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Rapport 2013 de l'Idies sur l’état de l’information économique et sociale

La fabrique de l’information économique

par Jean-Marie Charon, sociologue des médias

L’Idies a présenté aujourd’hui son rapport 2013 sur l’état de l’information économique et sociale. L’information sur l’économie occupe aujourd’hui une place importante dans les médias. Mais de quoi parle-t-on quand on parle d’économie ? Quels moyens humains lui sont aujourd’hui consacrés ? Comment s’articule le travail des services économiques avec celui du reste des rédactions ? Quels types de relations s’établissent entre les journalistes et leurs sources ? Parvient-on à mettre en débat des sujets économiques souvent complexes ? Autant de questions traitées dans ce rapport par le sociologue des médias Jean-Marie Charon, membre du conseil d’administration de l’Idies.

RÉSUMÉ

« L’économie est l’affaire de tous. Elle n’a jamais autant façonné notre quotidien. Il n’a jamais été aussi urgent de la comprendre, de la décrypter. »
Natalie Nougayrède, Le Monde du 30 avril 2013.
L’économie occupe aujourd’hui une place centrale dans le débat public. C’est un sujet technique mais qui fait l’objet de nombreuses controverses. Les journalistes sont-ils capables d’en rendre compte de manière satisfaisante ? Ont-ils les moyens d’analyser les problèmes qu’elle soulève et dont la complexité est croissante ? Ont-ils suffisamment d’autonomie pour traiter de manière satisfaisante d’un domaine où les intérêts en présence sont considérables ? Il est permis d’en douter. Pour au moins cinq raisons, qui ont trait à la formation des journalistes, à l’importance prise par la communication, à l’organisation des rédactions, à l’accélération de l’information et au bouleversement du modèle économique des médias. Tout d’abord, le niveau de formation à l’économie des journalistes est souvent faible et a tendance à décliner, alors même que les questions économiques sont de plus en plus présentes dans l’agenda médiatique. Ce déficit de formation peut les handicaper quand il s’agit de lire les comptes d’une entreprise, de comprendre les mécanismes d’une restructuration ou les subtilités du droit du travail. Mais plus fonda- mentalement, cela les soumet au système de valeurs, aux grilles de lectures et aux postulats dominants. Ce risque est d’autant plus fort que les services de communication des entreprises, dans le même moment, ont pris un poids considérable et disposent de moyens sans commune mesure avec ceux des rédactions. Résultat : trop de journalistes économiques reprennent les communiqués de presse sans chercher à valider les informations qui leur sont transmises. D’autre part, au sein des rédactions, les services économiques occupent généralement une place spécifique, moins valorisée sur le plan hiérarchique que les services politiques et travaillent de manière peu articulée avec ceux-ci. Une situation qui nuit à la qualité de l’information économique – qui tend à être objectivée – , comme de l’information politique – qui rend mal compte des enjeux politiques liés aux questions économiques. Cette distance est entretenue par la faible compétence des hiérarchies en matière économique qui les conduit parfois à privilégier les sujets perçus comme les moins complexes. L’accélération du traitement de l’information joue également négativement. Quand une information nécessite d’être traitée dans l’urgence, les journalistes spécialisés sont généralement court-circuités par les reporters de terrain qui enchaînent les sujets sans préparation, ni connaissance des données de base. Parallèlement, le recours à des experts extérieurs (souvent les mêmes) se généralise pour compenser le manque d’expertise interne aux rédactions. La crise des modèles économiques des médias n’arrange rien. Les effectifs sont en baisse et la tension sur le temps imparti pour traiter d’un sujet s’amplifie. De plus en plus, les rédactions cherchent à recruter des journalistes immédiatement opérationnels, capable de traiter tous les sujets, sur différentes plateformes, et ce au détriment des rubricards, spécialistes d’un domaine. Parallèlement, la perte des ressources publicitaires met en péril l’autonomie du travail journalistique, poussant les directions de rédaction à être davantage à l’écoute des alertes et conseils des régies publicitaires. Au final, toutes ces tendances fragilisent l’information économique, au moment même où les questions dont elle traite devraient être placées au cœur du débat et où les attentes du public ne cessent de s’élever.

SOMMAIRE

  • La fabrique de l’information économique
– Economie et formation des journalistes – Information économique et communication – Situation contrastée des rédactions – De l’utilité d’un service économie – Accélération et information en temps réel – Puissant impact de la crise des modèles économiques – Externalisation de la compétence
  • Témoignages
– Loïc Hervouet – Jean-Marc Vittori – Vincent Rocken – Laurent Joffrin – Julie Bloch-Lainé – Anton Brender André Orléan.
  • Annexes
– Diffusion de la presse économique – Tableau des services économiques – Le statut de l’économie dans les médias – L’économie, star de la présidentielle – Des économistes sous influence ? – De l’influence des communiqués de presse
  • Les dernières publications de l’Idies
– Présentation de l’Idies

Consulter le Rapport

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L’institut pour le développement de l’information économique et sociale (www.idies.org) a été créé en septembre 2007. Son objet est de réfléchir aux conditions d’un débat démocratique de qualité sur les questions économiques et sociales. L’Idies développe son action dans quatre directions : la place et le contenu des enseignements économiques et sociaux ; le traitement de l’information économique par les médias ; la qualité et le pluralisme des sources statistiques ; l’information économique des parties prenantes au sein des entreprises.

Développer la culture économique et sociale des Français, oui, mais pas n’importe comment !

Le manifeste de l’Idies

On observe aujourd’hui un large consensus, au sein des élites politiques et économiques, pour considérer que la culture économique des Français est insuffisante. La création d’un Codice – Conseil pour la diffusion de la culture économique – à l’initiative de l’ex-ministre de l’Economie et des Finances Thierry Breton, en a témoigné en 2007.

Ce manque de culture économique est aujourd’hui invoqué pour expliquer la méfiance voire l’hostilité de larges fractions de l’opinion à l’égard de l’économie de marché, un comportement qui trancherait par rapport à celui observé chez la plupart de nos voisins européens. L’opinion française serait ainsi amenée à chercher des réponses inadaptées aux peurs que suscitent le fonctionnement actuel de l’économie et les mutations dont elle fait l’objet, qu’elles se nomment mondialisation ou financiarisation.

Il est nécessaire de démêler le vrai du faux dans cette présentation des faits. Oui, la culture économique des Français laisse à désirer. Oui, il faut la développer afin que l’ensemble des citoyens puisse participer au débat démocratique sur les questions économiques et sociales. Oui, des citoyens mieux informés seraient plus à même d’apprécier les contraintes réelles qui s’exercent sur l’économie française.
Le déficit d’explication n’explique pas tout

Le souci éducatif des élites économiques n’est cependant pas dénué d’ambigüité. A écouter certains propos, les inquiétudes engendrées par les mutations de l’économie – et les réactions de rejet qu’elles suscitent parfois – disparaîtraient tout naturellement si les Français accédaient à cette « culture économique » qui leur fait défaut aujourd’hui. Comme s’il suffisait d’expliquer aux Français le comment et le pourquoi des choses pour les réconcilier avec l’économie telle qu’elle est. Il existe pourtant de solides raisons aux craintes d’une partie de l’opinion à l’égard de la chose économique et le « déficit d’explication » n’explique pas tout. Si certaines représentations simplistes disparaissent dès qu’on accède à un minimum de culture économique (comme le constatent année après année les enseignants de Sciences économiques et sociales confrontés aux idées préconçues de leurs élèves), on peut aussi penser que des citoyens mieux au fait des questions économiques et sociales seraient susceptibles de manifester un sens critique plus aigu quand ils sont confrontés à des discours leur expliquant qu’« il n’y a qu’une seule politique possible ». Accéder à la culture économique, c’est aussi prendre la mesure des marges de manœuvre existantes et devenir capable, sur ces bases, d’imaginer les alternatives réellement possibles aux modes de fonctionnement actuel de l’économie.

Ne pas se tromper sur le diagnostic ni sur les remèdes

S’interroger sur les raisons de cette culture économique insuffisante des Français est donc tout sauf un faux problème. A condition de mener cette réflexion sur une base pluraliste, en ayant pour objectif non pas une normalisation idéologique, mais un souci d’approfondissement de la qualité de notre vie démocratique. Dans un tel contexte, la création de L’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies) entend apporter sa pierre à la réflexion sur cette insuffisante culture économique des Français. L’objectif de l’Idies est de contribuer au débat social sur les conditions d’une information économique et sociale de qualité, indépendante, soucieuse de promouvoir une économie au service de la société.

L’Idies entend s’intéresser aussi bien aux enjeux liés à l’enseignement de l’économie, mais aussi au traitement des questions économiques et sociales par les médias. Car si le défaut de culture économique de nos concitoyens trouve sans doute sa source dans certains fondamentaux de notre culture collective, il est également reproduit par le système éducatif comme par les médias.

Une faible place dans les programmes d’enseignement

Au sein du système éducatif, les questions économiques et sociales demeurent encore largement absentes. Plus précisément, la vision de l’économie et de la société que transmet le système éducatif aux jeunes en formation est d’abord véhiculée par des enseignements qui poursuivent d’autres objectifs. Certes, certains éléments de culture économique sont inclus dans le socle commun auquel doivent accéder tous les collégiens, mais cela reste très marginal. En fait, si on met de côté les enseignements à caractère technologique à visée professionnalisante, qui comportent une part d’enseignements à caractère général de qualité, la seule discipline où les questions économiques et sociales sont traitées comme telles, comme objet de connaissance scientifique et/ou de culture générale permettant d’accéder à la citoyenneté, est les Sciences économiques et sociales, enseignées aujourd’hui à près de la moitié des élèves de seconde de l’enseignement général, puis au sein de la filière ES. Cet enseignement concerne donc aujourd’hui une part non négligeable des jeunes générations, mais il demeure souvent contesté dans son contenu voire dans ses méthodes, alors qu’il concourt avec succès, depuis maintenant trente ans, à éveiller les jeunes aux réalités du monde où ils devront vivre comme citoyen et comme travailleur actif.

Des médias qui délaissent les questions de fond

Au-delà du monde éducatif, force est de constater que les questions économiques et sociales sont de moins en moins placées au cœur de la délibération démocratique, faute d’une information de qualité sur leurs enjeux et sur les choix possibles. Le journalisme politique tend en effet à se concentrer exclusivement sur les questions tactiques tandis que le journalisme économique est de plus en plus centré sur les stratégies d’entreprise et les enjeux financiers et délaisse les enjeux socio-économiques.

Un outil statistique à développer

La tâche de la presse, et des enseignants, n’est pas non plus facilitée par les insuffisances de l’outil statistique national, qui ne permet pas toujours de disposer des outils nécessaires à un débat informé sur l’état de notre société et qui demeure aujourd’hui dans une relation de dépendance à l’égard de l’autorité politique. Le faible pluralisme des structures à même de fournir une expertise et un commentaire de qualité sur les données primaires fait également problème, en dépit des efforts menés par quelques organismes indépendants.

Une prise en compte insuffisante des différentes parties prenantes à la vie économique

Enfin, la représentation de l’économie, et de l’entreprise, se réduit trop souvent au face à face d’un secteur marchand, dominé par les entreprises de statut capitaliste et une économie publique où Etat et collectivités locales offrent les biens et services que le marché est incapable de produire. Cette image ne correspond pas à la réalité et rend mal compte des multiples façons d’entreprendre. Au sein de l’économie marchande, de nombreuses entreprises poursuivent d’autres objectifs que d’enrichir des actionnaires. Quant à l’économie non marchande, elle ne se limite pas plus à l’Etat et aux collectivités locales. De multiples structures issues de l’initiative citoyenne, associations, mais aussi fondations désormais, prennent en charge des besoins collectifs que le marché ne satisfait pas ou mal.

L’Idies veut rassembler tous les acteurs de la société civile qui considèrent que le développement de la culture économique des Français est une question trop sérieuse pour être laissée uniquement aux autorités politiques et aux grandes entreprises privées.

Au-delà de la mise en valeur des différentes formes d’organisation économique, L’Idies entend promouvoir une conception de l’entreprise qui considère comme légitime non seulement le point de vue des dirigeants et actionnaires, mais aussi celui des syndicats de salariés, des organisations de consommateurs, des organisations non gouvernementales et des territoires.

Sur ces bases, l’Idies veut rassembler tous les acteurs de la société civile qui considèrent que le développement de la culture économique des Français est une question trop sérieuse pour être laissée uniquement aux autorités politiques – qu’on peut suspecter de chercher surtout à légitimer leur action en dictant leur agenda aux médias – ou à des structures soutenues par les seules grandes entreprises du secteur privé marchand qui, au-delà de leur action légitime de défense de leurs intérêts, proposent une information qui prend insuffisamment en compte les points de vue de l’ensemble des parties prenantes.

Les chantiers de l’Idies

L’Idies ne prétend évidemment pas concurrencer le monde éducatif et académique, ni les médias existants. Au contraire, dans la tradition de l’éducation populaire, il entend développer le débat sur les missions des uns et des autres et réfléchir aux moyens qui permettraient d’améliorer la culture économique et sociale de nos concitoyens.

L’Idies contribuera néanmoins à animer le débat démocratique autour des questions économiques et sociales, via ce site, dont la fonction est notamment de signaler l’ensemble des sources permettant à chacun de nourrir sa réflexion et se forger une opinion informée. Complémentaire plus que concurrent des médias classiques, travaillant à la fois en amont et en aval, il se fera l’écho de toutes les parties prenantes qui doivent légitimement participer au débat économique et social en veillant au respect d’un réel pluralisme.

L’Idies devra également contribuer comme organisateur ou partenaires à l’organisation de toute autre initiative de nature à promouvoir ses missions : organisation de colloques, conférences, soutien à des projets associatifs, organisation de stages en entreprises, etc.

Sur ces bases, l’Idies concentrera son activité sur quatre chantiers :

– la place et le contenu des enseignements économiques et sociaux,
– le traitement des questions économiques et sociales par les médias,
– la qualité et le pluralisme des sources statistiques et des organisations qui en assurent l’analyse et la vulgarisation,
– la prise en compte de la pluralité des formes d’entreprise et de la diversité des parties prenantes.

Sur chacun de ces chantiers, des initiatives existent qu’il ne s’agit pas de dupliquer. En revanche, l’Idies a vocation à faire se rencontrer ceux qui les animent, à constituer un lieu de mise en commun de toutes les initiatives ce qui concourent à améliorer l’information économique et sociale à laquelle accèdent nos concitoyens.

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