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50 ans de gouvernance mondiale de l’environnement, de Stockholm 1972 à Stockholm 2022 : et après ?

?u=https%3A%2F%2Fwww.sufisa.eu%2Fwp-content%2Fuploads%2F2019%2F03%2FIDDRI_logo-black-signature.png&f=1&nofb=1Dans la saga de la gouvernance environnementale internationale marquée par quatre grandes conférences, la publication de rapports marquants, l’adoption de traités majeurs, la Conférence des Nations unies sur l’environnement humain, qui s’est tenue à Stockholm en juin 1972, est un premier épisode aux effets structurants, avec la création du Programme des Nations unies pour l’environnement et l’adoption de la Déclaration de Stockholm, qui pose les grands principes de la politique environnementale internationale, ainsi que d’un plan d’action. 50 ans plus tard, que reste-t-il de ces premières briques du multilatéralisme environnemental, comment ont-elles façonné les politiques internationales et nationales visant à préserver l’environnement global ? Et quelles priorités pour l’avenir ? stockholm_50.jpg

Une initiative suédoise

En 1972, la Guerre froide s’éloigne au profit d’une détente marquée par les premiers accords de désarmement nucléaire. Et si la mondialisation de l’économie est encore mesurée, les alertes sur la dégradation de l’état de l’environnement sont nombreuses et culminent avec le rapport du Club de Rome, les Limites à la croissance, qui marque les esprits. C’est dans ce contexte que la Suède saisit dès 1968 les Nations unies d’un projet de conférence mondiale sur l’environnement humain. Une longue période de préparation s’ensuit, marquée notamment par les réticences des pays du tiers-monde, dont beaucoup, qui viennent d’accéder à l’indépendance et cherchent leur voie pour le développement, hésitent à s’engager dans la problématique de l’environnement. Il est symptomatique que des discussions sur l’interface développement-environnement soient engagées en prélude à la conférence par le groupe de Founex[[Nom d’une commune suisse. La France y est représentée par Serge Antoine et Ignacy Sachs.]], dont le rapport[[Disponible sur le site du PNUE www.unep.org]] est une contribution qui demeure d’actualité notamment pour ce qui concerne les positions de négociation des pays du Sud.

L’ONU et la gouvernance de l’environnement

Outre la déclaration et le plan d’action adoptés à Stockholm, ce sont les questions de gouvernance (les « arrangements institutionnels ») qui mobilisent l’énergie des délégués. Dans sa proposition, la Suède avait indiqué « qu’il n’est pas envisagé que des innovations institutionnelles soient nécessaires », ce qui impliquait le refus de créer une nouvelle agence au sein des Nations unies. Les Occidentaux ont rejoint cette position, arguant alors que les agences existantes pourraient prendre en charge les questions environnementales sous une coordination légère assurée par le secrétariat général des Nations unies. La France, qui venait de créer un ministère de l’Environnement principalement doté de fonctions d’animation et d’incitation, était également sur cette position [[Rétrospectivement, il est piquant de rappeler qu’au vu de la fragmentation du système et de sa faible efficacité, les mêmes pays, notamment la France et l’Allemagne, ont, 30 ans après, milité mais en vain pour la création une Organisation des Nations unies pour l’Environnement (ONUE), agence de plein exercice. Entre temps, le modeste secrétariat du GATT avait été transformé en une organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994.]]. Pour sa part, l’Allemagne qui n’a créé son ministère de l’Environnement qu’en 1985, était également réticente vis-à-vis de l’instauration d’une structure environnementale au sein des Nations unies. En définitive, c’est une solution intermédiaire qui a été retenue, avec la création du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), rattaché à l’Assemblée générale, piloté par un conseil d’administration restreint, un secrétariat basé à Nairobi et alimenté par des contributions volontaires.

L’héritage de Stockholm 1972

Au-delà de la recherche d’un compromis institutionnel, et malgré l’absence de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est (alors que la Chine est présente) en raison de la non-invitation de la RDA, la conférence a été considérée comme un franc succès. Elle marque en effet la reconnaissance de l’environnement en tant que question nouvelle et significative dans l’agenda mondial, les débuts marquants de la diplomatie environnementale qui a prospéré par la suite, la participation active de la société civile et la reconnaissance du rôle de la science ; elle se traduit enfin par des retombées effectives dans les pays participants qui vont mettre en place sans tarder les bases des politiques nationales de l’environnement. Par ailleurs, la conférence de Stockholm s’est efforcée de mobiliser l’ensemble des institutions dont l’activité peut affecter l’environnement : son héritage concerne ainsi tant le PNUE que les grandes agences (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Organisation maritime internationale, Banque mondiale) et les conventions existantes, telles que la Convention baleinière internationale ou le Traité de l’Antarctique. Le rôle spécifique du PNUE C’est toutefois la mise en place du PNUE qui retient l’attention. Une synthèse[[Stanley Johnson, « UNEP, the first fourty years« , 2012, www.unep.org]] réalisée à sa demande a dressé un bilan historique et thématique après 40 ans d’activité. Que pouvait faire, dans le cadre de son mandat, une nouvelle institution en abordant un sujet aussi ample et complexe que l’environnement ? Produire des évaluations fondées sur des systèmes d’observation et des analyses scientifiques ; promouvoir l’adoption de règles de droit environnemental recourant aux mécanismes du droit international public, en particulier le droit des traités ; mettre en place des plans d’action pour les domaines prioritaires ; animer et aiguillonner la famille des Nations unies dans le domaine de l’environnement ; et contribuer financièrement à des projets de protection de l’environnement dans les pays en développement – toutefois, compte tenu de la modestie de son budget, le PNUE s’est concentré, avec des résultats inégaux, sur les autres dimensions de son mandat. Son rôle d’alerte, incarné dans son programme « Vigie » mis en place en 1975, a été pleinement rempli. Mais sa fonction catalytique au sein du système onusien a été plus difficile à mettre en œuvre. Avec l’émergence du concept de développement durable en 1980 (Union internationale pour la conservation de la nature) et surtout 1987 (Rapport Brundtland), le PNUE a nettement perdu la main, étant peu présent dans la préparation de la Conférence de Rio de 1992 et n’obtenant pas le pilotage de la nouvelle Convention Climat, alors même qu’il avait avec succès mis en place le Giec aux côtés de l’Organisation météorologique mondiale. Dispersé dans des programmes où son expertise n’est pas flagrante (cf. économie verte), il s’est rétabli à partir de 2010 en négociant avec succès la mise en place de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) puis en obtenant lors de la Conférence Rio+20 de 2012 le renforcement de sa gouvernance et de ses moyens. Et on peut noter la pertinence de son rapport Frontiers 2016: Emerging issues of environnemental concerns, dans lequel les zoonoses sont identifiées parmi les six risques émergents au cours des années à venir. Succès et limites De la période qui a suivi Stockholm 1972, on peut retenir quelques acquis majeurs de protection de l’environnement : – le développement considérable du droit international de l’environnement, depuis la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction et la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires en 1973 jusqu’à la convention de Minamata sur le mercure de 2013 en passant par les conventions de Rio (climat, biodiversité, désertification), les conventions chimiques, ou la convention sur les espèces migratrices ; des décisions majeures telles que l’élimination des chlorofluorocarbures (CFC) dans le cadre du Protocole de Montréal, l’interdiction de certaines substances chimiques comme le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), le moratoire sur la chasse à la baleine, la réduction des pluies acides dans les pays industrialisés, la maîtrise du commerce des animaux sauvages, l’interdiction de l’immersion des déchets radioactifs, la prévention des accidents pétroliers, toutes questions à l’ordre du jour en 1972 et qui, pour avoir disparu de l’agenda international, doivent être rappelées comme des réalisations concrètes ; – la production de rapports d’évaluation de grande qualité tels que ceux du Giec et de l’IPBES, le Global Environnemental Outlook (GEO), et plus récemment l’Emission Gap Report. La dégradation de l’environnement s’est néanmoins poursuivie après 1975 et souvent intensifiée avec la croissance démographique (doublement de la population mondiale en 50 ans), le développement du commerce mondial, l’urbanisation, l’intensification agricole, etc[[Cf GEO 5 www.unep.org]]. Par ailleurs, la question du climat, absente de Stockholm, s’est imposée comme une priorité qui tend à saturer l’agenda politique. Elle ne doit cependant pas occulter la nécessité de mener des politiques actives dans les domaines de la pollution chimique, la gestion des déchets, la pollution atmosphérique urbaine et la gestion des eaux douces et marines. La politique de l’environnement est devenue un « driver des drivers (‘moteurs de la dégradation de l’environnement’) », en ce qu’elle participe désormais au pilotage des politiques sectorielles : énergie, agriculture, transports, urbanisme, tourisme. L’environnement n’est plus seulement affecté par le développement économique, il en devient aussi l’un des pilotes. C’est le défi qui se pose désormais à la politique de l’environnement, qui ne peut plus être conduite de façon autonome mais doit s’intégrer dans l’approche de durabilité ; ce mainstreaming est encore à construire en termes de gouvernance, malgré de récentes avancées en la matière.

Vers Stockholm+50 (juin 2022) : quelles priorités ?

Effectivité et redevabilité L’après-Stockholm, ce n’est pas seulement le global, le planétaire, c’est aussi la mise en place d’une gouvernance partagée des écorégions, comme la Méditerranée, la Baltique, les Alpes, les Carpates, les grands fleuves, ou encore les régions polaires. Une telle approche régionale pourrait jouer un rôle clé à l’avenir, plus homogène concernant les défis spécifiques des sociétés concernées (cf. accord d’Escazú, Iddri 2020), et pratiquant des formes de coopération ou de pression politique régionales complétant utilement les grands rapports de force de l’échelle globale. C’est aussi, défi majeur d’aujourd’hui et de demain, l’effectivité, la redevabilité, et les droits de la société civile à l’information et à la participation. Le temps de l’édification s’achève et l’accent est désormais placé sur une mise en œuvre plus rigoureuse, plus efficace et plus transparente impliquant les acteurs socio-économiques et les collectivités locales. Le processus de préparation du sommet de juin 2022, qui sera jalonné par l’adoption lors de la 5e session de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement en mars prochain d’une déclaration des ministres de l’Environnement en cours de finalisation, exprime cette orientation. Peu d’innovations sont envisagées à ce stade : la négociation non aboutie du projet de Pacte global pour l’environnement (PGE) a montré que peu d’États étaient enclins à faire progresser le droit international de l’environnement à l’échelon global. Il est très improbable que des notions telles que la reconnaissance des droits de la nature ou le principe de non-régression soient retenues. Mais il reste possible que la négociation d’un accord sur les plastiques soit lancée. L’approche par les droits humains Parallèlement, hors du champ traditionnel de la gouvernance de l’environnement, c’est le Conseil des droits de l’homme qui accomplit aujourd’hui des progrès notables pour la reconnaissance du « droit humain à un environnement sain » [[Résolution RES 48/13 du CDH du 8 octobre 2021, adoptée avec l’abstention de la Russie, de la Chine, de l’Inde et du Japon.]] et qui nomme un rapporteur spécial sur la protection des droits de l’Homme dans le contexte du changement climatique. Même si certains pays n’apprécient guère l’approche par les droits en matière d’environnement et n’encourageront certainement pas la généralisation d’accords tels que ceux d’Aarhus en Europe et d’Escazú en Amérique latine-Caraïbes, qui reconnaissent le droit à l’information, à la participation et à l’accès à la justice en matière d’environnement. Il existe donc une tension autour de cette approche par les droits, qui constitue le champ d’expansion à venir de la gouvernance de l’environnement. Que les instances internationales relatives aux droits humains se saisissent des questions environnementales et climatiques peut créer demain un nouveau contexte pour l’application du droit international de l’environnement. Car, contrairement au PNUE dépourvu de pouvoir d’intervention et peu porté à l’immixtion dans les politiques nationales, les instances en charge des droits humains disposent de capacités étendues en matière d’obligation de rapports nationaux, d’examen de situations critiques, d’envoi d’experts sur le terrain, et même de saisine directe par des particuliers ou des ONG. On s’oriente ainsi vers une distorsion majeure entre les États démocratiques au sein desquels l’information, la participation et l’accès à la justice sont de droit et de nature à exercer une forte pression sur les gouvernements et ceux qui mettent sous le boisseau la société civile organisée et contrôlent l’accès à la justice. Cette distorsion crée une situation non durable et peut fragiliser la gouvernance de l’environnement si les États de droit en viennent à s’aligner sur des normes démocratiques inférieures. On espèrerait, au contraire, un alignement par le haut, ce que le projet de PGE cherchait à obtenir et qui pourrait être repris sous l’angle des droits humains à l’environnement. La nécessité d’une vision (plus) stratégique de la gestion de l’environnement Si la responsabilité de la politique internationale de l’environnement ne va pas se déplacer à Genève, la dynamique des droits humains appliqués à l’environnement devrait cependant contribuer à renforcer l’application des règles tout en participant à la fragmentation de la gouvernance mondiale. À cet égard, on attendrait de la Conférence de Stockholm qu’elle adopte une vision stratégique de celle-ci. Là où la création de l’Organisation des Nations unies pour l’environnement n’a pas abouti, il importerait qu’une coordination plus solide et plus stratégique des activités relatives à l’environnement soit exercée au sein des Nations unies. On attendrait également de la Conférence qu’elle prenne position sur la négociation Plastiques, qu’elle encourage la prise en compte de l’approche One Health (Iddri, 2020) dans la négociation du traité Pandémies qui va être lancé par l’Organisation mondiale pour la santé, qu’elle soutienne les négociations CIimat et Biodiversité, qu’elle rappelle la nécessité de protéger les grands écosystèmes au niveau régional, enfin qu’elle encourage l’Organisation mondiale du commerce à prendre en compte les questions environnementales dans sa réforme et enfin qu’elle mobilise les institutions financières et l’aide publique au développement. Bref, on espérerait que la Conférence de Stockholm aille au-delà d’un moment de célébration et d’échanges à haut niveau pour développer une vision stratégique pour les décennies à venir.

 

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