AG Total et sables bitumineux : la voix de deux scientifiques internationaux contre les lobbies des pétroliers et du Canada
Votée en 2008, la révision de la Directive européenne sur la Qualité des carburants n’a toujours pas été mise en œuvre, alors qu’elle constituerait un outil inédit pour freiner l’importation de sources de carburants très polluantes [1]. Elle permettrait donc de décourager leur production dans le monde entier, notamment dans des zones toujours plus fragiles comme à Madagascar ou au Congo [2].
Juliette Renaud, chargée de campagne sur les Industries extractives aux Amis de la Terre France s’indigne : « Ce retard est dû au lobby féroce exercé par les compagnies pétrolières et le gouvernement canadien, qui s’entêtent à vouloir développer l’exploitation des sables bitumineux, plaçant leurs intérêts économiques et financiers avant le bien-être et les droits des populations locales, et avant la protection de l’environnement et du climat ».
Invité mardi dernier par le Parlement européen pour une conférence, le climatologue James Hansen a alerté : « Si nous voulons sérieusement contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C, ce qui provoquerait déjà une augmentation de 6 mètres du niveau de la mer, alors nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’exploiter les sables bitumineux ou d’autres hydrocarbures non conventionnels. Cela signifierait un "game over" pour le climat, et laisserait à nos enfants une situation incontrôlable de changements irrémédiables. Nos parents ne connaissaient pas l’impact de la combustion des énergies fossiles ; mais les preuves scientifiques sont maintenant claires : dans le futur, on ne pourra que "prétendre" que nous ne savions pas ».
Des arguments auxquels Total fait la sourde oreille, se targuant au contraire de vouloir « Repousser les limites » : « Explorer des zones inconnues ou jusqu’alors difficiles d’accès, travailler sur de nouvelles thématiques géologiques prometteuses... C’est l’expression de la stratégie d’exploration plus ambitieuse de notre Groupe » [3].
Quant à Mark Jaccard, scientifique canadien ancien membre du GIEC, qui intervenait à cette même conférence, il s’est dit outré du comportement du gouvernement de son pays, qui va jusqu’à menacer l’UE de déposer une plainte à l’OMC : « La directive européenne sur la Qualité des carburants va simplement étiqueter les carburants issus des sables bitumineux avec une valeur correcte d’émissions carbone, afin de rendre compte des quantités supplémentaires d’énergie utilisées pour les extraire du sol. Ce n’est ni une interdiction, ni une taxe à l’importation. Donc le lobby intense exercé actuellement par le gouvernement du Canada semble disproportionné [4], qui plus est venant d’un pays qui est sorti de Kyoto et qui est sur la voie de manquer son propre objectif de réduction d’émissions carbone par plus de 20 %, en grande partie à cause de l’extraction des sables bitumineux ».
Juliette Renaud conclut : « Nous réitérons notre demande à Total de cesser immédiatement ces projets d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, et que cette multinationale se responsabilise pour les dégâts qu’elle commet dans le monde entier. Les Amis de la Terre demandent aussi au gouvernement français d’être plus courageux que son prédécesseur [5], en ne cédant pas aux pressions de ces lobbies et en soutenant clairement les efforts de la Commission européenne en disant « non » aux sources de carburants polluantes comme les sables bitumineux et les huiles de schiste [6] ».
Contacts
– Caroline Prak, Les Amis de la Terre : 01 48 51 18 96
– Juliette Renaud, Les Amis de la Terre : 01 48 51 18 92
Une étude d’Avril 2012 réfute les arguments de l’industrie
Depuis plus de deux ans, le gouvernement canadien et les lobbies de l’industrie pétrolière font pression contre la mise en œuvre de la directive européenne sur la qualité des carburants, aboutissant à un blocage à Bruxelles le 23 février dernier. Une nouvelle étude publiée aujourd’hui bat en brèche les déclarations de l’industrie selon lesquelles le nouveau règlement européen visant à abaisser les émissions de CO2 des carburants entraînerait une "charge administrative disproportionnée". Les Amis de la Terre, France Nature Environnement et leurs partenaires européens appellent à approuver sans plus tarder et sans modifications les propositions d’application de cette directive.
Cette étude [7], commanditée par Transport & Environment (T&E), conclut que les coûts administratifs et de reporting induits par la mise en œuvre de la directive sur la qualité des carburants se traduiraient par une augmentation de moins d’un demi centime d’euros sur un « plein » moyen, ou encore un centime sur un baril de brut.
Selon Nusa Urbancic, responsable de la campagne Carburants propres chez T&E : « L’industrie pétrolière a claironné partout que la nouvelle législation induirait des surcoûts de l’ordre de un dollar le baril et forcerait certaines raffineries à fermer leurs portes [8] mais aucun résultat n’a été publié pour confirmer ces déclarations. L’étude indépendante révélée aujourd’hui le démontre : lutter contre le changement climatique ne coûte pas plus cher. »
D’après Juliette Renaud, chargée de campagne sur les Industries extractives aux Amis de la Terre France : « L’Union européenne et l’industrie pétrolière ont tout intérêt à réaliser que, dès lors que l’on prend au sérieux les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du transport, les pétroles à haute intensité carbone, tels que les sables bitumineux et les huiles de schiste, n’ont pas d’avenir. Ce rapport montre une fois de plus que les arguments des pétroliers ne tiennent pas la route et ne sont que des excuses pour protéger leurs profits et continuer leurs projets climaticides, au prix d’impacts sociaux et environnementaux toujours plus grands. »
Pour Jean-Baptiste Poncelet, chargé de mission Transports et Mobilité Durables à France Nature Environnement : « Réduire les émissions de CO2 des carburants est un des piliers de la politique climatique européenne en matière de transport. Dans un contexte de raréfaction des ressources en pétrole et de réchauffement climatique, il faut durablement renoncer aux hydrocarbures « non conventionnels ». La seule solution est de diminuer notre dépendance, unique condition pour éviter la tentation du pire. »
Le 23 février dernier, une réunion des experts des États membres visant à trouver un accord sur les propositions d’application de la Commission européenne se soldait par un échec, imposant un nouveau retard. La pression des lobbies canadiens et des compagnies pétrolières avait en effet trouvé des soutiens surprenants de la part de pays tels que la France, qui se veut pourtant fer de lance de la lutte contre le changement climatique.
Les Ministres de l’Environnement des 27 États membres seront appelés à prendre une décision dans les mois qui viennent. Les Amis de la Terre et France Nature Environnement attendent du nouveau gouvernement français qu’il ne cède pas aux lobbies et soutienne les efforts de la Commission européenne.
– Une analyse des principales implications du rapport par T&E est disponible ici.
– Un résumé du rapport est disponible ici.
– Pour plus d’informations sur la directive sur la qualité des carburants, cliquez ici.
– Pour plus d’informations sur le vote du 23 février 2012, cliquez ici.