travail réalisé par le SGPE, et on remarquera que la planification est l’épine dorsale de la feuille de route dans cette matière, surtout dans les domaines de l’accélération « dans tous les secteurs de la planification écologique pour que les actions engagées depuis le début du quinquennat produisent des impacts concrets » : bien sûr, on sent que la rénovation énergétique est très ciblée, avec les différents plans déjà parus, en particulier de sobriété, et de rénovation énergétique des bâtiments ; en matière d’agriculture et d’alimentation, il a été annoncé « un nouveau contrat entre la Nation et nos agriculteurs en leur demandant d’accélérer la transition, tout en leur donnant des moyens nouveaux pour les accompagner et y parvenir, avec un projet de loi d’orientation agricole sera présenté la rentrée, et aussi un plan Ecophyto 2030 à la rentrée pour renforcer le développement des alternatives aux produits phytosanitaires et poursuivre notre objectif de réduction ».
• Le troisième rendez-vous a été, le 22 mai, la présentation par la Première Ministre des grandes lignes de la planification : Le schéma suivant, présenté au CNTE, donne la mesure de l’effort pour 2030, car il s’agit de respecter l’objectif européen de réduction nette de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990, soit pour la France un objectif national de réduction de 50 % d’émissions brut (sans l’effet des puits de carbone).
Lors de l’Assemblée Générale du Comité 21 Frédéric Glanois, Secrétaire général adjoint du SGPE a précisé la mission des 25 personnes qui appartiennent au SGPE soit d’agir de façon systémique et cohérente sous tous les fronts de la transition, atténuation, adaptation, préservation des ressources, biodiversité et santé-environnement, vers le long terme l’action vers des objectifs « clairs et de long terme ». Il a donné une idée de l’ampleur du travail interministériel, qui reposera sur des hypothèses « connues et assumées, partagées » par tous les ministères, témoignant d’un « accord collectif du gouvernement ».
Illustrant la manière dont le décret est rédigé (stratégies et plans,) le Gouvernement a déjà « sorti » différents plans sectoriels, dont celui sur la sobriété énergétique sur l’eau, celui sur les transports, et aussi de nombreuses mesures sur la rénovation énergétique. Le Plan sobriété énergétique 2 devrait être annoncé avant la fin juin.
Mais le SGPE assume d’avoir passé un an à « traquer dans les services de l’Etat » les nombreux services et « niches » qui travaillaient à des plans sectoriels ou partiels, à des horizons différents, pour que l’exercice de la planification écologique ait vraiment un sens. Quiconque a travaillé dans les services de l’Etat sait la difficulté de l’exercice, d’autant que la complexité des responsables ou services de la planification n’est pas très aidante ... Les schémas en annexe élaborés par le SGPE donnent une idée de la complexité.
Dans l’ensemble, et malgré une impatience certaine sur les résultats des travaux, il nous semble que le SGPE jouit d’un préjugé très favorable de la part des acteurs ; en effet la méthode élaborée, et le choix d’un long terme « scandé » plaisent, et aussi, pour la première fois, la présence de nombreux Ministres mobilisés par exemple dans le dernier CNTE laissent à penser que les enjeux sont aujourd’hui mesurés, même si la société civile regardera à la loupe la véracité et la sincérité des engagements.
Encore une fois, l’exercice est subtil, car il repose aujourd’hui sur un décret, mais pas sur un texte fondateur ; le rapport de Jean Pisani Ferry et de Selma Mahfouz pourrait servir de socle, mais le fait que des Ministres aient écarté d’emblée des propositions de solutions le fragilisent déjà. En revanche, si le Gouvernement n’établissait pas un « socle » fondateur de la planification écologique, il ne manquerait pas d’être interpellé, d’autant qu’un parti important de l’opposition portait la même planification fondée, elle, sur un socle idéologique affirmé [5] . Ainsi, le rapport précité écarte d’emblée le « ralentissement », mais beaucoup d’économistes réfléchissent sur la compatibilité entre une planification dont la devise est d’ « accélérer » (même si on a bien compris qu’il s’agissait d’accélérer le rythme des transitions), et le respect des limites planétaires.
Geneviève Azam fait-elle remarquer que « aucun plan écologique central ne pourra trouver une trajectoire linéaire, connue et « normale » et s’abstraire de la matérialité de notre conditions terrestre, de ses limites et de ses multiples interdépendances (...) la planification est indissolublement liée à l’émergence de sociétés industrielles de masse, à la logistique étatique du temps des guerres industrielles, et à la croissance infinie ».
Ce socle est d’autant plus difficile à construire qu’il doit combiner l’urgence et le long terme, la planification, qui est par essence d’inspiration étatique, et l’aspiration à de plus grandes libertés locales, la prévision, et la réaction aux crises imprévues, a coordination et le pilotage, exercices complémentaires inscrits dans le décret fondateur, mais pas forcément conciliables, la consultation, et la préparation des arbitrages.
Ils affirment que les territoires ayant des potentiels et des besoins différents face à ces objectifs, et ajoutent : « L’Etat, les collectivités, les opérateurs publics et privés, les entreprises, les agriculteurs et les citoyens ont des outils et des compétences complémentaires. Nous devons apprendre à les mobiliser tous en bonne intelligence. C’est l’enjeu de la différenciation des politiques publiques. A partir de priorités nationales, elles doivent s’attacher aux réalités locales en accompagnant les projets développés par les élus et les acteurs qui agissent concrètement dans leurs territoires. »
Bien sûr, le 2 décembre 2022, la première Ministre a affirmé que les CPER sont un moyen de mettre en œuvre la planification écologique dans le cadre de la stratégie France nation verte : « Le principe : filière par filière, territoire par territoire, nous fixer des objectifs, un calendrier et des moyens. Les CPER sont donc des outils de notre planification écologique. » Il n’empêche que l’articulation entre les CPER, en cours de signature, les différents plans nationaux, les SRADDET dont beaucoup sont en révision, reste un vrai défi, d’autant que les nouveaux engagements européens les rendent trop timides pour 2030 ... Ceci est d’autant plus important que, comme le disent les mêmes auteurs, « il faut reconnaître la part essentielle, dans la réalisation des objectifs nationaux de transition, des actions concrètes de réduction carbone et de sobriété qui relèvent des collectivités locales, et concertées par elles avec les habitants et usagers ».
Mais il ne nous semble pas que la prise en compte de différents scenarii ait été esquissée jusque-là dans les travaux ; En cela, les travaux sur l’économie de guerre sont intéressants, car, comme le dit très bien Éric Monnet, « Tout d’abord le terme de planification est présenté comme une solution possible à la crise écologique par la réorganisation de la production et de la consommation en adéquation avec les objectifs de réduction d’émission carbone et de préservation de la biodiversité. La notion d’économie de guerre y est alors quelquefois apposée (ou sous le vocable de « guerre écologique ») pour signifier que, comme lors d’une guerre, toute l’organisation de l’économie doit être tournée vers un seul objectif : la victoire, seule garantie de survie pour la majorité de la population » [6].
On a d’ailleurs beaucoup dit que la politique de réduction des dépenses énergétiques de l’hiver dernier concourrait finalement à la sobriété écologique. « En ce sens, la guerre rencontre l’écologie car elle nous impose de nous passer rapidement d’une ressource dont nous sommes encore trop dépendants, et la sobriété énergétique devient elle-même une condition pour gagner la guerre ». Certes, différents facteurs, comme la guerre d’Ukraine et les crises actuelles remodèlent notre paysage énergétique et poussent donc à une industrie verte, mais il s’agit de planifier à long terme, et, de ce fait, incorporer les aspects positifs pour l’écologie des crises mondiales en esquissant des scenarii pour ceux qui y seraient défavorables.
En avril 2023, le Comité 21 a organisé un webinaire pour analyser la manière dont les scénarios climatiques disponibles sont appropriés et utilisés à l’échelle locale d’un territoire ou d’une organisation.
Avec les interventions de Vincent VIGUIÉ (chercheur au CIRED), Élodie BIA (directrice du bureau OUVERT) qui a témoigné de la transformation de l’entreprise Pocheco et Christophe CHAIX (géographe et climatologue consultant à l’Agence Alpine des Territoires AGATE – CPIE de Savoie).
Un webinaire animé par Guillaume Simonet, expert associé au Comité 21.
[1] Design with Nature Ian L. McHarg 1969 ISBN 0-471-11460-X
[2] Max Falque, L’échec de la planification écologique, Revue Aménagement et Nature, mars 1998.
[3] Dépêche AEF n° 14692 12 sept 2012
[4] Voir la présentation sur la Planification écologique par le Secrétariat général à la Planification écologique
[5] JL Mélenchon affirmait à propos de la planification qu’il prônait : : « Cette bifurcation écologique ne peut se concevoir sans repenser le calcul de la richesse et sa répartition. Celle-ci doit être juste. », et recommandait le protectionnisme écologique
[6] Éric Monnet, Groupe d’études géopolitiques PLANIFICATION ET ÉCONOMIE DE GUERRE FACE À LA CRISE ÉCOLOGIQUE, in « GREEN » 2022/1 N° 2 | pages 50 à 54
[7] http://www.comite21.org/comite21/comite21-en-action.html?id=13715, page 140 38 Les limites de la planification, Jean Teissedre, Hermann Editeurs, 1947, page 272
[8] Les limites de la planification, Jean Teissedre, Hermann Editeurs, 1947, page 272