La conférence de Davos sur l’initiative mondiale « Une Planète, Une santé » a mis en évidence que les organisations internationales qui l’ont initiée, l’OMS, la FAO et l’OIE ne semblent pas avoir les moyens de leur ambition. Le secteur privé a, quant à lui, montré la force de son pouvoir de lobbying. Fort heureusement, d’autres relais, plus indépendants, apparaissent pour porter cette initiative qui prône une approche intégrée de notre santé en connexion avec celle des animaux et l’intégrité de nos écosystèmes.
Le congrès 2012 « Une Planète, Une Santé », qui s’est tenu à Davos fin février, a vu l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Food and Agriculture Organisation (FAO), l’Office International des Épizooties (OIE) et d’autres organisations internationales réitérer leur appel à une collaboration urgente entre les différents partenaires pour relever les nouveaux défis qui pèsent sur notre santé. Cette initiative mondiale prône une approche intégrée de notre santé en connexion avec celles des animaux et des écosystèmes. L’effort est louable et pleinement justifié. Initiatrices de ce projet, les organisations internationales semblent cependant être dépassées par la complexité de la tache et leur incapacité à repenser leur mode de fonctionnement. A Davos, elles sont apparues sur la défensive tentant plus de justifier des bilans mitigés et de protéger leurs près-carrés plutôt que d’imaginer de nouveaux modes d’action. Face à elles, les industries de l’alimentation et de l’agrochimie sont venues discrètement montrer leur force et délivrer le message que tout ira bien si elles restent libres de continuer leur marche en avant. L’absence des voix des consommateurs, de la société civile, des pays du sud était assourdissante. Fort heureusement, des acteurs plus indépendants ont esquissé, à Davos, de nouvelles voies, plus collaboratives, moins bureaucratiques et ont appelé à une participation beaucoup plus large pour porter l’initiative « Une Planète, Une Santé ». Les Organisations Internationales entre autosatisfaction et bilans mitigés. Les organisations internationales sont en compétition féroce pour leur financement qu’elles reçoivent pour des missions spécifiques. Cette concurrence est, de plus, exacerbée en période de crise. Le budget de l’OMS est de 2,2 milliards de dollars, celui de la FAO est de 1,1 milliards et celui de l’OIE est limité à 20 millions. Ce mode de financement ne favorise pas les communications et la coopération entre ces différentes agences. Le financement des composantes « santé animale » et « intégrité des écosystèmes » du programme « Une Planète, Une Santé » sont très largement insuffisants. Alors que les problèmes sont évidents, ces trois agences internationales ont, à Davos, refusé de débattre de cette question préférant présenter des bilans forcement mitigés tout en s’auto-satisfaisant de leur prise en compte des principes de « Une Planète, Une Santé ». Le consortium international de recherche en agriculture, le CGIAR, créé il y a plus de quarante ans, est venu rappeler les énormes difficultés qu’il rencontre dans la coopération entre différentes organisations aux mandats qui se superposent. Il a insisté sur le fait que les succès rapportés de l’approche « Une Planète, Une Santé » manquaient encore de robustesse. Cependant les propositions d’amélioration sont restées très limitées, à savoir une énième réorganisation du consortium qui ne touche pas aux fondamentaux de son mode opérationnel. Ces organisations internationales créées depuis des dizaines d’années, semblent donc être incapables de présenter une analyse objective de leur impact en fonction des ressources qu’elles consomment. Elles paraissent démunies dans leur capacité à repenser leur mode de fonctionnement pour s’adapter aux nouveaux défis qu’elles-mêmes ont identifiés. Enfin, elles ne font pas le poids devant la globalisation du secteur privé, capable de mobiliser des ressources beaucoup plus importantes et d’organiser des lobbying très puissants.Le secteur privé : ne pas changer une formule qui marche
Les industries de l’alimentation et de l’agrochimie ont délivré leurs messages via les représentants du TAFS forum (Trust in Animals and Food Safety) et de la Fondation Syngenta. Le discours ne change pas. Le secteur privé revendique un pouvoir d’action très supérieur à celui des agences internationales pourvu qu’on le laisse libre de mener sa recherche scientifique et que l’on n’entrave pas ses accès aux marchés. Deux chiffres permettent de prendre la mesure du pouvoir de l’industrie agroalimentaire : sa valeur atteindra 7 mille milliards de dollars en 2014, le groupe Nestlé a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires de plus de 90 milliards de dollars. L’industrie agrochimique à elle seule représente plus de 30 fois le budget de la FAO. L’écart de ressources entre le secteur privé et les organisations internationales est abyssal. Le représentant de la fondation Syngenta a martelé que le monde doit produire plus pour nourrir la population et qu’il a besoin d’organismes génétiquement modifiés, de pesticides et de facteurs de croissance. Pour lui, la techno phobie n’est que pur romantisme. Il oublie simplement de dire que la recherche agronomique ne se limite pas aux GMO, pesticides et fertilisants, mais que c’est l’industrie qui a réduit le champ des possibles à ces trois domaines. Le TAFS forum s’est fait le porte-parole de l’industrie alimentaire pour dire qu’elle avait effectivement pris en compte les problèmes de santé et d’innocuité. Pour preuve, elle a juré la main sur le cœur à sa conférence d’Orlando de cette année que ses membres s’engageaient à considérer l’aspect innocuité comme un prérequis à la commercialisation et qu’ils n’entreraient pas en concurrence entre eux sur ce thème. Reste à savoir si cela est une vraie bonne nouvelle pour les consommateurs ou plus un pacte de non-agression entre les acteurs de cette industrie ! La fracture entre les intérêts du secteur privé et les missions des organisations internationales est flagrante. Limitées dans leurs moyens, peu efficaces dans leur mode opératoire, ces dernières ne semblent pas avoir, dans l’état actuel des choses, les moyens de leurs ambitions quant à l’initiative « Une Planète, Une Santé »Les nouvelles voies
Des intervenants, probablement plus indépendants dans leur analyse que les membres des organisations internationales ou les porte-paroles du secteur privé, ont esquissé à Davos des voies de changement. Deux ont retenu l’attention. Le Docteur Laura Kahn, de l’Université de Princeton, co-fondatrice du site internet www.onehealthinitiative.com, a proposé la refonte des organismes internationaux impliqués dans le concept «Une Planète, Une Santé », dont l’OMS, la FAO et l’OIE en une seule organisation « One Health ». Les avantages en seraient une utilisation plus coordonnée des fonds, un rééquilibrage des financements des différentes composantes de l’initiative notamment la santé animale et l’intégrité des écosystèmes, et une remise à plat des modes de fonctionnement archaïques. Cependant, il est facile d’imaginer que la mise en place d’une telle organisation entrainant un dé-commissionnement des structures existantes est politiquement très difficile. Il est probable que l’évolution des organisations internationales ne pourra se faire que sous des pressions extérieures. Par exemple, les acteurs de la santé au sens général, d’où qu’ils soient, à quelque type d’organisations qu’ils appartiennent, qu’ils viennent des domaines de la santé humaine, de la santé animale, de la protection de l’environnement ou des domaines économiques, sociaux ou du développement vont avoir la possibilité prochainement de rejoindre un réseau des réseaux, appelé « One Health Global Network ». C’est le Docteur Alain Vandersmissen qui a présenté cette initiative originale. Le principe est la création d’un espace virtuel de collaboration de type web2.0 pour tous ceux qui se sentent concernés par l’approche « Une Planète, Une Santé ». Ce réseau des réseaux n’appartiendra à personne, il a l’ambition d’attirer des contributeurs du monde entier, institutionnels ou non, de la société civile, des ONGs. La coordination sera assurée par un groupe éclectique de 25 à 30 membres qui changeront régulièrement. Ce « One Health Global Network » est pour l’instant en version pilote et sera lancé globalement début 2013. En conclusion, la conférence de Davos a sans conteste montré que la prise de conscience de l’importance d’une approche holistique de la santé se répand rapidement. Les organisations internationales à l’origine de l’initiative « Une Planète, Une Santé», à savoir l’OMS, la FAO et l’OIE n’ont pas les moyens de leur ambition. Elles devront repenser leur mode opérationnel pour pouvoir jouer un rôle significatif. Heureusement, de nouveaux relais apparaissent pour porter cette initiative avec des modes de fonctionnement collaboratifs, flexibles et ouverts à toutes les parties prenantes de « Une Planète, Une Santé ».