La tourmente financière, qui vient démentir toutes les promesses de la mondialisation, a éclipsé les signes avant-coureurs d’une autre crise, infiniment plus grave : une pénurie alimentaire générale. Blé, colza, lait, maïs, riz, soja. Les cours des matières premières agricoles flambent et font grimper les prix des denrées alimentaires de base, plongeant des millions de personnes à travers le monde dans l’insécurité alimentaire. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), entre le premier trimestre 2007 et le premier trimestre 2008, les huiles végétales ont augmenté de 97 %, les céréales de 87 %, les produits laitiers de 58 % et le riz de 46 %. Conjuguées au dérèglements climatiques, les logiques économiques actuelles conduisent dans le mur. Pour comprendre comment tous les voyants sont passés au rouge, ARTE ausculte un système devenu fou mardi 2 décembre à partir de 21h00 et tente de répondre à cette question : les autorités sont-elles capables d’arrêter une catastrophe annoncée ?
Les conséquences de la flambée des cours des matières premières agricoles sont catastrophiques pour les populations les plus défavorisées, et notamment pour les paysans pauvres qui n’ont plus les moyens d’acheter des semences et pour les citadins pauvres qui n’ont plus les moyens de se nourrir. De nombreux pays parmi lesquels la Côte d’Ivoire, l’Égypte, Haïti, Madagascar, le Mexique, le Pakistan ou encore le Sénégal ont été récemment le théâtre de violentes manifestations, véritables « émeutes de la faim » qui risquent de se multiplier. Selon le Fonds international de développement agricole (Fida), une agence des Nations unies, pour chaque augmentation de 1 % du prix des denrées de base, ce sont 16 millions de personnes supplémentaires qui sont plongées dans l’insécurité alimentaire. Cela signifie « que 1,2 milliards d’êtres humains pourraient souffrir de faim chronique d’ici 2025 ; 600 millions de plus que prévu. » souligne le rapport. Catastrophe humanitaire, la crise alimentaire est également lourde de menaces pour la paix. Pour Jean Ziegler, le danger est bien réel : « On va vers une très longue période d’émeutes, de conflits, de vagues de déstabilisation régionale incontrôlable ». Pour Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Onu, la priorité immédiate est de nourrir les populations. Pressant la communauté internationale de fournir au PAM l’aide d’urgence de 755 millions de dollars dont il a besoin pour faire face à la situation, il a déclaré : « Si elle n’est pas gérée correctement, cette crise pourrait en provoquer une cascade d’autres et (…) affecter la croissance économique, le progrès social et même la stabilité politique à travers la planète. » Moins de terres, mais aussi moins d’eau et d’énergie… Directeur de l’École supérieure d’agriculture (ESA), Bruno Parmentier intervient dans les deux documentaires diffusés mardi soir sur Arte. Ingénieur des mines et économiste, il est l’auteur d’un ouvrage de référence, Nourrir l’humanité, sur le défi alimentaire. Il rappelle à Sylvie Dauvillier pour Arte que « les terres arables (1,5 milliard d’hectares soit 12% de la planète) ne sont pas extensibles. Bien que les réserves, essentiellement les forêts tropicales, soient mises en culture à un rythme déraisonnable, accélérant le réchauffement climatique, nous perdons plus de terres que nous n’en gagnons, à cause de la pollution et de l’urbanisation massive. La Chine, par exemple, perd 1 million d’hectares par an ! Si en 1960, nous mangions à deux sur un hectare de terre cultivée pour quatre aujourd’hui, nous serons six en 2050. De plus, le réchauffement de la planète accentue la sécheresse – depuis cinq ans, il ne pleut plus en Australie, qui était un grand pays exportateur de céréales – et les inondations. Avec d’énormes investissements, nous ne pourrons augmenter les 200 millions d’hectares irrigués sur la planète que de 20 %, tandis que le niveau des nappes phréatiques va baisser dans de nombreuses régions. Enfin, pour produire une tonne de blé, il faut près de 300 litres de pétrole, pour les engins, mais surtout pour les engrais et les pesticides. Les agriculteurs devront produire avec moins d’énergie. Dans le même temps, on leur demande de remplir les réservoirs avec les biocarburants. C’est un défi gigantesque ». Avec les deux documentaires diffusés dans cette Thema, Arte nous démontre que la tourmente financière n’est rien face à la menace d’une pénurie alimentaire générale. Une nouvelle soirée de la collection Comprendre le Monde à voir absolument.21h00 – Documentaire : Vers un crash alimentaire
Conjuguées au dérèglement climatique, les logiques économiques actuelles conduisent à brève échéance à une catastrophe alimentaire planétaire. Est-il trop tard pour inverser la tendance ?
22h20 – Documentaire : Le Monopoly de la faim
Comment l’aide alimentaire d’urgence est tombée dans l’escarcelle de la finance. Un exemple éloquent, à travers le destin de la récolte éthiopienne de 2006.