« A vos caddies citoyens ! » Tel pourrait être le cri de ralliement des consommateurs devenus à la faveur des mutations -sociales, environnementales, culturelles- des acteurs économiques d’un genre nouveau.
De nombreuses enquêtes d’opinion menées depuis une dizaine d’années ont mis le doigt sur un changement radical de perception, par les consommateurs, de l’acte d’achat. Au-delà du meilleur rapport qualité-prix et des lois classiques de la publicité, l’achat s’inscrit de plus en plus dans une démarche militante. Le bœuf que l’on mange doit être élevé dans des conditions optimales et les chaussures que l’on porte ne doivent pas être cousues par des enfants. Ce qui paraît évident aujourd’hui ne l’était pas hier. L’émergence du consom’acteur est en partie révélée par la croissance du chiffre d’affaires du commerce équitable : il a été multiplié par 35 entre 2000 et 2010. Un autre indicateur est la bonne santé du marché alimentaire bio qui a doublé de taille en cinq ans, pour générer 3,65 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier. Mais le consommateur citoyen ne limite pas sa démarche à l’achat de quelques produits labellisés Max Havelaar ou AB. Signe des temps, il élargit le spectre de ses critères de choix en intégrant de plus en plus l’impact social des produits achetés (conditions de travail dans l’entreprise, politique de l’emploi). Avec un souci accru –crise oblige- de promouvoir l’économie locale. La consom’action consiste ainsi à transformer l’acte banal d’achat souvent intuitif, voire compulsif, en processus raisonné. Le client prend conscience des achats qu’il effectue et leur donne une signification éthique, environnementale ou sociale. Il s’émancipe des produits et des modèles que le marché conçoit pour lui et dicte ses choix, ce qui lui permet de contribuer à sa mesure à la régulation de la société de consommation. Cette tendance est renforcée par la vigilance des associations de défense des consommateurs et autres groupes de pression, véritables contre-pouvoirs économiques, qui en un clic sur le web prescrivent ou proscrivent tel ou tel produit. Conséquences : les entreprises se mettent au diapason et ne lésinent pas sur les moyens pour s’adapter aux nouvelles exigences de leurs clients (particuliers, donneurs d’ordre privés ou publics). Certaines d’entre elles vont même très loin en intégrant les notions d’éthique et de responsabilité au cœur de leur ADN. C’est le cas de Schneider Electric, spécialiste mondial de la gestion de l’énergie, qui a été salué en 2012 par Ethisphère dans son classement des 100 entreprises les plus éthiques du monde. Le groupe a instauré des pratiques innovantes dans le domaine de l’environnement, vis-à-vis de ses salariés (lutte intense contre la discrimination et le harcèlement) mais aussi dans ses propres relations commerciales. Il a ainsi élaboré un certains nombres d’outils spécifiques destinés à proscrire tout comportement contraire à l’éthique des affaires : fraude, conflits d’intérêts, corruption. « Nous avons la conviction que la stabilité et la performance d’une entreprise se fondent sur des valeurs et des pratiques responsables tant dans le management des hommes que dans les relations avec les clients et les fournisseurs », estime Jean-Pascal Tricoire, Président du Directoire du groupe. Celui-ci ne sera pas contredit par Antoine Frérot, président du directoire de Veolia Environnement. A travers sa fondation, le groupe leader dans les services collectifs, dispose même d’un bras armé baptisé Veolia Force. Cette unité de choc, véritable équipe de « casques bleus » du groupe, est destinée à intervenir dans les situations humanitaires ou environnementales d’urgence en soutien aux ONG. Elle a constitué une aide précieuse pour l’UNICEF au Nigéria en novembre 2010 dans la lutte contre l’intoxication au plomb, et pour la Croix Rouge à Haïti en janvier 2010 suite au séisme qui a frappé l’île. Elle a également été mobilisée à l’occasion d’un conflit interethnique en République Centrafricaine il y a 3 ans. Une telle capacité de projection et d’envoi d’hommes au-delà des frontières est bien entendu rare car elle nécessite des moyens considérables. Elle n’est cependant pas l’apanage des multinationales. A une moindre échelle, Optic 2000 finance des « missions ophtalmologie » en Afrique et en particulier au Burkina Faso l’un des pays les plus pauvres du continent. En lien avec l’association Jeremi, le groupe envoie des opticiens pour dépister la malvoyance dans les écoles et contribuer ainsi, dans son secteur d’activité propre, à maximiser les chances d’insertion des jeunes. Chaque année, 200 000 lunettes sont par ailleurs collectées par les opticiens du réseau et acheminées vers l’Afrique. Optic 2000, dont le secrétaire général Yves Guénin plaide pour une « charte d’entreprise de la solidarité », est également socialement actif en France : il reverse un million d’euros au Téléthon à travers le programme Vision Solidaire et s’attache à fabriquer ses lunettes dans l’Hexagone. Le groupe a ainsi créé 5000 emplois en France dans une filière qui a perdu le tiers de ses effectifs de 1999 à 2005. A l’heure où le taux de chômage est en passe de dépasser les 10%, ceci n’a rien d’anecdotique. Accès des personnes handicapées à l’emploi et égalité des droits (congé parental pour les couples homosexuels) sont les deux axes de la politique de ressources humaines de SFR qui dispose par ailleurs d’une puissante fondation active dans le domaine de l’égalité des chances. Le géant des télécommunications se distingue néanmoins pour avoir créé un statut du « collaborateur citoyen » qui permet aux salariés de participer à des missions internationales d’aide au développement. Cet engagement original permet à un collaborateur de disposer d’une partie de son temps de travail pour le consacrer à un engagement citoyen, réalisé en-dehors de l’entreprise, au sein d’une association et sous la forme d’un « forfait temps citoyenneté ». Chaque année, 50 salariés peuvent bénéficier de ce nouveau statut. Cette initiative a valu à SFR de nombreuses récompenses. Des récompenses, Lafuma commence également à les collectionner. Le fabricant de vêtement outdoor ainsi reçu le Trophée EDC 2012 (Ecole des dirigeants et créateurs d’entreprises) pour son implication dans le domaine de l’environnement. Le groupe fondé il y a 80 ans par trois frères compte aujourd’hui plus de 2 000 salariés et enregistre aujourd’hui un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros. Il a établi un partenariat de longue date avec le WWF et d’autres associations comme Sport dans la ville. En lien avec les préoccupations de ses clients amateurs de grand air et d’espaces naturels préservés, Lafuma s’attache surtout à limiter l’empreinte écologique de ses locaux et usines en limitant ses dépenses énergétiques et en retraitant les eaux qu’elles utilisent. Son siège social, dans la Drôme, a même été le premier site industriel en France à s’équiper de 1500m2 de panneaux solaires. Optimisation des matières premières, la réduction des temps de transport et des packagings légers répondent à des préoccupations environnementales mais également économiques. Elles dessinent en cela un nouveau modèle de production. Les nouvelles règles de la consommation citoyenne sont cependant impitoyables et gare aux entreprises qui mentent au consom’acteur. Sur internet et partout ailleurs, les vigies sont nombreuses à contrôler la sincérité des dirigeants. S’ils l’ont été un temps, l’environnement et l’éthique ne peuvent plus être des outils au service du marketing. Les actions de greenwashing ou le socialwashing sont immédiatement repérées et dénoncées. Le groupe Les Mousquetaires-Intermarché en a récemment fait les frais. Le 21 mars dernier, l’association Bloom pour la protection des océans a porté plainte auprès de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARRP) contre le groupe pour dénoncer « leur campagne diffusée en presse écrite vantant » les pratiques de pêche responsable de leur flotte de pêche. Une sérieuse brèche dans l’image de l’enseigne qui a été forcée de faire son mea culpa. Même punition pour General Motors France que la Cour d’appel de Paris a mis en examen au motif que l’entreprise se servait d’arguments écologiques sans valeur dans une publicité pour la Saab 9-3 Biopower. Les consom’acteurs veillent. Certains, réunis au sein de l’association Les Amis de la Terre ont même créé un prix – le Prix Pinocchio- décerné aux entreprises ayant « mené la campagne de communication la plus abusive et trompeuse au regard de ses activités réelles ». Vinci a eu le déplaisir de se le voir remettre à l’occasion du chantier de l’aéroport de Notre Dame des Landes. A l’heure de la consom’action, si le caddie est une arme, internet est un champ de bataille et l’humour un missile…