Dans l'actualité :

COP29 Climat : vers un réel engagement des États à sortir des énergies fossiles ?

Publié fin mars 2023, le dernier rapport de synthèse...

Comment accélérer la transition écologique et sociale grâce aux communautés ?

“(Re)faire tribu” est la newsletter mensuelle d'Hugo, 24 ans,...

Vers un référentiel d’indicateurs pour préserver la qualité des sols ?

L'INRAE a coordonné une étude sur la qualité des...
Un défi de gestion d’infrastructure pour protéger la biodiversité

REEVES, le programme de Recherche sur les Espèces Exotiques Végétales EnvahissanteS

Une coopération SNCF Réseau, Régions Grand Est et Sud, CNRS et INRAE, Universités Lorraine, Aix-Marseille, Dijon et Montpellier

Avec le programme REEVES (Recherche sur les Espèces Exotiques Végétales EnvahissanteS), SNCF Réseau mène une démarche pionnière dans le monde des gestionnaires d’infrastructure. Il s’agit d’un ambitieux programme de recherche scientifique dont l’objectif est de trouver de nouveaux moyens pour réguler les plantes exotiques envahissantes. Réduire l’usage des pesticides, nocifs pour la biodiversité et pour la santé. Pour cela, le programme se concentre sur une solution naturelle et innovante : la concurrence végétale.

Les espèces exotiques envahissantes visées par le programme REEVES

En France comme ailleurs, les espèces exotiques envahissantes visées par le programme REEVES posent d’importants problèmes d’entretien et d’exploitation sur le réseau ferroviaire du fait de leur croissance rapide. En étudiant à la fois in situ et en laboratoire les interactions entre les espèces, les chercheurs vont pouvoir déterminer comment d’autres plantes permettent de réguler les espèces envahissantes, sans utiliser de pesticides, nocifs pour la biodiversité et pour la santé. Cette solution naturelle et innovante s’appelle la concurrence végétale.

À terme, c’est une méthodologie complète de restauration des milieux à partir de plantes « indigènes » qui sera mise au point, avec des applications pratiques pour tous les types d’espaces concernés. Cela au bénéfice de la biodiversité, puisque les espèces exotiques envahissantes constituent l’une des principales causes de son effondrement à travers le monde.

Les EEVE & leurs enjeux


SNCF Réseau cherche à trouver des moyens efficaces pour lutter, dans le respect de ses engagements écologiques, contre ces espèces à croissance rapide (jusqu’à 2 mètres en 3 semaines pour la renouée du Japon).

Les Espèces Exotiques Végétales Envahissantes (EEVE)

Qu’est-ce qu’une EEVE ?

Selon la définition de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : « Une espèce exotique envahissante (EEE) est une espèce allochtone (non-autochtone) dont l’introduction par l’Homme (volontaire ou fortuite), l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces indigènes avec des conséquences écologiques, économiques ou sanitaires négatives. »

Le programme REEVES s’intéresse spécifiquement aux espèces végétales, les EEVE.

Les activités humaines en cause

Que cela soit volontaire ou non, ces plantes ont toujours été introduites par les humains. Bien que le phénomène ne soit pas récent, il s’est accéléré avec la mondialisation des échanges au cours du XXe siècle. Certaines plantes devenues envahissantes ont pu être introduites pour leurs qualités esthétiques, comme l’herbe de la Pampa, quand d’autres comme l’ambroisie à feuilles d’armoise ont voyagé clandestinement avec d’autres espèces ou marchandises.

De l’implantation à l’envahissement

Une fois arrivées dans un nouveau territoire, les plantes exotiques peuvent y trouver des conditions propices et parvenir à s’installer durablement. À plus forte raison lorsqu’elles n’y ont pas de compétiteur ou de prédateur naturel. Bien que cela ne soit pas toujours le cas, ces plantes exotiques peuvent devenir envahissantes. Elles vont alors menacer la biodiversité locale, avec parfois également des impacts néfastes sur la santé humaine ou sur les activités économiques.


Les talus ferroviaires font partie des espaces vulnérables aux Espèces Exotiques Végétales Envahissantes. Cela notamment car les travaux d’entretien de la végétation aux abords des voies ouvrent le milieu naturel et laissent l’opportunité à l’espèce envahissante de s’installer, de se développer et de s’imposer.

Prendre soin des corridors écologiques

Traversant d’innombrables milieux naturels et urbains, les lignes SNCF Réseau constituent de véritables corridors écologiques qui permettent aux espèces de se déplacer entre leurs habitats. La maintenance des abords ferroviaires peut ainsi impacter directement la biodiversité et l’équilibre écologique local.

« Conscients de notre responsabilité, nous nous mobilisons aux côtés des scientifiques pour réduire à la fois l’utilisation des produits phytosanitaires et le recours aux coupes mécaniques. SNCF Réseau ouvre la voie pour la mobilité durable et accélère sa propre transition écologique. »

Ève Silberstein, Directrice territoriale SNCF Réseau Grand Est

Les enjeux écologiques & sociaux

La lutte contre les Espèces Exotiques Végétales Envahissantes ne concerne pas seulement le réseau ferré français, ni même les gestionnaires d’infrastructure. Elle est un enjeu écologique et social important, car la prolifération de ces espèces peut avoir des répercussions en cascade et impacter concrètement la vie de chacun.

Une menace pour la biodiversité

Qu’il s’agisse de plantes, d’animaux ou d’autres éléments du vivant, les espèces exotiques envahissantes prennent la place des espèces autochtones et appauvrissent le paysage. Cela contribue à la déstabilisation des écosystèmes : par exemple, une EEVE donnée ne sera pas forcément adaptée aux pollinisateurs locaux, qui déclineront et joueront moins bien leur rôle, pourtant clé pour notre agriculture et notre alimentation.

Des risques pour notre santé

L’arrivée d’espèces exotiques envahissantes peut aussi s’accompagner de risques très directs pour notre santé. Le pollen d’une plante comme l’ambroisie à feuilles d’armoise, originaire d’Amérique du nord, provoque ainsi chaque année de fortes réactions allergiques, de la rhinite à la conjonctivite en passant par la toux, l’urticaire voire de graves crises d’asthme.

L’économie touchée elle aussi

Cette même plante pose également des problèmes en agriculture, où elle envahit les inter-rangs de certaines monocultures, provoquant des baisses de rendements, des contaminations de production, et des difficultés de récolte. L’élodée américaine peut former des herbiers si denses qu’elle arrive à obstruer les écoulements d’eau, colmater les pompes d’eau potable ou encombrer les barrages hydroélectriques.

1 DES 5 GRANDES CAUSES DE DÉCLIN DE LA BIODIVERSITÉ

La biodiversité décline aujourd’hui à un rythme alarmant, qui conduit les scientifiques à parler de
« 6e extinction de masse ».

Les espèces exotiques envahissantes sont l’une des principales causes de cet effondrement, aux côtés de l’artificialisation des milieux naturels, des différentes formes de pollution, de la surexploitation des ressources, et du changement climatique.

Le programme REEVES

Comprendre pour restaurer

L’objectif du programme REEVES est de mettre au point des solutions de gestion des plantes exotiques envahissantes en se basant sur la concurrence entre espèces végétales. Comprendre les interactions entre espèces et la façon dont certaines limitent l’accès des autres aux ressources (eau, nutriments, lumière…) doit permettre de définir une méthodologie adaptée pour la restauration pérenne des milieux.

Plante vivace herbacée originaire d’Asie, la renouée du Japon envahit les habitats perturbés. Elle peut pousser dans des sols très pauvres et très divers. Au printemps, ses jeunes tiges croissent rapidement, en moyenne de 4-5 cm par jour. Elles deviennent robustes et atteignent les 4 mètres de hauteur. À la fin de l’été, la plante produit jusqu’à 190 000 fleurs par tige. À l’automne, ses graines au taux de germination élevé sont dispersées par le vent et l’eau. Son système racinaire étendu rend lui aussi très difficile sa régulation : ses rhizomes mesurent jusqu’à 20 mètres et pénètrent jusqu’à 3 mètres de profondeur dans le sol. À partir de ces derniers, elle peut former des clones, sachant qu’il suffit de 0,7 g pour qu’un nouveau plant reparte et que ces rhizomes sont résistants au gel, au feu et peuvent vivre plus de 10 ans.

Un choix rigoureux d’espèces indigènes

Pour parvenir à un tel résultat, le travail commence par la sélection d’une palette végétale arbustive et herbacée parmi les espèces indigènes. Celles-ci doivent pouvoir concurrencer les 5 EEVE étudiées et particulièrement présentes dans le Grand Est ou le Sud. Le choix se fait selon des critères comme la hauteur et la vitesse de développement, ou encore l’adaptation aux conditions du sol (pH, drainance…) et du climat (hydrométrie, ensoleillement, températures moyennes…) au niveau local.

Également originaire d’Asie, l’ailante est un arbre qui peut croître jusqu’à 4 mètres par an pour atteindre sous nos latitudes 10 à 30 mètres de hauteur, avec une durée de vie de 30 à 50 ans. Il résiste aux habitats perturbés, et se retrouve dans des sols de différentes textures, naturels et modifiés par l’Homme : rocheux, sableux, argileux, calcaires… L’arbre se reproduit d’abord via ses grandes grappes de fruits, qui donnent des graines ailées, dispersées par le vent, l’eau et les oiseaux. Mais il est également capable de se reproduire lui-même de façon végétative : les perturbations naturelles (gel, feu) et les impacts provoqués par l’Homme (coupe ou fente des tiges) induisent une régénération via des pousses pouvant émerger de la racine, de la souche ou de la tige. Des rejets peuvent émerger jusqu’à 15 mètres du plan parent.

Des essais sur les talus ferroviaires…

À partir de là, des essais sont réalisés à la fois in situ sur les talus, et in vitro en laboratoire. Les premiers consistent à mettre à l’épreuve différentes stratégies de gestion, en associant entre eux des végétaux pour observer si cela freine ou non l’expression de l’EEVE ciblée. Des arbustes sont ainsi combinés à des plantes herbacées, chacun pouvant avoir un rôle complémentaire pour priver l’espèce envahissante de lumière, de nutriments, et s’avérer toxique pour elle.

Arbre originaire du Canada, le robinier faux-acacia a lui aussi une croissance rapide (même si moins spectaculaire) de 0,3 à 1,5 mètre par an et peut atteindre chez nous 20 à 30 mètres de haut. On le retrouve sur tous les types de sols, y compris pauvres en nutriments. Sa capacité à fixer l’azote lui permet de coloniser rapidement les milieux acides ou pollués. S’il produit des fruits (gousses contenant plusieurs graines), le robinier faux-acacia se reproduit principalement par voie végétative grâce à ses racines qui génèrent des rejets. Celles-ci peuvent rayonner jusqu’à 15 mètres autour de l’arbre et lui donnent un fort pouvoir de fixation au sol. Il est donc également difficile de le réguler.

…et des focus en laboratoire

Les travaux en laboratoire s’intéressent plus finement à deux des mécanismes à l’œuvre : les composés allélopathiques et les mycorhizes. Les composés allélopathiques sont des substances chimiques que les espèces (locales ou invasives) libèrent dans le sol et qui peuvent être toxiques pour une autre plante, limitant ainsi sa croissance. Les mycorhizes quant à elles sont une symbiose entre un champignon et une plante, qui permet à cette dernière de capter davantage de nutriments dans le sol.

Apprécié pour ses abondantes fleurs jaunes qui égayent les jardins en hiver, le mimosa n’en est pas moins une espèce végétale exotique envahissante, introduite au XVIIIe siècle depuis l’Australie. Cet arbre à croissance rapide peut mesurer entre 5 et 15 mètres. Pour ce qui est de sa reproduction, ses graines tombent au sol et peuvent être transportées sur de grandes distances par l’eau ou par les fourmis, friandes de son enveloppe. Ses fruits s’entrouvrent sous l’effet de la chaleur des incendies et les graines se libèrent et germent, la levée de leur dormance étant associée au passage du feu. Ces graines ont une durée de vie de 50 ans. Toutefois, l’essentiel de l’extension du peuplement du mimosa est assurée par les rejets générés par ses racines et ses souches. Ces derniers sont accentués lorsque les pieds se trouvent en état de stress, dus par exemple aux lésions des racines, à la taille ou à la coupe… soit précisément lorsque l’on tente de maîtriser la plante.

« On teste l’effet de plusieurs types d’aménagements au niveau du sol, avec une étude des communautés végétales pour voir comment elles se comportent dans le temps et comment se comportent les invasives. On essaie de voir comment on peut faciliter la réponse de la végétation spontanée pour contrôler cette explosion des invasives et essayer de s’inscrire dans une gestion durable des talus ferroviaires. »

Thierry Tatoni, Directeur de recherche à l’IMBE

Bien que parfois considérée comme indigène dans le bassin méditerranéen, la canne de Provence pourrait représenter une introduction ancienne en provenance d’Asie. Comme la renouée du Japon, elle figure aujourd’hui dans la liste des 100 espèces envahissantes (y compris hors végétaux) les plus nuisibles au monde, établie par l’UICN. Lorsque les conditions sont favorables, ses tiges peuvent pousser de 5 cm par jour, jusqu’à atteindre 6 mètres de hauteur. Elle forme également des populations très denses pouvant regrouper 80 tiges par mètre carré. La canne de Provence se reproduit essentiellement de façon végétative, en l’occurrence par extension de ses rhizomes, capables de couvrir des centaines de mètres. Les tiges tombées au sol sont également capables de s’enraciner à nouveau et de fournir de nouvelles repousses. La dispersion de fragments de rhizomes sur de nouveaux sites par les voies d’eau, inondations, ou travaux de terrassement contribue à sa prolifération.

Premiers résultats encourageants

Après des centaines d’heures de recherche et plus de 500 pages de rapports et de publications scientifiques, le programme REEVES est parvenu à des premiers résultats prometteurs sur les EEVE ciblées…

RENOUÉE DU JAPON : DES PISTES EN LABORATOIRE

Un affaiblissement de l’espèce invasive a été observé sur les stations expérimentales des Ardennes, dont les raisons restent à préciser en détails. Les équipes en laboratoire ont montré que deux espèces permettaient grâce aux composés allélopathiques qu’elles dégagent de réduire la prolifération de la renouée.

AILANTE : SUS AUX RACINES

Les expérimentations sur les talus ont relativement bien fonctionné puisque le nombre de rejets formés par l’EEVE sur les parcelles traitées avec des plantations est largement inférieur à celui sur les parcelles témoins. Cela est aussi potentiellement dû au travail initial du sol qui a pu endommager le système racinaire de l’ailante et limiter sa propagation.

ROBINIER FAUX-ACACIA : VERS UN AFFAIBLISSEMENT DES SEMENCES

Le comportement du robinier dans les stations expérimentales est relativement similaire à celui de l’ailante, avec un assez faible nombre de rejets observés, a fortiori en comparaison de la parcelle témoin. Là aussi le travail initial du sol a pu avoir une influence. En complément, les recherches en laboratoires ont montré l’efficacité des composés allélopathiques de 2 espèces natives sur les semences de robinier.

MIMOSA : 2 ESPÈCES NATIVES EFFICACES

Les parcelles expérimentales comptant des plantes de restauration ont été significativement moins recouvertes que les zones témoins. Cela montre un effet intéressant de ces végétaux sur l’espèce invasive qu’est le mimosa. L’IMBE1 a en effet montré en laboratoire que deux espèces ont un effet probant pour réduire la croissance du mimosa.

CANNE DE PROVENCE : 1 ESPÈCE À L’ACTION PROBANTE

Face à cette EEVE, comme pour le mimosa, des constats clairs ont émergé quant à l’efficacité d’une espèce native. Celle-ci permet pour le moment de limiter la hauteur et le nombre de feuilles de la canne de Provence, ce qui corrobore les résultats affichés en laboratoire par l’IMBE.


  1. Entre 2021 et 2023, l’Institut Méditerranéen de Biologie et d’Écologie (IMBE) de Marseille a réalisé un suivi des stations d’expérimentation sur les talus ↩︎

A lire

Comment accélérer la transition écologique et sociale grâce aux communautés ?

“(Re)faire tribu” est la newsletter mensuelle d'Hugo, 24 ans,...

Une Initiative mondiale pour l’intégrité de l’information sur le changement climatique

Au G20 2024 à Rio de Janeiro, le gouvernement...

L’avenir de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est-il en danger ?

Dans un contexte économique incertain, où les entreprises jonglent...

Newsletter

spot_img

Sur Cdurable

Immobilier régénératif : méthode et stratégie pour passer à l’action

Face aux grands défis environnementaux, sociaux et sociétaux et...

Le télétravail : un levier pour lutter contre le dérèglement climatique ?

France Stratégie et l'Inspection générale de l'environnement et du...

Manger flexitarien, végétarien ou végétalien sauvera-t’il notre avenir, biodiversité et climat ?

La consommation de viande est le principal poste d'émissions...

Livre Blanc de la construction durable en Outre-mer

Pour répondre à l’urgence des enjeux liés aux spécificités...
Cyrille Souche
Cyrille Souchehttp://cdurable.info
Directeur de la Publication Cdurable.info depuis 2005. Cdurable.info a eu 18 ans en 2023 ... L'occasion d'un nouveau départ vers un webmedia coopératif d'intérêt collectif pour recenser et partager les solutions utiles et durables pour agir et coopérer avec le vivant ...

COP29 Climat : vers un réel engagement des États à sortir des énergies fossiles ?

Publié fin mars 2023, le dernier rapport de synthèse du GIEC est sans équivoque : le réchauffement de la température moyenne mondiale s’accélère et...

Comment accélérer la transition écologique et sociale grâce aux communautés ?

“(Re)faire tribu” est la newsletter mensuelle d'Hugo, 24 ans, parti découvrir l’art de faire communauté. Tous les mois, il nous partage des pépites pour...

Vers un référentiel d’indicateurs pour préserver la qualité des sols ?

L'INRAE a coordonné une étude sur la qualité des sols, réalisée par un collectif de 19 chercheurs issus de 10 organismes de recherche et...