La chaîne alimentaire de notre monde industrialisé est bâtie sur une dépendance sans précédent aux énergies fossiles : si l’agriculture intensive a besoin de pétrole pour faire tourner ses machines et se fournir en engrais de synthèse, le secteur de la distribution en dépend également pour approvisionner les villes. Que se passera-t-il quand cette ressource désormais rare aura atteint un prix rédhibitoire ou quand elle sera épuisée ?
La population francilienne ne dispose par exemple que d’à peine trois jours d’autonomie alimentaire. Quant au contenu de nos assiettes, mieux vaudrait parfois n’en rien savoir, tant le cortège de pesticides, d’hormones et autres OGM qui y circulent nous empoisonne à petit feu. Pourtant, chacun d’entre nous peut retrouver le chemin de la terre, dans son propre jardin, mais aussi sur un balcon, une terrasse, dans un jardin partagé… Des expériences en France et dans le monde entier, comme à Détroit ou à Cuba, prouvent que, même en ville, on peut cultiver et nourrir sainement une grande partie de la population. La journaliste Frédérique Basset a mené l’enquête sur ces moyens de produire soi-même sa nourriture avec des méthodes douces pour la planète, sans effets secondaires pour la santé : son livre, qui vient d’être édité par Rue de l’échiquier, est à la fois un plaidoyer et un guide pour agir. « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas » Proverbe amérindien Philippe Desbrosses, agriculteur, docteur en Sciences de l’environnement, fondateur du centre pilote de formation Bio et du Conservatoire de Sainte-Marthe, cofondateur de l’Association Intelligence Verte résume dans la préface de ce livre pourquoi la crise que nous traversons est riche en opportunités : « Elle met en oeuvre des mécanismes de résilience en stimulant l’intelligence collective et la créativité. L’importance des défis et l’urgence de mesures à prendre rappellent d’autres grandes périodes troublées de l’histoire du monde. Mais l’enjeu économique se double aujourd’hui d’un défi démographique, écologique, alimentaire et sanitaire qui rend d’autant plus pertinent ce livre. Frédérique Basset nous dit pourquoi, où et comment nous pouvons réapprendre le chemin de l’autonomie alimentaire, alors que la somme des artifices sur lesquels nous avons fondé notre avenir menacent de s’effondrer. » Et il souligne plus loin : « A chaque fois que la société civile trouve une solution ingénieuse pour son bien-être et sa santé, pour son indépendance alimentaire, énergétique et économique pour dépenser moins et vivre mieux, un bataillon de lois, de normes et de règles contraignantes, sous des prétextes hypocrites, empêchent ces libertés de s’exercer. Ainsi en a-t-il été du purin d’ortie (…) ou des plantes médicinales. » Philippe Desbrosses reste cependant optimiste : « tout le monde semble aujourd’hui touché par cette quête d’autonomie, d’authenticité, de simplicité, d’harmonie, qui privilégie les activités proches de la nature : jardinage, tourisme vert, agriculture biologique, recyclage, commerce équitable et solidaire. Elles sont une réponse à la crise de civilisation, à la perte des repères sociaux et culturels que nous connaissons, et traduisent le besoin de ré-enchantement du monde face aux inquiétudes sur l’avenir. Le retour au jardin et à l’autonomie, c’est le retour à la sérénité… » Et c’est une urgente nécessité comme le rappelle Pierre Rabhi : « Ne pouvant produire sans épuiser, détruire et polluer, le modèle dominant contient les germes de sa propre destruction et nécessite d’urgence des alternatives fondées sur la dynamique du vivant ». Ce livre de Frédérique Basset nous invite à la résistance et à la réappropriation de notre liberté, de nos vies, à nous et à celle des générations futures.Extrait
Il était une fois…. Extrait de Vers l’autonomie alimentaire par Frédérique Basset : « Il aura fallu des milliers d’années pour que le chasseur-cueilleur devienne paysan, mais quelques décennies seulement pour remplacer la paysan par l’exploitant agricole. Comment s’opéré ce tour de passe-passe ? Il y a 10 000 ans, la « révolution néolithique » marque un tournant pour l’humanité. Les hommes, qui se sédentarisent, commencent à cultiver la terre et domestiquer les animaux. Une véritable révolution culturelle ! La terre, qui était le domaine des femmes pratiquant la cueillette, devient alors celui des hommes, qui pénètrent ses entrailles pour l’ensemencer. Représentée jusqu’alors par la déesse mère, la religion devient patriarcale et adopte une dieu créateur. Jusque dans les années 1950, l’agriculture était encore familiale. Si la condition paysanne était rude, les maisons sans confort et l’espérance de vie moins longue qu’aujourd’hui, l’activité agricole était riche en savoir-faire ancestraux, garantissant l’équilibre des écosystèmes, préservait la biodiversité, donnait un revenu à des familles entières et créait des emplois durables. De plus, la terre nourrissait les hommes sans qu’on ait besoin de lui injecter engrais chimiques et pesticides. Avec la Première Guerre mondiale, l’exode rural vide les campagnes, et la chimie s’invite dans les champs. Avec la Seconde, l’exode se poursuit et l’agriculture intensive entre en scène, avec un seul but : maximiser la production, en abreuvant les sillons de produits impurs et mortifères. Un arsenal d’engrais, d’herbicides, de fongicides, d’insecticides et autre régulateurs de croissance – « recyclage » des gaz toxiques utilisés pendant la guerre -, viennent soutenir les rendements. Ce système agricole imite non pas la nature, mais l’industrie. Pourtant, comme le dit Philippe Desbrosses, agriculteur bio et créateur de la ferme de Sainte-Marthe, en Sologne : « La terre n’est pas un champ de bataille pour l’industrie lourde et la pétrochimie ». Hélas, au fil du temps, nous lui avons demandé toujours plus, et elle s’est bien transformée en véritable champ de bataille, au sol pollué et épuisé ! Même la Cour des comptes en convient : « En matière agricole, le principe « pollueur payé » prévaut sur celui de « pollueur payeur ». Elle dénonce l’immense gaspillage des deniers publics, d’abord utilisés pour soutenir des systèmes de production qui détériorent les ressources naturelles (en polluant les sols, l’eau…), puis dépensés pour remédier à cette même pollution… « Nous soucier de la nourriture est inscrit dans nos gènes, et nous en avons été privés pendant trop longtemps, rappelle Janine Benyus. Si nous pouvions à nouveau considérer le fait de cultiver la nourriture comme un acte biologique sacré qui nous relie à toutes les créatures vivantes, nous réclamerions peut-être à grands cris un système agricole qui crée des communautés, contienne les ravageurs, ne laisse pas partir le sol dans les rivières et n’utilise pas de produits chimiques étrangers à nos tissus. (…) Si nous nous sommes vraiment acquis à la durabilité, dans tous les domaines, l’agriculture doit figurer tout en haut de notre liste de priorités, constituer le premier repas du nouveau jour. Un changement de cette ampleur nécessitera l’esprit de coopération de chacun d’entre nous, et s’appuiera sur la seule caractéristique que nous ayons en commun : un besoin primaire de manger. » Puissent les gouvernements du monde entier entendre le message ! Au début du XXe siècle, dans les pays occidentaux comme le nôtre, on comptait 75% d’agriculteurs. Il en reste 1,1% aujourd’hui. Il y avait en France 2 280 000 fermes en 1955, et seulement 527 000 exploitations agricoles en 2010. Et quarante d’entre elles disparaissent chaque jour… Il est grand temps d’en finir avec le dogme selon lequel plus un pays a une population rurale et paysanne importante, plus il est pauvre et arriéré. Les réserves de nourriture, sur toute la planète, ne représentent que cinquante jours de consommation (trois jours pour l’île-de-France), et ce chiffre a tendance à diminuer, car nous consommons toujours plus que ce nous produisons. Vers qui les nations vont-elles se tourner pour trouver de la nourriture ? En 2008, 14 000 milliards de dollars – environ le quart du PIB mondial – ont été généreusement octroyés aux banques par les gouvernements du monde. « Et dire qu’un centième ou un millième de cette somme n’est jamais mobilisable pour la santé, l’éducation, la création d’emplois, la protection de l’environnement et autres dignes entreprises ! » s’exclame Susan George. La même années, les émeutes de la faim touchent près d’un milliard de personnes. Ces crises, nées dans les campagnes, finissent par gagner les villes. Et surtout les grandes villes. Elles ne concernent plus seulement les pauvres, mais aussi les classes moyennes. Un tsunami alimentaire semble de plus en plus probable. D’après la Banque mondiale, la hausse des prix alimentaires a fait tomber dans la pauvreté 44 millions de personnes depuis juin 2010 ; et pendant l’été 2011, la faim a provoqué des dizaines de milliers de morts dans la Corne de l’Afrique. « Produire et consommer localement tout en échangeant la rareté devrait être un slogan universel, affirme l’agroécologue Pierre Rabhi. Pour cela, une politique foncière considérant la terre nourricière, l’eau, les semences, les savoirs, les savoir-faire comme biens inaliénables doit être établie. En attendant ces dispositions inspirées par un réalisme élémentaire, cultiver son jardin quand cela est possible devient, au-delà d’une activité alimentaire, un acte politique et de légitime résistance à une logique de monopole fondée sur des critères strictement lucratifs et aléatoires. D’un Pierre à l’autre, ce n’est pas le célèbre Pierre Lieutaghi qui aurait contredit ces propos. En 1980, dans un texte publié par Le Sauvage (N°71), il écrivait déjà : « Pour en finir avec la famine, la guerre, l’économie de marché, le technocratisme, la pollution, l’industrie, le chômage et le reste, il faut envisager la solution jardin. L’autre à l’usine. L’une à la multiplication de la vie, l’autre à la consommation de la vie. Le jardin, c’est l’unité écologique de base. La cellule normale de la Terre humanisée ». Une rélexion toujours d’actualité ? »Acheter ce livre
Références : Vers l’autonomie alimentaire de Frédérique Basset- Editeur : Rue de l’Echiquier – Collection diagonales – 128 pages – ISBN : 978-2-917770-44-3 – Prix public : 13 euros