Les études réalisées par le Crédoc montrent que nous sommes de plus en plus nombreux à avoir conscience de la nécessité de protéger notre planète et de s’engager vers le développement durable, mais, que seule une minorité d’entre nous agit en ce sens. Le paradoxe est encore plus important dans la consommation. Les "consomm’acteurs", qui privilégient au moins occasionnellement les produits issus du commerce équitable, de l’agriculture biologique ou de circuits de production régionaux, ne représenteraient environ que 20 % de la population. Face à ces constats, le gouvernement a souhaité que le Centre d’analyse stratégique (CAS) établisse le bilan des pratiques actuelles de "consommation durable", explicite les leviers d’action dont dispose la puissance publique pour modifier les pratiques en faveur d’une consommation plus durable et propose des recommandations en ce sens. Commandé par le Gouvernement, ce rapport du groupe de travail présidé par Elisabeth Laville, présente 25 recommandations pour diffuser pleinement les réflexes de consommation durable au sein de la société française.
Synthèse du rapport
Avant toute politique de consommation durable, il s’agit de déterminer dans quelle mesure une alternative au modèle de la "consommation-accumulation" est possible. Il ne s’agit aucunement de prôner l’émergence d’une société de la décroissance, qui ne serait compatible ni avec la prospérité de l’économie française ni avec la soutenabilité de notre endettement. Si une évolution vers une société durable doit être amorcée le plus tôt possible, elle ne doit pas être imposée brutalement. Elle devra être suffisamment attractive pour motiver les changements de comportements et se construire en collaboration avec les parties prenantes, comme le souligne le récent livre de Dominique Bourg et Kerry Whiteside, qui propose de "repenser la démocratie" pour répondre au défi écologique [1]. Une politique de consommation durable ne peut
de fait se concevoir que dans la mesure où elle s’intègre dans la vision partagée d’une société qui relativise l’importance de la consommation dans nos vies, nos relations sociales, notre culture.
Nous devons faire décroître dès aujourd’hui notre impact environnemental, nos émissions de gaz à effet de serre et les prélèvements de ressources naturelles de manière sélective, dans certains secteurs. Dans le même temps, il est urgent d’explorer les opportunités de croissance liées à la consommation de produits et services durables, innovants (économie de fonctionnalité, écoconception, circuits courts…). Les fondements d’une politique spécifique de consommation durable pourraient donc être posés sous
forme d’objectifs simples visant à réduire l’impact des modes de consommation français, en concertation avec les parties prenantes. Cette stratégie devra ensuite être déclinée dans des secteurs prioritaires compte tenu de leur impact (essentiellement l’alimentation, le logement dont l’électronique, le transport dont le tourisme).
L’implication de l’ensemble des acteurs, notamment des ménages dont la contrainte de revenu est la plus forte, est un aspect central et devra conduire à adopter des approches différenciées pour qu’ils ne restent pas à l’écart de cette politique.
Plusieurs facteurs devront être pris en compte pour assurer son efficacité :
L’éducation à la consommation devrait amener chaque citoyen, à tout âge, à intégrer le développement durable dans ses réflexes et habitudes de consommation. L’une des difficultés consistera à cerner la teneur et le ton des messages transmis pour éviter l’écueil de l’injonction autoritaire et inciter à une réorientation volontaire des
comportements. Cette politique impose de faire évoluer l’éducation initiale au même titre que la formation continue. D’une part, l’apprentissage précoce de savoirs pragmatiques (maîtrise d’un budget, des bases de la nutrition, compréhension des stratégies publicitaires
et marketing...) devrait permettre d’acquérir les réflexes de consommation raisonnée. Il s’agit également d’approfondir l’évolution de la formation professionnelle amorcée par la Stratégie nationale de développement durable.
Les campagnes d’information et de sensibilisation gagneraient à mobiliser les relais d’opinion et autres "médiateurs" : système éducatif, médias, entreprises, mais aussi professionnels du marketing, publicitaires… L’individu tend à consommer comme ses pairs : jouer sur
les pratiques mimétiques avec des incitations innovantes ("nudges"), des messages de communication appropriés, ciblant prioritairement les groupes sociaux et les lieux de vie collective (communautés culturelles, sportives, voisinages, comités d’entreprise…) sera plus efficace que d’envoyer des adresses au consommateur de manière générique. Une telle stratégie suppose que les communautés visées soient en mesure d’informer leurs membres des succès obtenus et d’éviter le sentiment
dit "d’insignifiance" des efforts. En outre, il serait bon de capitaliser sur des "moments de vie" durant lesquels les individus sont particulièrement sensibles aux enjeux de développement durable (en particulier les bénéfices individuels d’ordre sanitaire et de qualité de vie) pour faire passer des messages relatifs à la consommation durable : l’attente puis l’arrivée d’un enfant, les vacances… prédisposent les consommateurs au changement de mode de vie Mathé [2].
Afin d’identifier et de "tester" les solutions viables à déployer sur le plan national, l’État doit encourager les multiples expérimentations spontanées de consommation durable des collectivités : circuits courts de type AMAP qui recréent un lien direct entre producteur et consommateur, écoquartiers… Au-delà des subventions actuellement
accordées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et les collectivités territoriales, une politique hybride à l’écoute et en soutien des initiatives de terrain s’avère nécessaire. Elle doit lever
les obstacles réglementaires aux expérimentations les plus intéressantes et prodiguer de nouveaux soutiens extra-financiers. Des structures d’accompagnement gratuit, proposant des conseils de stratégie entrepreneuriale ou une assistance juridique, semblent également tout indiquées. Enfin, des dispositifs de reconnaissance
des bonnes pratiques et d’émulation (trophées "consommation
durable") pourraient encourager la reproduction des initiatives les plus fructueuses.
Le succès d’une politique de consommation durable repose sur l’existence d’une offre de biens et services durables : celle-ci doit donc progresser dès maintenant de manière substantielle. Afin de préserver sa compétitivité économique à l’échelle mondiale, la France doit chercher
à se placer à l’avant-poste d’une prospérité durable, fondée sur des innovations technologiques mais également organisationnelles et de services. Ce dernier type d’innovations dites “low tech” est peu fréquemment brevetable et a peu de chances de bénéficier de financements, à l’image de la pratique de la microbiologie des sols agricoles (recours à une solution ancienne pour diminuer l’utilisation d’intrants phytosanitaires). Il convient donc d’encourager ces innovations par le biais de soutiens publics financiers, technologiques ou
réglementaires adaptés.
La transition vers une société durable, plus respectueuse des ressources naturelles et plus solidaire, aura un coût d’autant plus important que nous tarderons à l’engager, à l’image de la lutte contre le changement climatique [3]. Afin d’optimiser le coût global pour la collectivité, il appartient à l’État, en liaison avec les collectivités, de mettre en
oeuvre les instruments économiques idoines dans chacun des domaines considérés, accompagnés des mesures redistributives adaptées. Le but est de réintégrer la valeur des externalités environnementales et sociales dans le prix des produits et services et de développer une
fiscalité écologique qui favorise la consommation durable. Nous devrons ainsi payer le carbone que nous émettons en veillant à ce que ce coût soit acceptable pour les ménages défavorisés. Selon les secteurs, il sera judicieux d’instaurer une taxe, un marché de quotas, une norme,
un dispositif de bonus-malus, un taux de TVA réduit pour les éco-produits (comme envisagé dans la Stratégie nationale de développement durable 2010-2013) ou enfin de refondre les dispositifs de financement collectif basés sur le principe du “pollueur-payeur” s’ils sont déficients.
En tant que consommateurs, opérateurs de service et employeurs, l’État et les collectivités territoriales peuvent contribuer à généraliser la consommation durable à l’échelle nationale. En poursuivant la politique d’achat formalisée dans le Plan national d’achat public durable [4] peut avoir un effet d’entraînement auprès des entreprises, auxquelles elle signale l’existence d’une demande conséquente pour les produits et services durables [5], et auprès des consommateurs, qu’elle familiarise aux pratiques vertueuses
et à l’offre verte dans la restauration collective, les services de santé, l’administration… La pérennisation du dispositif financier formellement créé en avril 2010 est souhaitable : ce mécanisme “bonus-malus”, alimenté par une cotisation prélevée automatiquement sur les budgets
des ministères, doit les inciter à tenir ou à dépasser leurs engagements puisqu’ils sont remboursés à la hauteur des objectifs atteints.
La politique de consommation durable ne peut se concevoir qu’à long terme : il est donc nécessaire de se doter d’une gouvernance et d’outils d’évaluation à même de l’infléchir en fonction des résultats obtenus, des évolutions sociales et technologiques. Il importe d’inscrire cet enjeu dans le mandat d’une entité administrative telle que le Commissariat général au développement durable ou d’une autre instance dédiée. Le suivi de cette politique doit reposer sur un baromètre national permettant d’évaluer l’évolution des comportements, dans la lignée des
indicateurs de la Stratégie nationale de développement durable 2010-2013.
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Membres du groupe de travail
Présidente : Elisabeth Laville, Présidente d’Utopies
Experts
– Nadia Boeglin, Conseillère de la Commissaire générale, CGDD, MEDEM
– Jean-Pierre Bompard, Délégué à l’énergie, à l’environnement et au développement durable, CFDT
– Éric Borremans, Spécialiste Produits, BNP Paribas Asset Management
– Dominique Bourg, Philosophe, Professeur à l’Université de Lausanne, membre du Comité de veille du Pacte Écologique
– Dorothée Briaumont, Directrice générale, Comité 21
– Marie-France Corre, Experte auprès des associations de consommateurs internationales, consultante indépendante
– Christine Cros, Responsable du Département Eco-conception et consommation durable
– Olivier Dubigeon, Président, Sustainway
– Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue, spécialiste de la “consommation engagée”, CSO/CNRS
– Marc Dufumier, Professeur des Universités, membre du Comité de veille du Pacte Écologique
– Stanislas Dupré, Directeur général, Utopies
– Doreen Fedrigo, Chargée de mission “Consommation durable”, Bureau Européen de l’Environnement
– Éric Fouquier, Fondateur du cabinet Thema et théoricien des “alter-consommateurs”
– Alain Grandjean, Économiste consultant
– Christophe Jourdain, Directeur général, IFOP
– Lylian Le Goff, Docteur en médecine, consultant formateur Santé, environnement et alimentation
– Tristan Lecomte, Fondateur Alter Eco
– Élisabeth Mercier, Directrice, Agence BIO
– Cécile Ostria, Directrice, Fondation Nicolas Hulot
– Isabelle Sannié, Économiste, Service Économie et prospective, ADEME
– Ysé Serret, Responsable projet consommation durable des ménages
– Hélène Teulon, Fondatrice Gingko 21
Coordinateur : Dominique Auverlot, Chef du Département
Développement durable, Centre d’analyse stratégique
Rapporteurs
– Blandine Barreau, Chargée de mission, Département Développement durable, Centre d’analyse stratégique
– Caroline Le Moign, Chargée de mission, Département Économie - Finances, Centre d’analyse stratégique
Les contributeurs du rapport
– Patrick Brouchet, Chargé de mission, Département Développement durable, Centre d’analyse stratégique
– Léa Giroux, Chargée de mission, Département Développement durable, Centre d’analyse stratégique
– Laurence Rivière, Chargée de mission, Département Développement durable, Centre d’analyse stratégique
[1] Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil/La République des idées, octobre 2010.
[2] T. (2009), Comment les consommateurs définissent-ils l’alimentation durable ?, CREDOC.
[3] Voir Stern N. (2007), The Economics of Climate Change : The Stern Review, Cambridge and New York : Cambridge University Press
[4] Circulaire du Premier ministre n° 5351/SG du 3 décembre 2008., la commande publique
[5] Rendre les procédures et objets des achats publics éco-compatibles permettrait de convertir 15 % de la consommation française totale au développement durable. Les “achats courants” de l’État représentent 10 milliards d’euros en 2008. Source : circulaire n° 5351/SG, 3 décembre 2008