Ce rapport est le premier d’un programme d’études développé au sein de l’École urbaine de Sciences Po avec l’appui de l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consignations. Adossé à un enseignement consacré depuis 2022 aux stratégies économiques territoriales à l’heure des transitions écologique et énergétique, ce programme de travail est d’abord consacré à la nouvelle démarche de planification écologique et ses efforts de territorialisation, puis centré sur les besoins de financement public et privé des politiques de décarbonation et de transition écologique (quatrième trimestre 2024).
Ce programme a vocation à s’élargir en 2025-2026 à l’analyse détaillée de stratégies territoriales énergie-climat et au chantier plus spécifique de la décarbonation de l’industrie.
Vers des feuilles de route régionalisées
Le premier volet du programme s’intéresse au lancement de la concertation décentralisée, engagée à partir de l’automne 2023, en vue d’établir les feuilles de route régionales de la planification.
Cette ambition de régionaliser la stratégie française énergie-climat (SFEC) est l’une des principales nouveautés de la nouvelle planification. A travers des conférences des parties prenantes (COP), elle esquisse un effort significatif de territorialisation des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de baisse des consommations énergétiques et de production d’énergies bas carbone.
Une telle ambition présuppose un changement de méthode par rapport aux modes de territorialisation empruntés lors des deux premiers cycles de planification énergie-climat issus de la loi Transition écologique pour une croissance verte (TECV) d’août 2015.
Ce rapport s’appuie sur des entretiens, essentiellement au premier semestre 2024, avec des représentants de différentes parties prenantes de la planification. Environ 80 entretiens semi-directifs d’une heure trente à deux heures ont été conduits à ce stade. La liste des personnalités rencontrées, disponible en annexe du rapport, comprend des représentants des pouvoirs publics nationaux (parlementaires, préfets, dirigeants d’agences nationales ou de grands opérateurs publics…), de collectivités (principalement régions et intercommunalités), de fédérations professionnelles, d’associations et organisations non gouvernementales, d’entreprises publiques et privées, de consultants et d’experts.
Par ailleurs, une revue de littérature comprend aussi bien des travaux académiques, des documents
stratégiques des différents niveaux d’autorités publiques, des rapports (ministères, Parlement, Cour des Comptes, Inspections générales…) ou des scénarios mis en débat par des organisations telles que RTE, l’ADEME, le Shift Project, Negawatt… Le rapport s’appuie aussi sur une abondante information accessible en ligne sur les sites institutionnels et observatoires divers.
Il est apparu indispensable de prendre en considération les éventuelles inflexions des ambitions nationales du plan France nation verte présenté en 2023 et du plan national intégré énergie climat (PNIEC) adressé à la Commission européenne en juillet 2024, puis les possibles changements d’orientations et de méthode proposés par le nouveau gouvernement.
Quelques interrogations entourent encore l’avenir du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), présenté dans le rapport comme le fer de lance de la nouvelle stratégie française, doté d’importants pouvoirs de coordination. Son repositionnement peut être perçu comme un recul du chantier de planification au sein des priorités nationales, dans un contexte dominé par les tensions budgétaires et les efforts de réduction du déficit public.
L’intention initiale du gouvernement Barnier était de mettre en débat, dans les meilleurs délais, les trois documents constitutifs de la stratégie française énergie-climat. Les retards accumulés depuis plusieurs mois d’instabilité gouvernementale font risquer à la France d’encourir de nouvelles condamnations contentieuses pour inaction climatique ou pour manquement à nos engagements européens.
La présentation de ces documents est intervenue fin octobre et début novembre 20241 au moment même où est remis ce rapport d’étape. Au cours du premier semestre 2025, un deuxième volet de l’étude devrait analyser plus en détail les orientations des documents nationaux et de leurs déclinaisons régionales (feuilles de route) qui n’étaient pas disponibles lors de la rédaction de ce rapport.
Ce rapport est, à ce stade du processus de concertation, centré sur les grands enjeux de la planification et la répartition des responsabilités.
C’est la « descente d’échelle » de la planification qui est ici questionnée, à travers d’une part la transposition nationale des orientations décidées collégialement au niveau européen par les États-membres et, surtout, les ambitions nouvelles de territorialisation de ces politiques.
Ce travail a permis d’interroger les attendus de la planification écologique, de la nouvelle signification qui lui est donnée par les décideurs et de la recherche d’alignement des stratégies et priorités publiques.
Le lancement à la fin de l’année 2023 des « COP régionales » illustre des scènes de « gouvernance multi-niveaux » qui s’imposent aux politiques publiques les plus complexes, mobilisant des compétences éclatées et des instruments d’intervention multiples2.
L’auteur du rapport s’est également inspiré des analyses et clefs de lecture proposées par le chercheur François-Mathieu Poupeau dans plusieurs de ses publications3.
L’installation de ces COP régionales et des groupes de travail qui les ont matérialisées est abordée après avoir présenté le contexte spécifique dans lequel cette planification s’est engagée, marquée par les nouvelles ambitions du Pacte vert européen et du mot d’ordre « Fit fo 55 » (ajustement à 55% de l’objectif de réduction des émissions GES à l’horizon 2030 par rapport à l’année 1990).
Le troisième chapitre porte sur la réception de la démarche par les parties prenantes et l’adhésion aux modélisations nationales. Le rapport analyse les marges de flexibilité offertes à la déclinaison des objectifs, région par région, afin d’entrer dans un exercice de différenciation et de « sur-mesure » des feuilles de route régionales.
Dans le quatrième chapitre deux chantiers connexes sont abordés, qui se sont traduits par des scènes de négociation parallèles mais indissociables des travaux des COP :
- l’exercice de définition des zones d’accélération des énergies renouvelables (ZAEnR) issues de la loi d’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023 (n° 2023-175),
- la déclinaison territoriale de l’objectif de réduction par deux des consommations foncières issu de la loi climat et résilience du 22 août 2021 (n° 2021-1104), révisée sur ce sujet par la loi du 20 juillet 2023 (n° 2023-630), pour viser l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) à l’horizon 2050.
Enfin, les trois derniers chapitres proposent de dégager les enseignements généraux de ce travail d’enquête et d’entretiens. Il est notamment question de réinterroger les capacités planificatrices de l’État, aussi bien dans le temps que dans l’espace.
Malgré sa complexité organisationnelle et sa diffraction en une multitude d’opérateurs ou d’autorités indépendantes, l’État reste l’entité politique redevable en dernier ressort du respect par la France de ses
engagements européens.
Il est de fait invité à jouer le rôle de « maître des horloges » et le chef d’orchestre d’une vaste polyphonie. L’État est également de plus en plus tenu à un impératif de résultat devant les juridictions et exposé à un risque de condamnation pour « inaction climatique »4.
L’exercice de la planification-climat, assorti d’objectifs chiffrés et datés, soulève lors de sa mise en œuvre des questions considérables en termes de moyens budgétaires, de leviers fiscaux et réglementaires, de coûts de coordination et de transaction avec les parties prenantes mais aussi d’acceptabilité sociale.
Parmi ces questions, figure celle portant sur le sens à donner à l’ambition planificatrice. Même si elle renoue avec l’esprit de la planification concertée « à la française » des années 1950-1980, plus ou moins prolongée par les contrats de plan État-région qui en ont pris le relais avec la décentralisation5, la planification écologique est-elle en capacité de redevenir une « réductrice d’incertitudes » en fixant des caps et des points de convergence des initiatives publiques et privées ?
Avancer, à ce stade, des réponses définitives serait imprudent mais il est déjà possible de synthétiser les questionnements des acteurs rencontrés et les améliorations suggérées pour tendre dans une telle direction.
Le contexte des entretiens du premier semestre 2024, marqué par le remaniement gouvernemental, les suites des manifestations agricoles et les divers gels de crédits budgétaires ont fortement pesé sur les avis recueillis, alimentant un certain scepticisme quant à la capacité effective de l’État à fixer des trajectoires claires et stables à des horizons aussi ambitieux que 2030, 2035 et 2050.
Le rapport propose une relecture transversale des défis auxquels entend répondre la planification à travers les six grands chantiers thématiques de « France nation verte ». Sont recensés les points durs de la planification et mis en discussion les leviers actuellement identifiés pour atteindre les objectifs.
Sont notamment évoqués :
- les objectifs de réduction des émissions liées aux activités de production (industrie, agriculture, construction),
- les politiques d’efficacité énergétique concernant le logement et les bâtiments,
- la décarbonation des mobilités,
- la trajectoire retenue pour transformer le modèle énergétique national et adapter les infrastructures de réseau en conséquence.
Le dernier chapitre aborde le volet socio-économique de la planification. Il se veut très synthétique
sur les besoins de financement public et privé des transitions dans la mesure où une deuxième publication sera consacrée à ce sujet dans le cadre du programme d’études.
Ce chapitre s’intéresse aux impacts attendus de la planification sur l’emploi, les compétences et l’organisation des grandes filières économiques. Dans la plupart d’entre elles sont actuellement mises en balance par les acteurs concernés des menaces et des opportunités, avec des efforts d’estimation des gains et des pertes à attendre.
Ces différentes filières ne sont pas simplement sollicitées pour s’adapter aux transitions ou en subir les contraintes. Il leur est largement demandé d’en devenir les agents actifs, de proposer de nouveaux modèles économiques et d’apporter des solutions techniques pour transformer les modes de production et de consommation.
Ce qui est perçu souvent comme un « coût » correspond parfois tout simplement à ce qui fera la création de richesse et la valeur de demain.
Ce premier volet du programme d’études recouvre un périmètre déjà très large qui est proche de celui qui figurait au cœur des COP régionales. Il porte essentiellement sur la dimension énergie-climat de la planification et accorde une place centrale aux trajectoires du Pacte vert et du « fit for 55 ».
Ce travail n’évoque que de manière laconique des sujets aussi fondamentaux que la gestion de l’eau (dont la planification s’organise à l’échelle des bassins hydrographiques et sous la responsabilité des comités de bassins), la stratégie nationale biodiversité, les enjeux de qualité de l’air… qui font l’objet de plans sectoriels.
De même, bien que le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) soit l’un des trois volets constitutifs de la stratégie française énergie-climat, les enjeux cruciaux qu’il a vocation à traiter ne peuvent être approfondis dans le cadre de ce premier rapport faute d’avoir pu disposer à temps du projet de 3ème plan national d’adaptation présenté seulement à la fin du mois d’octobre 20246. Ces sujets seront abordés dans la deuxième phase de l’étude.
- Le projet de plan national d’adaptation au changement climatique a été officialisé le 25 octobre 2024 lors du déplacement du Premier ministre dans le Rhône. Les nouveaux projets de stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de programmation pluriannuelle de l’énergie ont été présentés par le gouvernement le 4 novembre suivant. ↩︎
- La notion de « gouvernance multi-niveaux » est attribuée en général au chercheur Garry Marks et très liée à l’origine aux transactions entre niveaux institutionnels au sein de l’Union européenne et de la politique de cohésion (fonds structurels). Elle prend une signification forte avec les questions énergétiques et écologiques dans lesquelles les sièges des responsabilités sont très polycentriques et étagés, investies fortement par la Communauté européenne dès les années 1970. La gouvernance multi-niveaux est promue activement par la Convention européenne des Maires pour le climat et l’énergie. Voir Covenant of Mayors for Climate & Energy, Gouvernance à multiniveaux dans l’action (climatique), 2021, 26 p. ↩︎
- François-Mathieu Poupeau, Analyser la gouvernance multi-niveaux, PUG, 2017, 253 p. ↩︎
- Décision du Conseil d’Etat n°427301 du 19 novembre 2020. ↩︎
- CGET, Les contrats de plan État-région, Histoire et perspectives, La documentation française, 2017, 140 p. ↩︎
- La France a été l’un des premiers pays au monde à se doter d’un plan climat, dès 2005, et une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique en 2006. Le premier plan national d’adaptation (PNACC-1) est issu du Grenelle de l’environnement et sera publié en 2011. Le deuxième PNACC date de 2018. Ces plans ont fait progresser les savoirs et les outils de modélisation tout en infusant dans
les documents de planification territoriaux et sectoriels des volets adaptation. Ils ont également influencé les normes techniques, les métiers d’ingénierie et de la construction, les grands gestionnaires de réseaux, les professions agricoles… Le troisième PNACC intègre un scénario possible de réchauffement de + 4° en France à l’horizon 2100. Il se compose de 5 axes et de 51 mesures. Voir Document de présentation du PNACC 3, 70 pages. ↩︎