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Observatoire géopolitique de la durabilité (OGéoD)

Après la dernière parution du GIEC et l’accord Chine / Etats-Unis, le décor pour la conférence de Paris est planté

Par Bettina Laville, directrice de recherche l’IRIS, conseiller d’Etat

Le dernier rapport du GIEC, qui a reçu l’assentiment à l’unanimité des représentants de gouvernements présents‐ comme c’est la règle‐ lors de la dernière session d’approbation à Copenhague, est historique. Derrière les réaffirmations des manifestations très alarmantes du réchauffement sont exprimées deux certitudes : l’urgence et l’ultime possibilité pour l’humanité de redresser la barre. On a pu découvrir dans la presse les mesures publiées par les scientifiques du GIEC : la température moyenne à la surface de la planète a gagné 0,85°C entre 1880 et 2012 ; celle à la surface des océans a augmenté de 0,11°C par décennie entre 1971 et 2010 ; le niveau moyen des océans s’est lui élevé de 19 cm entre 1901 et 2010. Dans la région de l’Arctique, qui se réchauffe plus rapidement que la moyenne de la planète, la surface de la banquise a diminué de 3,5 à 4,1% par décennie entre 1979 et 2012. Tous les indicateurs sont ainsi au rouge.

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A notre sens, deux chiffres illustrent le mieux le caractère inédit et grave du phénomène : – Les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont atteint leurs niveaux les plus élevées depuis… 800 000 ans, ce qui donne la mesure du choc historique actuel dans l’histoire de l’humanité et de la biosphère. – Par ailleurs, limiter à 2 °C le réchauffement global nécessite de limiter les émissions cumulées à environ 2 900 gigatonnes (Gt) de CO2 sur la période 1870‐2100. Or, 2 040 Gt de CO2 ont déjà été émises dans le monde à ce jour. Un tiers des émissions émises l’ont été entre 1870 et 1970 ; un autre tiers entre 1970 et aujourd’hui. Si la même tendance se poursuivait, soit environ 40 Gt de CO2 émises chaque année dans le monde, nous épuiserions en 25 ans ce que nous aurions dû émettre jusqu’à la fin du siècle. La presse américaine s’est fait l’écho des indications très précises, données par les scientifiques, sur les mesures à prendre de manière urgente pour ne pas dépasser les fameux 2°C dans les prochaines années. Si les données ne diffèrent pas par rapport aux premiers volumes du 5e rapport, paru en 2013 et en mars‐avril 2014, les scientifiques du GIEC délivrent deux messages forts : le premier, c’est que, s’il n’était pas « contrôlé », le changement climatique aurait des impacts « graves, étendus et irréversibles ». Le mot « contrôle » renvoie à la nécessité d’adopter des mesures contraignantes dans le futur traité sur le climat. Des quatre scénarii qu’étudie le GIEC depuis sa fondation, le premier est le seul, qui peut assurer une viabilité humaine dans les deux siècles prochains, et même à partir de 2050. Le GIEC affirme que le réchauffement est dû « sans équivoque » aux activités humaines, clôturant ainsi 20 ans de ravages climatosceptiques, qui, dans l’histoire, seront responsables de 20 ans d’atermoiements et de vaines contestations, comme le dit très bien l’Américain George Marshall en avançant que les hésitations depuis le sommet de Rio ont été telles, qu’« il est déjà trop tard » et qu’on pourrait se diriger vers une élévation de la température de 4°C. Mais le GIEC explique aussi que « les solutions sont entre nos mains », en rappelant qu’un effort (certes immense) de changement de modèle économique est possible, sans pour autant compromettre la croissance. Certes, pour ne pas dépasser les 2°C, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote) doivent être réduites de 40 à 70% entre 2010 et 2050, et disparaître totalement d’ici 2100, mais cet effort est quantifié, et ne coûterait pas plus de 0,06 point à la croissance mondiale annuelle, estimée entre 1,6 et 3% au cours du XXIe siècle. Il s’agit donc d’opérer une substitution d’investissements : ainsi ceux effectués dans les énergies pétrolières et charbonnières doivent baisser de 30 milliards de dollars par an pendant vingt ans, et ceux destinés au développement du solaire et de l’éolien doivent être considérablement développés. Dans le rapport du mois de mars, le GIEC avait déjà affirmé que l’adaptation aux changements climatiques se faisait plus aujourd’hui sur « une réaction à des événements passés que sur une préparation à un avenir en évolution ». C’est à la volonté politique, plus encore qu’aux technologies que fait appel le GIEC. Il consacre également une partie de son rapport aux défis futurs des villes, qui devront s’astreindre à des réformes drastiques en matière de technologies dans les bâtiments, de transports, et d’urbanisme, car elles émettent 70% des gaz à effet de serre mais constituent aussi une opportunité d’efficacité énergétique et de décarbonation de l’électricité. Cette estimation de différentiel de croissance doit de plus être nuancée par les bénéfices économiques liés à l’atténuation du réchauffement, préservant les services écologiques, et, comme l’a montré le rapport Stern, en 2006, réduisant les coûts liés à ce dernier‐ estimés à 5.500 milliards d’euros, soit davantage que les deux guerres mondiales ou la grande dépression des années 1930‐. Les conclusions combinées du rapport du GIEC et du rapport Calderon‐Stern, paru en septembre dernier[[Better growth better climate, rapport de la commission présidée par F Calderon et N. Stern paru en septembre 2014.]] visent à améliorer l’attractivité d’un nouveau modèle économique, souvent dénommé « croissance verte », pour les décideurs politiques et économiques. Le Sommet de l’ONU de septembre 2014, comme nous l’avions dit[[Voir Bettina Laville, « Sommet climat de l’ONU : une mobilisation certaine pour une trajectoire incertaine », OgéoD, septembre 2014.]], a montré la mobilisation du monde économique et financier contre le changement climatique. Le rapport du GIEC pour les décideurs énonce que développement économique et décarbonation sont compatibles. Les Européens se sont ainsi engagés le 23 octobre à réduire d’au moins 40% leurs émissions d’ici 2030, à augmenter leur efficacité énergétique et la part des énergies renouvelables d’au moins 27 % par rapport à 1990 ; c’est une dynamique, qui, si elle est un peu « juste » pour contribuer efficacement à l’objectif de 2°C, a le mérite de réaffirmer leur consensus‐ acquis au prix de 1,8 milliard d’euros d’aides financières pour la Pologne d’ici 2030‐ et leur rôle moteur dans la négociation. Alors, faut‐il pour autant être « optimiste » pour la conférence de Paris, ou, plus près de nous, celle de Lima, dans un mois ? TROIS GRANDS ÉCUEILS SUBSISTENT La traduction de l’urgence en termes politiques : changer de modèle économique signifie, pour chaque pays, une série de mesures réglementaires, législatives, d’engagements d’investissements, de conversions industrielles, de compensations financières en sus d’un ensemble de contraintes et de consensus pour renoncer aux ressources disponibles et rentables sur le court terme. Pour accomplir ce tournant vital, dans les 10‐20 ans à venir, ce « contrôle », comme dit le GIEC, nécessite chez les dirigeants une vision économique et sociale nouvelle, portée par le souci du long terme. En fait, il leur faut inventer une manière inédite de gouverner sous le signe de transformations radicales, dont la principale est le découplage entre le développement économique et social et les émissions de CO2. Seule l’Europe l’a aujourd’hui compris, et s’y conforme. Elle a ainsi acté lors du dernier Sommet européen, avec une méthode contraignante, à réduire de 40%, «au moins», ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 ‐ce qui, certes, est déjà fait à moitié‐ mais cette décision s’accompagne d’autres objectifs, eux aussi contraignants : celui d’avoir 27% de l’énergie consommée « à l’horizon 2030 » d’origine renouvelable et celui d’augmenter de 27% leur efficacité énergétique. Le prochain Sommet ayant lieu en Europe, l’Union ne pourra prendre pour prétexte que les autres pays font moins qu’elle pour minorer ses engagements, en tout cas au Sommet de Paris. Subsiste cependant encore quelques doutes : d’une part la faisabilité financière d’une telle opération, d’autant que les engagements pris envers la Pologne sont estimés à près d’1,8 milliard d’euros puisés dans le Fonds de réserve ‐ créé pour compenser la transition du charbon à l’exploitation d’autres énergies pour les membres de l’Union les plus pollueurs‐ et d’autre part l’application de la clause de flexibilité, dans un contexte où les deux nouveaux commissaires européens chargés de l’énergie, du climat, et de l’environnement ne sont pas connus pour un engagement fort dans ce dossier. LE POIDS GÉOPOLITIQUE DES GRANDS ÉMETTEURS La Chine, dont les émissions ont augmenté de 4,2 % en 2013, ce qui est plus faible que les années précédentes –cette « faible » augmentation s’explique par une moindre croissance de l’économie chinoise‐, les États‐Unis, dont les émissions ont augmenté de 2,9 %, à cause d’une progression de leur consommation de charbon et l’Inde, dont la croissance et le recours au charbon vont de pair (ce qui aboutit à une augmentation de 5,1 % de ses émissions) seront les grands acteurs de l’accord de Paris. Ils devront composer avec l’Union européenne, dont les émissions ont diminué de 1,8 % à cause du ralentissement économique lié à la crise, du Canada, qui s’était engagé à Copenhague à réduire de 17% ses émissions en 2020 par rapport à 2005 ‐et qui en sera loin‐, et du Japon, englué dans la crise post‐Fukushima. Dans ce contexte, l’accord bilatéral, intervenu au plus haut niveau entre la Chine et les Etats Unis ce 11 novembre, est une bonne nouvelle, confirmant que ces deux pays‐ responsables de près de 45% des émissions globales‐ négocient en tête‐à‐tête, et non dans la sphère onusienne. La Chine a accepté pour la première fois de se donner une échéance en prévoyant son pic d’émissions « autour de 2030 », ce qui revient à convenir d’une diminution de ces dernières à partir de cette date. En clair, c’est un pas diplomatique considérable, mais, dans la réalité, cela veut dire que les émissions chinoises vont continuer à augmenter pendant les 15 prochaines années, condamnant définitivement, au vu de leur importance, l’objectif du 2°C. De leur côté, les Etats‐Unis se sont engagés à une réduction de 26 à 28% de leurs émissions d’ici à 2025 (par rapport à 2005), soit deux fois plus que leur précédent engagement pour la période 2005‐2020. En effet, l’effort que les Etats‐ Unis avaient consenti dans leur déclaration d’après Copenhague, soit en janvier 2010, s’établissait autour de 17 % par rapport au niveau de 2005 mais demeurait subordonné à un vote du Congrès. Outre le fait que des Sénateurs ont déjà condamné ce nouvel engagement, le pays peine à remplir le précédent. Alors, oui, la conscience collective progresse, le monde économique se mobilise, le monde politique bouge, mais pas encore à la hauteur de la réalité scientifique. LE DÉFAUT D’INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES RÉGULATEURS Lorsqu’on voit la difficulté à financer le Fonds Vert, créé à Copenhague en 2009 ‐qui devait originellement être doté de 100 milliards de dollars par an et qui n’est même pas au tiers de la capitalisation initiale de 15 milliards exigés par les Pays en voie de développement‐, on mesure le drame de la collusion entre la crise économique mondiale et la crise écologique. Le monde ne dispose pas encore de l’instrument régulateur, qui rendrait plausible le changement de modèle indispensable. C’est pourquoi l’instauration d’un prix du carbone est réclamée par la plupart des économistes, d’autant que le prix du pétrole continue de baisser. Sans cet instrument, et, appuyée sur lui, une réorientation massive des investissements énergétiques, l’Accord de Paris ne sera qu’une série d’engagements déclaratifs. Mais les délégués de l’ONU ont approuvé le constat des scientifiques, il faut y voir, au‐delà de la lucidité, une obligation d’agir. Tout le succès ou l’échec du Sommet de Paris sera de ne pas conclure un accord trop éloigné des avertissements des scientifiques, même s’il semble diplomatiquement acceptable. N’oublions pas que le partenaire de cet accord, le changement climatique, a ses propres lois, inédites pour la science ‐ même si elle peut aujourd’hui les modéliser ‐, indifférentes aux engagements humains, et uniquement sensible à la réalité et au rythme des diminutions d’émissions.
Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)
OBSERVATOIRE GÉOPOLITIQUE DE LA DURABILITÉ / NOVEMBRE 2014 Sous la direction de BETTINA LAVILLE, directrice de recherche à l’IRIS et BASTIEN ALEX, chercheur à l’IRIS.

 

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