La filière bois et les maisons à ossature bois ont la cote auprès des acheteurs et des pouvoirs publics. Pourtant, sur un plan purement écologique, il y a beaucoup à redire sur la matière première : le bois, la plupart du temps importé. Explications.
Les apparences sont parfois trompeuses. La jolie maison en bois, sur le prospectus, n’est pas aussi écolo qu’elle en a l’air. Si les raisons de ce paradoxe sont nombreuses, la principale cause vient d’un état de fait : la filière bois française est à la traîne, totalement dépendante des importations. Selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, le déficit commercial français en matière de bois s’est encore creusé en 2017, autour de 6,3 milliards d’euros (+6,1 %). Une tendance, année après année, qui pousse donc les professionnels de la construction à ossature bois à acheter leur matière première au-delà de nos frontières. Si la France exporte massivement du chêne par exemple, à destination de la Chine, elle importe encore plus massivement des résineux de Sibérie ou des bois tropicaux d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. L’enjeu économique pour l’Hexagone est même arrivé sur le bureau de l’Élysée. En avril dernier, le président de la République Emmanuel Macron – en déplacement dans les Vosges où il a visité une scierie – a appelé de ses vœux une « politique volontariste de relance » de la filière bois en France, entre « reboisement massif » et « davantage d’investissements ». « On construit actuellement avec du bois importé, alors que la France a une vraie grande forêt, c’est un problème », a constaté le chef de l’État.Des importations illégales
Une filière qui, donc, « peut mieux faire ». Parfois elle a recours à des importations de bois dont la traçabilité pose un double problème : celui de son origine, des bois importés d’Amérique du Sud ou d’Afrique par exemple venant souvent d’exploitations ne respectant pas les normes internationales en matière de gestion durable des forêts, et celui de la sécurité à cause des traitements chimiques subis par le bois avant d’arriver en France. Au printemps dernier, la filière française a connu un scandale de taille. En avril en effet, l’ONG Greenpeace a publié un rapport épinglant une vingtaine d’industriels français qui importent du bois tropical d’Amazonie. Greenpeace dénonce à la fois les exploitants brésiliens et leur système de contournement des lois, et les acheteurs français qui ferment les yeux sur l’origine illégale du bois importé, en profitant d’un manque de contrôle de la part des services de l’État. Selon cette organisation de protection de l’environnement, l’industrie française profite d’un système volontairement défaillant dans plusieurs régions brésiliennes qui ont institutionnalisé la déforestation de la plus grande forêt tropicale du monde. Selon Greenpeace, dont le rapport s’appuie sur l’étude de plus de 600 textes d’autorisations d’exploitation entre 2013 et 2017, la principale espèce concernée, l’ipé, est utilisée essentiellement pour fabriquer des charpentes et de la menuiserie. Les « forestiers délinquants » – comme les appelle Greenpeace – pénètrent toujours plus profondément dans la forêt, et leur business est lucratif : le mètre cube d’ipé se négocie autour de 2000 euros. « Les conséquences de ces crimes environnementaux sont déjà visibles : ouverture de routes illégales, dégradation forestière galopante, destruction de la biodiversité et intensification des violences envers les populations locales, affirme Clément Sénéchal, chargé de campagne forêt chez Greenpeace France. La manne financière que génère l’exportation d’ipé permet à des sociétés brésiliennes de corrompre une partie des agents forestiers. Les forestiers délinquants vont se rendre au cœur de la forêt, sur des terrains publics, sur des zones occupées par les autochtones ou dans des réserves naturelles. Une fois le nombre décrété par les autorités atteint, ils vont pouvoir blanchir le tout dans une scierie. » Selon une directive européenne de 2013, les importateurs français sont pourtant tenus de pouvoir justifier de l’origine du bois utilisé. « Il est normal de vérifier la légalité des marchandises. C’est quand même le minimum ! L’État français doit cesser d’être une passoire pour l’importation de bois illégal », assène M. Sénéchal. Au WWF (World Wide Fund For Nature) d’enfoncer le clou : selon cette ONG, 39 % des bois tropicaux importés en France sont issus d’exploitations illégales, la France ayant parfaitement conscience de son rôle destructeur en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Selon le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) et Interpol, entre 50 et 90 % de l’exploitation forestière dans les régions tropicales (Amérique du Sud, Afrique, Asie) seraient tenus par le crime organisé. Ce bois exploité illégalement transite souvent par la Chine pour finir sur le marché européen. C’est le cas par exemple des forêts surexploitées en République démocratique du Congo (RDC). En février dernier, plusieurs ONG – dont Greenpeace et Rainforest Foundation Norway – ont pointé du doigt le gouvernement de Kinshasa : « Le ministre congolais de l’Environnement, Amy Ambatobe, a rétabli environ 650000 hectares de concessions forestières illégales qui avaient été annulées en août 2016, déplore un communiqué commun des ONG mobilisées. Les trois concessions rétablies le 1er février 2018 ont été attribuées à deux compagnies d’exploitation forestière chinoises. » En bout de chaîne, ces arbres – exploités illégalement dans le deuxième parc forestier mondial après l’Amazonie – atterrissent souvent en Europe et en France.Déforestation et pollution vont de pair
Une autre facette du bois d’importation n’est jamais mise en avant par les constructeurs : les pollutions induites par la déforestation, de l’eau et de l’air. La disparition à grande échelle des forêts tropicales est l’un des facteurs majeurs du réchauffement climatique. Selon une étude menée par Dominik Sparken de l’Université de Leeds, la déforestation est responsable à elle seule de 17 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, en troisième place du classement derrière le secteur de l’énergie et l’industrie. Certains pays font figure de tueurs en série, comme le Brésil, responsable à lui seul de 80 % de ces émissions. L’industrie du bois est plus généralement émettrice de gaz à effet de serre : l’exploitation forestière, le transport, la découpe et le traitement chimique du bois génèrent beaucoup d’émissions de GES. Le bilan carbone de certains produits à base de bois, comme le bois lamellé est de 360kg de CO2 par tonne, selon les FDES (Fiches de déclaration environnementale et sanitaire), bien loin de l’idée du bois « puit carbone » souvent entendue.Subventions tous azimuts
Les enjeux de développement durable, largement mis en avant en France depuis la COP21 de 2015, emportent tout sur leur passage, et l’industrie française de la construction en bois l’a bien compris. Depuis la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, votée en octobre 2014, la filière bois a su tirer parti du système de subventions et de financements publics. L’État et les collectivités locales ont doté le Fonds stratégique de la forêt et du bois de 28 millions d’euros en 2017 (100 millions au total). En mars de la même année, l’arsenal de subventions s’est enrichi d’une Charte pour une alliance nationale bois construction rénovation, en partenariat avec l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et l’Association des régions de France. Objectif : inciter les organismes décideurs à s’engager dans les constructions en bois, à commencer par les bâtiments publics. En septembre dernier, un nouveau plan s’est ajouté à ce mille-feuille, baptisé Plan national bois construction, signé par le secrétaire d’État au Logement. Au total, selon les chiffres de la Cour des Comptes, la filière bois recevrait – toutes aides confondues – un peu de plus de 900 millions euros chaque année. Des subventions qui servent donc surtout à alimenter des importations, sachant que 60 % du bois utilisé dans le bâtiment sont importés. De Scandinavie, d’Europe de l’Est, de Sibérie, d’Afrique ou d’Amazonie. Le bilan réel de la filière bois n’est donc pas si écolo que cela…