Le gouvernement français vient de se prononcer pour une interdiction du commerce international du thon rouge d’ici 18 mois, sans pour autant interdire toute pêche. Réactions du WWF, de FNE et de Greenpeace.
Jean-Louis Borloo a donc annoncé hier que la France soutenait, à certaines conditions, l’inscription du thon rouge à l’Annexe I de la Convention Internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore menacées d’extinction. Un pas déterminant pour le WWF Pour le WWF-France, cette annonce constitue une première concrétisation de l’engagement présidentiel du 16 juillet dernier. La France apporte pour la première fois son soutien à la proposition de Monaco d’une inscription de l’espèce en annexe I de la CITES, ce qu’elle s’était refusée à faire en septembre dernier lors d’un vote à Bruxelles. La France est le premier pays méditerranéen de l’Union européenne à se prononcer dans ce sens et à ainsi afficher sa préoccupation pour la sauvegarde de l’espèce. C’est un pas décisif qui devrait débloquer la situation au sein de la Commission européenne et qui entraînera le reste de l’Europe. C’est essentiel pour l’emporter lors de la prochaine réunion de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) à Doha, en mars prochain. Maintenant que la France a ouvert la voie, l’inquiétude du WWF réside principalement dans la façon dont l’Espagne, qui assure la présidence tournante du Conseil, mais qui est farouchement opposée à une inscription à l’annexe I, va agir. Le WWF appelle la France à mettre dès maintenant sa machine diplomatique en marche pour qu’une inscription en annexe I soit adoptée à Doha. Le WWF espère que cette décision annonce un tournant dans la gestion de la pêche en France. La France, qui dispose du deuxième domaine public maritime mondial, a en effet une lourde responsabilité dans la protection de la biodiversité marine que seules une approche écosystémique et une gestion durable des ressources halieutique pourront protéger. Une condition incohérente dénoncée par le WWF et FNE Néanmoins cette annonce est assortie d’un délai d’application de 18 mois et d’une condition suspensive que de nombreuses ONG regrettent vivement. Cette condition ne s’explique pas scientifiquement car il n’y a strictement rien à attendre, selon les propres dires des scientifiques, de la prochaine étude de l’ICCAT, précise le WWF. Elle ne s’explique pas non plus économiquement car les senneurs français devront rester à quai en 2011 car ils n’auront pas de quotas de pêche en raison des pénalités liées au dépassement des quotas de 2007. Elle est purement politique et vise à laisser un dernier faux-espoir à la vingtaine de thoniers senneurs concernés ainsi qu’à calmer les esprits avant les élections. Or la pêche industrielle, celle qui a conduit au quasi effondrement de l’espèce doit définitivement cesser afin de permettre à une vraie pêche artisanale durable de se redévelopper. Cette condition est incohérente car elle est dangereuse pour l’espèce, au bord de l’effondrement, souligne le WWF. Elle induit aussi un risque accrû de pêche illégale. Si cette condition était maintenue, le WWF demande que des moyens supplémentaires soient mis en œuvre pour renforcer le contrôle du respect des quotas de pêche. Et exprime son scepticisme sur la faisabilité technique de cette condition et demande à la France de la retirer. Condition que déplore également FNE (France Nature Environnement). Denez L’Hostis, pilote de la mission mer de FNE précise : « Pour la France, contrairement à ce qui est souvent affirmé, il ne s’agit pas d’arrêter toute forme de pêche, mais de réduire considérablement la pression durant quelques temps, et surtout de mettre un terme au trafic quasi-mafieux de thons immatures en direction des cages d’engraissement, situées notamment en Lybie ou à Malte. En aucun cas, le commerce du thon pêché et vendu au sein de l’Union européenne n’est menacé ». Dans un communiqué le WWF regrette que « les efforts du ministère de l’Ecologie aient été mis à mal par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche qui a défendu dans cette affaire les intérêts catégoriels d’une poignée de thoniers senneurs largement financés sur fonds publics et dont les pratiques sont dévastatrices pour l’espèce. Le Président de la République n’a pas arbitré en faveur de la décision la plus claire et courageuse ». Pour Greenpeace, « la France plie devant les industriels de la pêche » : « La France a enfin arbitré pour le classement du thon rouge en annexe 1 à la Cites en mars prochain, en demandant un délai de mise en œuvre de 18 mois, ce qui sape toute la portée de sa position déclarée, cela revient à nous dire : sauvons le thon, mais pas tout de suite! Ces 18 mois permettent encore deux saisons de pêche et autorisent les industriels à ponctionner toujours plus l’espèce ! Pourquoi ce délai ? Le gouvernement achète ainsi la paix sociale avec les industriels de la pêche, dans une période d’élections régionales ». En finir avec la pêche industrielle, défendre la pêche artisanale Le WWF salue cependant « l’annonce de la création d’une Zone Economique Exclusive, que nous avions appelée de nos voeux. Cette zone va permettre à ceux qui y pêchent, essentiellement la pêche artisanale, de pouvoir continuer à vendre leurs thons rouges sur le marché communautaire. Cette pêche à l’hameçon n’est pas celle qui nuit à l’espèce. En 2009, il lui avait été attribué moins de 300 tonnes de quotas de pêche quand les thoniers senneurs en recevaient 3000 tonnes. C’est la pêche industrielle, tournée vers le marché japonais, qui a détruit la ressource. L’interdiction de son commerce international y mettrait un coup d’arrêt définitif. Il est grand temps que les pouvoirs publics, français et européens, fassent la différence entre la pêche industrielle destructrice et la pêche artisanale qui représente 80% des embarcations en France et en Europe. Les responsables politiques portent une lourde responsabilité dans l’effondrement de l’espèce car ils ont favorisé par les subventions publiques la surcapacité de pêche et le développement de la pêche industrielle. Nous demandons à ce que tout financement public qui aurait pour conséquence le soutien de la pêche industrielle cesse. Nous appelons en revanche au soutien de la pêche artisanale. Cette pêche ancestrale, pratiquée de façon durable et correctement gérée, peut permettre de créer des emplois nouveaux, de recréer une filière française pour alimenter un marché intérieur, au lieu d’enrichir quelques armateurs millionnaires par l’exportation de poissons qui ne touchent même pas notre sol ». Le WWF est prêt à accompagner les petits métiers, à tester avec eux des techniques de pêche durable, comme il l’a fait en Guyane avec la pêche crevettière au chalut, ainsi qu’à expérimenter une nouvelle gouvernance de la pêche, comme il le fait avec les pêcheurs du Var. C’est cette pêche là qui doit être enfin reconnue, encouragée et soutenue.L’info en plus – Global Sushi : demain nos enfants mangeront des méduses
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Pour aller plus loin
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Bonne décision du Parlement européen qui vote pour l’interdiction du commerce international et contre le délai d’application de 18 mois
Par 422 voix contre 216, le Parlement européen a voté ce matin pour l’interdiction du commerce international du thon rouge. Il s’est en revanche prononcé, par 349 voix contre 287, contre un délai de mise en œuvre de 18 mois conditionnant l’entrée en vigueur de l’interdiction à d’éventuelles nouvelles données scientifiques.
« Même si ce vote est consultatif, c’est un signal fort qui a été envoyé par les élus européens aux Etats membres et à la Commission européenne. En votant contre le délai potentiellement suspensif de 18 mois, il témoigne de la prise de conscience des élus de l’urgence à agir. Pour les parlementaires européens, c’est clair, il y a trois avis scientifiques récents émanant d’instances internationales qui établissent que le thon rouge est menacé d’extinction. Ils estiment qu’il faut agir vite et qu’il n’y a pas d’autres avis scientifiques à attendre » commente Isabelle Laudon, responsable Politiques européennes au WWF-France.
Le secrétariat de la CITES a, lui aussi, recommandé vendredi dernier l’inscription du thon rouge en Annexe I. « Il est incroyable d’entendre encore les représentants des thoniers senneurs assener qu’il n’y a pas d’avis scientifiques fondant cette interdiction » ajoute Isabelle Laudon.
« Après le pas déterminant qu’elle a fait la semaine dernière, qui a un effet d’entraînement certain au niveau européen, la France doit maintenant renoncer au délai suspensif de 18 mois qui ne se justifie ni scientifiquement, ni économiquement, et qui a été rejeté par les élus européens » demande Serge Orru, Directeur général du WWF-France. En effet, depuis l’annonce française, la Grande-Bretagne et l’Italie se sont prononcées pour l’interdiction du commerce international de l’espèce.
Le WWF-France soutient l’annonce faite par la France de la création d’une Zone Economique Exclusive au large des côtes françaises permettant aux petits métiers pêchant dans cette zone de continuer à vendre leurs thons rouges sur le marché intérieur européen.
« Il faut arrêter de dire qu’une interdiction du commerce international interdirait la pêche. La pêche artisanale, qui ne nuit pas à l’espèce et qui peut être durable si elle est bien gérée, pourra continuer. C’est la pêche industrielle, tournée vers l’exportation, qui sera touchée par l’interdiction du commerce international, et c’est elle qui a conduit au quasi-effondrement du stock. C’est le mode de pêche qu’il faut changer » affirme Denis Ody, responsable du Pôle Océans et Côtes au WWF-France.
Le WWF-France appelle les deux nouveaux commissaires européens, Maria Damanaki, commissaire en charge de la Pêche, et Janez Potocnik, commissaire en charge de l’environnement, à suivre cet appel des élus européens pour une interdiction, sans délai, du commerce international du thon rouge.