Sans le savoir, nous avons peut-être changé d’ère géologique, quitté silencieusement sans fêtes grandioses ni commémoration les onze mille années de l’ère holocène qui, du fait de sa grande stabilité climatique, a vu naître l’agriculture, l’homme industrieux et industriel, ce que nous appelons le “monde moderne”. Nous voilà donc appelés à un nouveau voyage dans un nouveau cadre géologique et climatique : l’ère Anthropocène, ère dans laquelle l’homme est devenu la principale force géophysique capable de modifier son environnement.
La transformation invisible a commencé il y a plus de deux cents ans, avec la révolution industrielle. À l’époque, seuls quelques penseurs, lanceurs d’alertes, mystiques ou poètes avaient pressenti son importance et ses risques. Le terme d’ère Anthropocène ne sera inventé qu’à la fin du XXe siècle par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie. Depuis, il se diffuse peu à peu au sein de la communauté scientifique, au point que les stratigraphes du monde entier, ces savants qui définissent les grands tiroirs de l’histoire de la Terre, envisagent, à la demande de leurs collègues britanniques, d’officialiser notre nouveau cadre en 2012 lors du prochain congrès de Brisbane. Faut-il se réjouir d’une telle marque d’intérêt ? Anthropocène. Le mot a quelque chose d’effrayant. Sa musique nous emmène vers un autre mot, anthropophage, mangeur d’hommes, monstre qui dévore sa propre espèce. Pour la première fois, la métamorphose de l’enveloppe terrestre est directement née de l’action de l’homme et de son organisation de vie sur terre. À force de produire de manière intensive, d’émettre du gaz carbonique dans l’atmosphère, c’est la géologie même de la Terre que l’homme modifie à sa guise, et donc ses propres ressources vitales. Celui qui nous en parle s’appelle Claude Lorius, glaciologue de renom. C’est grâce à lui et à son équipe d’explorateurs que nous pouvons remonter à travers le cristal et les bulles emprisonnées dans les carottes de glace les variations du climat sur des centaines de milliers d’années. Avec son thermomètre isotopique, Claude Lorius a en quelque sorte inventé la jauge de l’ère Anthropocène et, par là même, l’instrument de mesure de notre responsabilité face à la Terre et aux générations futures.
Voyage dans l’Anthropocène : cette nouvelle ère dont nous sommes les héros
« L’homme modifie le climat à sa guise », pas vraiment, il émet du CO2 à qui mieux mieux parce qu’il s’en fout, il est même incapable de réduire ses émissions tant que les sources de pétroles ne tariront pas. Enfin pour l’instant, un sursaut de lucidité n’est pas à exclure.