En complément de l’article Entre valeurs et croissance, le commerce équitable en question publié mardi dernier, nous vous proposons aujourd’hui de décrypter l’évolution du commerce équitable. Les chercheurs de l’INRA – Unité « Alimentation et Sciences Sociales » d’Ivry-sur-Seine – viennent de mettre en évidence les stratégies des différents acteurs pour pouvoir concilier les grands principes et les réalités économiques. Alors, le commerce équitable est-il une chance pour tous les producteurs ? Réponse avec Sylvaine Poret, économiste dans l’unité « Alimentation et Sciences Sociales » à l’INRA.
Né il y a une cinquantaine d’années, le commerce équitable connaît depuis quelques années un intérêt grandissant de la part de la grande distribution et des industriels. Cet attrait est lié à l’apparition depuis la fin des années 80 de la filière labellisée – le label le plus connu en France étant « Max Havelaar » – qui co-existe avec la filière intégrée composée de magasins spécialisés. L’évolution du marché de ces deux filières est très variable selon les pays. Avec 65 % des ventes mondiales et un taux de croissance moyen de 20 % depuis 2000, l’Europe représente le plus grand marché. Néanmoins on observe aux Pays-Bas et en Allemagne, pays précurseurs, une stagnation des produits labellisés. Le marché des produits labellisés est en forte expansion en Amérique du Nord. Les chercheurs ont analysé les enjeux auxquels faisait face le commerce équitable. La question de savoir si la grande distribution est une bonne chose ou non pour l’évolution du commerce équitable reste d’actualité au sein des organisations du commerce équitable (OCE). L’introduction des produits équitables dans les rayons des GMS permet d’accroître significativement les débouchés pour les produits des petits producteurs défavorisés de l’hémisphère Sud, mais elle oblige les acteurs du commerce équitable à traiter avec de grands groupes de distribution, qui représentent ceux contre quoi ils luttent, à savoir des acteurs profitant pleinement des échanges commerciaux injustes. Les organisations de commerce équitable font donc face à une contradiction entre les grands principes du concept et les réalités économiques ou en d’autres termes entre idéologie et pragmatisme. Cette opposition se retrouve dans les discussions rattachées au texte de l’AFNOR et à la loi française définissant le concept. Face aux peurs entraînées par les tentatives de récupération du concept, d’autres initiatives voient le jour comme celle de la Fédération Internationale du Commerce Equitable (IFAT) qui a lancé en 2004 un nouveau signe d’accréditation, le FTO-Mark (Fair Trade Organisation Mark), applicable non aux produits mais aux organisations (OCE).Interview de l’auteur : Sylvaine Poret
Chargée de recherche au sein de l’Unité de Recherche « Alimentation et sciences sociales » (ALISS) d’Yvry‐sur‐Seine Par Jean‐François Quillien, directeur de la Délégation au Partenariat avec les Entreprises (INRA/DPE). JFQ : Vous êtes économiste dans l’unité « Alimentation et Sciences Sociales » (ALISS) d’Ivry-sur-Seine. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ce qu’on entend exactement par « commerce équitable » ? SP : La définition du Commerce équitable a été donnée en 2001 par les acteurs internationaux du Commerce équitable : « partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial et contribuer ainsi au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant des droits des producteurs et travailleurs marginalisés du sud ». JFQ : Vous avez réalisé un état des lieux de la situation du Commerce équitable. Vous mettez en évidence le rôle clé joué par la grande distribution. Pourriez-vous nous en rappeler l’enjeu ? SP : Quand on regarde la définition et les objectifs du commerce équitable on voit qu’il y a deux directions : la première c’est d’améliorer les conditions de vie des petits producteurs du sud et la deuxième c’est de modifier les règles du commerce international en allant vers un commerce plus juste. L’idée au départ était donc de vendre plus dans les pays du nord. En France, en 2003, la grande distribution représentait 67 % du commerce des achats de produits alimentaires (Source Insee) et était donc incontournable. Or pour beaucoup d’acteurs, la grande distribution est le symbole du commerce injuste. Il y a donc une cassure très nette entre deux filières : la filière labellisée (ex : Max Haavelard) qui passe par la grande distribution et la filière intégrée qui s’appuient sur des magasins spécialisés (Artisans du monde par exemple). JFQ : Est-ce qu’on connaît les motivations réelles des acheteurs de produits équitables ? SP : En Europe les consommateurs ont tendance à associer « commerce équitable » et éthique alors que cela ne concerne pas les mêmes produits. Le commerce éthique est une notion plus vaste qui porte davantage sur les droits et les conditions de travail des salariés. Mais on constate quand même que les consommateurs associent la notion de « commerce équitable » avec la notion de justice sociale par le fait que les petits producteurs sont mieux payés. JFQ : Certains critiques disent que le « commerce équitable » est injuste car il favorise les producteurs qui ont la chance d’être sous contrat (prix minimum garanti). En fait les économistes montrent qu’il y a un effet d’entraînement qui se produit sur l’ensemble des producteurs. Pourriez-vous nous expliquer cela ? SP : Pour certains observateurs, c’est bien de donner un prix minimum à certains producteurs, mais cela peut être au détriment des autres. En effet, ceux qui ont un prix minimum garanti vont être tentés d’accroître leur culture, ce qui va se traduire par une augmentation du volume produit. Le risque c’est que cette augmentation de l’offre sur le marché se traduise par une baisse des prix sur le marché conventionnel. Des organisations du commerce équitable prétendent au contraire que l’existence d’une filière équitable a un effet d’entraînement positif sur les cours (« effet boule de neige »). En effet, comme davantage de produits passent par la filière « équitable », le prix pour la filière conventionnelle augmente. Nous avons voulu vérifier au plan théorique cet effet « boule de neige » et nous avons choisi pour cela de travailler sur la filière café qui nous semblait être emblématique et où il existe un déséquilibre entre les petits producteurs très nombreux et les torréfacteurs dont le nombre est limité, avec de surcroît des crises régulières de surproduction. On a testé plusieurs modèles. On constate à chaque fois l’apparition de l’effet « boule de neige ». Donc, une filière équitable permet d’augmenter le cours mondial du produit en question si la surproduction n’est pas trop élevée. On a deux explications. Premièrement, le fait de proposer une variété du produit en plus – ici un produit équitable – peut avoir pour effet d’augmenter la demande de ce produit, et donc de baisser l’offre de produit conventionnel, ce qui augmente le prix. Deuxièmement, la mise en place d’une filière équitable se traduit par la diminution du nombre d’intermédiaires, et donc aussi des marges. Cela permet de proposer un produit équitable moins cher, ce qui a pour conséquence d’augmenter la demande de ce type de produit, et donc de diminuer l’offre de produits conventionnels, ce qui se traduit par une augmentation du prix. JFQ : Mais vous avez démontré que cet effet d’entraînement ne se produisait pas en cas de surproduction très élevée, c’est le contraire qui se produit : les prix baissent. Comment est-ce possible ? SP : En effet, quand la production devient trop importante sur le marché conventionnel, la différence entre le cours mondial et le prix garanti est tellement élevée qu’il va y avoir une diminution de la demande de produits équitables. Les producteurs ne vont plus pouvoir écouler leurs produits équitables à travers cette filière et vont donc chercher à l’écouler dans la filière traditionnelle, ce qui va se traduire par une augmentation de l’offre et une forte diminution du prix du produit conventionnel. Sources de l’article : En direct des labos N°25 – Novembre 2008 – La lettre INRA aux entreprises –