" L’éco-quartier peut servir de levier à un changement de mode de vie "
Extrait de l’entretien avec Cyria Emelianoff, maîtresse de conférences à l’université du Mans, auteur de " Les quartiers durables en Europe : un tournant urbanistique ? " Urbia, n° 4, juin 2007, université de Lausanne.
Que vous inspire la construction d’éco-quartiers un peu partout en Europe ?
Je trouve que cette nouvelle approche en matière d’urbanisme est indispensable et est plutôt positive. Les éco-quartiers tentent d’incarner un nouvel urbanisme, ce sont des espaces d’expérimentation. Car, dans le domaine de l’éco-construction et de l’urbanisme, il ne faut pas oublier que les idées doivent être expérimentées grandeur nature. Dans le quartier du Kronsberg, à Hanovre, en Allemagne, la suppression des ponts thermiques pour les maisons sans chauffage ne pouvait pas être appréhendée par le seul biais de la modélisation. Elle s’est réalisée au cours du chantier, en corrigeant les erreurs au fur et à mesure de l’avancée des constructions. Il faut reconnaître qu’en matière de durabilité urbaine, on sait encore peu de choses, d’autant que les enjeux et exigences évoluent très vite : l’expérimentation reste donc essentielle. Mais dans le domaine de l’innovation sociale, les éco-quartiers ont été assez timides. Un champ entier reste à explorer, pour croiser durabilités sociale et écologique.

Un second apport des éco-quartiers réside dans le fait que, dans certains cas, malheureusement pas très nombreux encore, les habitants sont très impliqués et participent à la gestion du quartier et à sa conception. Des groupes d’habitants-promoteurs se mettent en place, y compris en France, dans de nombreuses villes, en demandant aux municipalités un terrain pour pouvoir construire un petit éco-quartier. Ils peuvent s’associer à des bailleurs sociaux, comme c’est le cas à Strasbourg. Ce n’est donc pas seulement le passage vers un habitat durable qui se joue, mais aussi et surtout l’invention d’un mode de vie plus durable. En effet, il a été montré que la dynamique collective dans ce type de quartier (typiquement le Vauban à Fribourg, en Allemagne) entraîne l’individu dans des pratiques de consommation et de mobilité plus attentives à leurs impacts environnementaux et sociaux. Ce qui n’est pas suffisant pour éliminer les contradictions de la vie quotidienne, mais peut néanmoins réduire la dissonance cognitive vécue par les individus. D’une part, l’organisation collective permet d’adhérer à des groupements d’achat, des systèmes de partage de voitures, etc., et facilite ce type de choix ; d’autre part, ces pratiques sont socialement valorisées et reconnues par la communauté du quartier. L’individu est ainsi encouragé à franchir des étapes supplémentaires, alors qu’il peut en être dissuadé dans des secteurs qui n’offrent tout simplement pas ces possibilités, ni des modes de valorisation sociale de ces pratiques.
Ainsi, dans l’éco-quartier d’Eva Lanxmeer, situé dans la ville de Culemborg aux Pays-Bas, dont l’une des spécificités est d’avoir été conçu par une association d’habitants, on sent une saine émulation entre les résidents, qui n’ont de cesse de réfléchir à de nouvelles initiatives. Certains diront que cet " entre soi ", cet esprit communautaire est problématique : je ne le pense pas. Il faut reconnaître que nous vivons tous dans des " entre soi ", dans nos réseaux relationnels, professionnels, etc. Les éco-quartiers, dont la plupart intègrent une part d’habitat social, ne sont pas spécifiques à cet égard, sauf dans quelques cas de dérapage des coûts de construction et de ségrégation socio-environnementale. Eva Lanxmeer, pour revenir à cet
exemple, accueille 30 % d’habitat social, un institut pour des handicapés
mentaux et quelques équipements. Certes, ce sont aujourd’hui des personnes au capital culturel élevé, à l’image de l’électorat type des Verts, qui s’investissent dans ces éco-
quartiers. Mais ce sont aussi celles qui sont à la fois le plus à même d’avoir le temps et les moyens de mettre en pratique cette forme d’éco-citoyenneté et, surtout, d’ouvrir des voies montrant des réalisations concrètes, qui inspirent de nombreux techniciens, élus,
professionnels et acteurs civils.
L’enjeu est de dépasser ces premières réalisations, pour réfléchir à la manière d’encourager des modes de vie durables, sans se contenter d’une approche architecturale. L’éco-quartier n’est pas une question d’habitacle, de coque mais, au contraire, il peut servir de levier à un changement de mode de vie, qui lui-même engage une autre perception des solidarités. Il reflète aussi un changement culturel profond, mais encore latent.
Enfin, le développement des éco-quartiers répond à la nécessité de tester des solutions décentralisées et diversifiées, qui dépendent des énergies locales utilisables, des sites et des milieux, des traditions de démocratie locale, des cadres réglementaires ou incitatifs eux aussi assez divers, en fonction des pays et régions. Je crois que l’éco-quartier, étant fortement lié au milieu dans lequel il est construit, n’est pas exportable et diffusable, il nécessite à chaque fois une démarche d’expérimentation.
– A lire sur le site de Territoires" L’éco-quartier peut servir de levier à un changement de mode de vie. " Entretien complet avec Cyria Emelianoff.
Egalement au sommaire de Territoires :
– Extraits choisis de l’ouvrage Pour un nouvel urbanisme (en vente sur Cdurable.info) suivis d’un entretien avec Denis Clerc, conseiller de la rédaction d’Alternatives économiques, coauteur de Pour un nouvel urbanisme.
– Grand Lyon : Maisons passives pour développement durable actif
– L’éco-quartier qui cache la ville durable par Taoufik Souami, urbaniste et sociologue
– Seine-Saint-Denis. Une coopérative d’accession à la propriété : durable parce que social ?
– Norvège : Une concertation d’aménagement urbain alternative à Oslo