La guerre en Ukraine est venue placer la crise alimentaire mondiale sur le devant de la scène. Celle-ci n’est pourtant pas nouvelle. L’insécurité alimentaire ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années, à l’instar des prix alimentaires mondiaux qui ont atteint des niveaux records en 2021. Après deux années de pandémie, face aux dérèglements du climat, aux conflits et à leurs conséquences économiques pour les populations, l’absence de résilience de nos systèmes agricoles et alimentaires est flagrante. À l’heure où le monde subit sa troisième crise alimentaire du 21e siècle, affectant en premier lieu les populations vulnérables, les réponses à apporter doivent être en rupture avec celles proposées lors des précédentes crises alimentaires. Ce décryptage s’intéresse aux facteurs déterminants des crises alimentaires et identifie les leviers nécessaires pour apporter des réponses efficaces et structurantes pour l’avenir de nos systèmes alimentaires.
Politiquement et médiatiquement, la guerre en Ukraine est venue placer la crise alimentaire mondiale sur le devant de la scène. Celle-ci n’est pourtant pas nouvelle.
L’insécurité alimentaire ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années, à l’instar des prix alimentaires mondiaux qui ont atteint des niveaux records en 2021.
Après deux années de pandémie, face aux dérèglements du climat, aux conflits, et à leurs conséquences économiques pour les populations, l’absence de résilience de nos systèmes agricoles et alimentaires est flagrante.
À l’heure où le monde subit sa troisième crise alimentaire du 21e siècle, affectant en premier lieu les populations vulnérables et en particulier celles des pays du Sud, les réponses à apporter doivent être en rupture avec celles proposées lors des précédentes crises alimentaires.
Ce colloque propose de décrypter les facteurs déterminants des crises alimentaires et d’identifier les leviers nécessaires pour apporter des réponses à la fois efficaces et structurantes pour l’avenir de nos systèmes alimentaires.
À la veille de la 50ème session du Comité sur la Sécurité Alimentaire mondiale, le CCFD-Terre Solidaire invite les organisations de la société civile et paysannes, du Nord et du Sud, chercheurs, et décideurs politiques pour préciser ensemble les voies à suivre.
QUELLE(S) GOUVERNANCE(S) ET INVESTISSEMENTS FACE À LA CRISE ?
Face à la troisième crise alimentaire du XXIe siècle, une réponse internationale coordonnée et robuste est plus que jamais nécessaire. Treize années après les émeutes de la faim de 2009,la communauté internationale semble au contraire fonctionner au ralenti et de manière désordonnée. Chaque groupe d’États lance sa propre initiative, ignorant les autres et s’affranchissant d’une coordination internationale pour-tant indispensable. Cette situation est clairement problématique : ces initiatives portent dans les grandes lignes les mêmes messages et la même analyse sur la crise alimentaire en cours, elles font donc logiquement les mêmes impasses sur des sujets clés, telle la transparence des stocks alimentaires privés ou la régulation de la spéculation alimentaire.Par ailleurs, dans un contexte de ressources financières limitées, la multiplication de ces initiatives disperse les investissements nécessaires aux pays en développe-ment pour surmonter la crise. La plupart de ces initiatives reposent fortement sur la recherche d’investisseurs privés pour mettre en œuvre leurs solutions. Leur « concurrence » financière peut donc malheureusement également les amener à amoindrir leurs objectifs développementalistes pour se rendre plus attrayantes pour les entreprises. La communauté internationale est pourtant parfaite-ment outillée pour faire face à une crise d’une telle nature. Le Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale (CSA) a été réformé suite aux émeutes de la faim de 2009 pour précisément faciliter une coordination internationale en période de crise alimentaire. Malgré une forte demande de la société civile et des milieux scientifiques, ce comité n’a toujours pas été mandaté sur le sujet.
QUEL IMPACT DE LA SPÉCULATION FINANCIÈRE SUR LA CRISE DES PRIX MONDIALE ?
Loin d’être une crise de production agricole, la crise alimentaire actuelle est une crise des prix. La spéculation financière a déjà joué un rôle important dans la flambée des prix alimentaires lors des crises de 2008 et 2011. La communauté internationale, en particulier le G20, avait alors décider d’encadrer plus fortement cette pratique. Néanmoins, la période actuelle nous permet d’observer des mouvements similaires sur les marchés à terme de matières premières. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a été suivie d’une arrivée massive d’acteurs financiers et de capitaux sur les marchés à terme agricoles. Alors que les cours du blé atteignaient en mai un niveau historique à 440 euros/tonne, il est désormais clair qu’une forte spéculation est venue perturber le fonctionnement normal des marchés, entraînant une hausse des prix sans précédent. Il est indispensable d’en comprendre les ressorts et d’identifier les solutions nécessaires pour rétablir la norme et empêcher toute situation similaire à l’avenir.
Avant toute chose, nous tenons à rappeler que les premières victimes de la guerre en Ukraine sont les habitantes et les habitants de ce pays, auxquels nous apportons tout notre soutien. Nous tenons également à rappeler qu’en tant qu’associations, nous avons à cœur de défendre un modèle juste pour toutes et tous : en France, en Europe et dans les pays tiers, pour les agricultrices et les agriculteurs qui produisent notre alimentation comme pour les citoyennes et citoyens qui la consomment. Nous croyons qu’une transition juste de nos modèles agricoles et alimentaires est aussi possible que nécessaire, et qu’elle ne pourra se faire qu’avec les agricultrices et les agriculteurs. En particulier, si les données scientifiques et économiques nous amènent à considérer la réduction d’intrants et celle de la consommation et de la production de produits d’origine animale comme une nécessité, cela ne nous fait pas oublier les difficultés financières, techniques, morales et psychologiques auxquelles les agriculteurs et les éleveurs font face. Par ailleurs, nous tenons également à reconnaître tous les efforts entrepris depuis des années par les paysannes et les paysans du monde entier pour trouver des solutions d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques et de lutte contre l’érosion de la biodiversité.
Le problème de la faim est profondément structurel. Alors que nous produisons à ce jour largement de quoi nourrir la planète, notre système agricole et alimentaire mondialisé crée la faim. L’insécurité alimentaire n’a cessé de croître partout dans le monde depuis six ans. Près d’une personne sur trois (2,37 milliards) a été en insécurité alimentaire et 768 millions de personnes se sont trouvées sous-alimentées en 2020. C’est une réalité qui touche tant au Nord qu’au Sud : 10% de la population européenne est en insécurité alimentaire, 41% de la population d’Amérique Latine, 60% de la population africaine et 26% de la population asiatique. Elle frappe tout particulièrement les pays ayant délégué leur alimentation aux marchés internationaux (70% des individus souffrant de la faim vivaient l’an dernier dans ces pays).
Outre son incapacité à nourrir durablement la planète, le système agro-industriel mondialisé actuel est très peu résilient face aux chocs. Les nombreuses crises auxquelles nous faisons face (sanitaire, climatique, énergétique ou encore géopolitique) mettent en lumière sa fragilité que ce soit en France, en Europe ou dans le reste du monde. La pandémie de Covid-19 a ainsi facilité le basculement de 320 millions de personnes supplémentaires dans l’insécurité alimentaire. Ses conséquences économiques ont eu des répercussions majeures sur notre système agricole et alimentaire mondialisé, en contribuant notamment à une forte hausse des prix depuis deux ans (+30% entre janvier et décembre 2021). Cette hausse des prix, préexistante à la crise ukrainienne, fut également nourrie par la multiplication des événements climatiques extrêmes due aux dérèglements climatiques, par l’utilisation croissante d’agrocarburants ou encore par la crise des prix de l’énergie (les prix alimentaires dépendent en grande partie des coûts de l’énergie, notamment pour le fret et la production d’intrants chimiques).
Aujourd’hui, la guerre en Ukraine et ses conséquences illustrent une nouvelle fois la fragilité de nos systèmes agricoles et alimentaires mondialisés. A elles deux, la Russie et l’Ukraine exportent 12% de toutes les calories échangées au niveau international. Ces deux pays représentent 23% des exportations mondiales de blé (1er et 5e producteurs mondiaux), soit 7% de la consommation mondiale, ainsi que 16% des exportations mondiales de maïs grain, ce qui représente 3% de la consommation mondiale. Ils participent également pour 73% des échanges d’huile de tournesol (principalement en provenance de l’Ukraine). La Russie est le premier exportateur mondial d’engrais, le 2e exportateur mondial de pétrole, et le 1er exportateur mondial de gaz naturel. Le pays représente 10% des exportations mondiales d’engrais azotés, 10% des exportations mondiales d’engrais phosphatés et 17% des exportations mondiales d’engrais potassiques (33% si on ajoute la Biélorussie, également visée par les sanctions étant donné son rôle de co-belligérant).
La dépendance européenne à la Russie
Les pays européens sont particulièrement dépendants de la Russie :
- à hauteur de 45% du gaz importé en 2021 pour toute l’Union européenne, d’environ 20% pour la France, de plus de 50% pour un grand nombre de pays européens.
- à hauteur d’au moins 33,5% des engrais azotés importés dans l’Union Européenne, provenant de la Russie et de la Biélorussie, entre 2018 et 2020.
- à hauteur de 30% pour l’approvisionnement en pétrole de l’Europe.
Toute déstabilisation des économies ukrainienne et russe a donc de fortes répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale, largement dépendante du prix des engrais de synthèse et des énergies fossiles (pour fabriquer des engrais et pesticides, faire rouler les tracteurs, chauffer les serres, etc.).
De plus, cette crise intervient dans un contexte politique et commercial complexe. Depuis plusieurs années, la France est fortement concurrencée sur les marchés internationaux par les productions céréalières de nombreux pays, dont l’Ukraine et la Russie, et s’inquiète de sa perte de parts de marché à l’international - marchés qu’elle veut récupérer à tout prix. En parallèle, alors que la transition agroécologique de nos agricultures est plus que jamais une nécessité, les représentants de l’agriculture industrielle mènent une bataille féroce partout dans le monde contre les rares avancées environnementales obtenues. Ce fut le cas par exemple l’an dernier lors du sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, et c’est le cas aujourd’hui dans le cadre du Pacte Vert européen (stratégie de la Ferme à la Fourchette). Chaque nouvelle crise, chaque nouvelle déstabilisation du système agricole et alimentaire mondial, est l’occasion de demander la fin des normes environnementales au nom du “produire plus pour nourrir le monde”. Le tout alors que la pandémie Covid-19 a souligné au contraire l’impérieuse nécessité pour chaque pays de développer sa propre souveraineté alimentaire pour nourrir sa population et se prémunir contre les chocs économiques et climatiques mondiaux.
Notre système agricole et alimentaire actuel est incapable de nourrir le monde et de rémunérer correctement les agriculteurs et agricultrices qui sont, dans de très nombreux pays, les premières victimes de l’insécurité alimentaire. Il n’est également pas en mesure de lutter efficacement contre le dérèglement climatique (l’agriculture et l’alimentation sont responsables du tiers des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique) et aggrave fortement les dégradations environnementales (le changement d’affectation des terres, dû à l’élevage en particulier, est le premier facteur mondial d’érosion de la biodiversité, et les pesticides sont pointés du doigts comme une des causes principales d’effondrement de la biodiversité). Cette situation structurelle compromet nos capacités actuelles et futures à produire et à nous nourrir, en Europe comme ailleurs. Bien avant l’agression russe, le constat quasi unanime de la communauté internationale était qu’il fallait transformer en profondeur notre système agricole et alimentation mondialisé pour le rendre plus local, plus diversifié et plus résilient. Autant d’éléments qu’il ne faut pas perdre de vue dans le contexte actuel de crise alimentaire.
À ce titre, il nous paraît particulièrement nécessaire de pouvoir répondre à un certain nombre de questions ayant émergé ces derniers mois sur les enjeux alimentaires et agricoles liés à l’agression Russe. Afin de nous permettre de poser de manière juste et efficace les termes du débat, ce document propose un décryptage sur le sujet en onze questions.
Des mesures concrètes pour répondre aux conséquences de la guerre et garantir une souveraineté alimentaire aux pays du Nord comme du Sud
Décryptage en 11 questions :
Focus France :
En France, cette situation risque d’aggraver les difficultés vis-à-vis de la flambée des prix que connaissent également d’autres secteurs, comme le secteur de la restauration collective. A ce jour, le surcoût à l’achat de denrées alimentaires en restauration collective est de 10% selon les types de restauration collective (réseau Restau’Co, 2022), avec des risques que cette inflation se répercute sur le prix aux convives.
Sondage. La remise en culture des jachères ne semble pas séduire les agriculteurs français.
85% des personnes ayant répondu au sondage de la France Agricole affirment qu’elles ne remettront pas leurs jachères en culture. Au-delà des rendements potentiellement faibles voire nuls (quand les terres ne sont pas exploitables) et de l’humble contribution que la mise en production des jachères pourrait représenter dans les échanges mondiaux, ce sondage de la France Agricole montre à quel point cette remise en culture constitue surtout un cadeau à l’agroindustrie plus qu’une action réellement efficace de la part de la France pour réagir aux conséquences de la guerre en Ukraine.
Qu’est-ce que le système agricole et alimentaire industriel ?
Un système agricole et alimentaire recouvre l’entièreté des actions et façons dont l’être humain s’organise dans l’espace et dans le temps pour cultiver la terre et se nourrir. Il regroupe donc toutes les étapes de l’alimentation (production, transformation, déplacement, stockage, consommation, etc.).
Le système agricole et alimentaire industriel, actuellement dominant (il bénéficie des principaux soutiens politiques et financiers au niveau mondial), est ici défini comme un système fortement mécanisé et reposant sur une utilisation intensive de capitaux et d’intrants (pesticides, engrais minéraux, etc.). C’est un système pauvre en main d’œuvre, basé sur des filières et marchés internationaux fonctionnant à flux tendus. Ce système est caractérisé par une forte concentration, un déséquilibre des pouvoirs, une surproduction et surconsommation de produits transformés voir ultra transformés. En France le volet productif de ce système s’apparente à ce que l’on appelle “agriculture conventionnelle”.
En France, l’agriculture biologique permet de contribuer à atteindre un niveau élevé de
biodiversité.
On retrouve en moyenne 30% d’espèces et 50% d’individus supplémentaires dans les parcelles conduites en agriculture biologique. On observe également jusqu’à 37% de couvain, 20% d’abeilles adultes et 53% de miel supplémentaire dans les colonies entourées de parcelles en agriculture biologique par rapport à celles situées dans les paysages agricoles conventionnels.