En 1970, une avalanche tue 39 personnes dans un centre de vacances. D’un phénomène naturel dangereux mais inhérent au domaine montagnard en hiver, les avalanches deviennent, avec le développement des stations de ski, un risque pour l’homme et ses infrastructures. Se protéger des avalanches nécessite d’abord de comprendre les mécanismes en action, une mission qui a été confiée aux scientifiques du centre Irstea de Grenoble. Depuis 40 ans, ils étudient la neige et son écoulement. Les résultats de leurs recherches permettent d’optimiser le dimensionnement des ouvrages de protection.
Pour comprendre les avalanches, 3 phases d’études sont nécessaires : – Phase 1 : connaitre les propriétés de la neige – Phase 2 : comprendre son écoulement grâce à la modélisation physique – Phase 3 : tester les connaissances acquises sur des sites expérimentaux grandeur natureLes avalanches en bref
L’avalanche est un phénomène physique du à un écoulement d’une masse de neige sur le versant d’une montagne. Leur déclenchement peut être provoqué par une instabilité interne ou par une surcharge ponctuelle du manteau neigeux. La couche fragile enfouie se rompt sous le poids d’une couche supérieure de neige cohésive. On distingue deux types d’avalanches : – Avalanche dense : Masse de neige qui s’écoule le long de la pente voisine ou supérieure à la densité initiale du manteau neigeux. Le volume des avalanches denses peut atteindre plusieurs milliers de m3, avec des vitesses comprises entre 1 et 250 km/h, des hauteurs entre 1 et 20 m, des masses volumiques comprises entre 150 et 500 kg/m3 et des pressions pouvant atteindre jusqu’à 70 tonnes au m². – Avalanches poudreuses ou aérosol : écoulement turbulent composé de particules de glace en suspension dans l’air en prenant la forme d’un nuage. Elles atteignent de grandes vitesses jusqu’à 300 km/h, peuvent atteindre 100 m de haut avec une densité de 2 à 5 kg/m3 et une pression de 1 à 5 tonnes/m². Les avalanches mixtes (dense et poudreuse) sont les plus fréquentes.Comprendre le comportement de la neige
Observation des interactions entre les grains de neige pour comprendre le déclenchement
La neige est un matériau résolument évolutif qui se métamorphose en fonction des conditions météorologiques. Sous forme de flocon, la neige constitue un manteau aéré alors que sous forme de glace, elle est plus dense. Les chutes successives donnent au manteau une structure en millefeuille.
Première étape du travail des scientifiques : l’observation des interactions entre deux grains de neige. Ils modélisent les forces de répulsion, de cohésion et de frottement qui s’exercent entre eux.
Ensuite un échantillon comportant un grand nombre de grains est construit. Comme le but est d’étudier la couche fortement cisaillée à la base de l’avalanche, la partie haute de l’échantillon est soumise à des sollicitations contrôlées (vitesses et pressions), et les déformations sont mesurées.
La loi de comportement qui relie la déformation à la sollicitation est ainsi établie.
– Élucider les lois d’écoulement
Le canal expérimental du Lac Blanc en Isère permet de déterminer les lois d’écoulement © M. Carrouée
Deuxième étape: l’étude des liens entre la pression et les grandeurs de l’écoulement. Les chercheurs exploitent l’analogie entre les avalanches de neige dense et les écoulements granulaires. Ils se tournent donc vers la modélisation physique. Le principe est simple : il s’agit de reproduire une avalanche de grain à échelle réduite sur une maquette en utilisant un matériau granulaire bien caractérisé et de conduire des expérimentations contrôlées où pression et grandeurs dynamiques sont mesurées.
Les avalanches poudreuses, quant à elles sont modélisées par des courants de gravité. Dans un bassin de 20 m3, de l’eau salée (représentant l’avalanche aérosol) s’écoule dans de l’eau (représentant l’air ambiant). Mais rien ne vaut le matériau neige et le laboratoire se déplace à 2800 m au Col du Lac Blanc sur le domaine skiable de l’Alpe d’Huez. Un canal à neige de 10 m de long, 30 cm de large et 20 cm d’épaisseur, a été construit. Sa pente est modulable entre 24° et 45°. Débit, hauteur, vitesse et contraintes y sont mesurées.
– Remettre le phénomène dans son contexte réel
Le site expérimental du col du Lautaret (Hautes Alpes) permet d’acquérir des données pour alimenter les modèles numériques © Irstea
Troisième étape : l’expérimentation in situ. Irstea possède depuis 1972 un site expérimental dans les Hautes-Alpes, le col du Lautaret pour y étudier la dynamique des avalanches et leur sollicitation sur les ouvrages Ce col est marqué par sept couloirs rectilignes et prononcés, sujets à de nombreux écoulements en hiver. Trois couloirs peuvent être déclenchés artificiellement et seuls deux sont instrumentés. Hauteur et surface de la zone de départ, vitesse de l’écoulement, pressions exercées sur les dispositifs de surveillance, hauteur de dépôt dans la zone d’arrêt sont autant de grandeurs clés pour valider les modèles numériques simulant les écoulements.
Autre site d’expérimentation grandeur nature : le couloir de Taconnaz. Il s’agit d’un couloir hors norme de plus de 7 km de long situé dans la vallée de Chamonix. Trois tas freineurs situés en entrée du dispositif ont chacun été équipés de 2 capteurs de pression (mesurant jusqu’à 100 t/m2) et 2 capteurs de vitesse (mesurant jusqu’à 60 m/s). Cette fois ci, l’avalanche n’est pas déclenchée artificiellement et l’enregistrement sur les centrales d’acquisition enterrées au pied des tas est continu.
Se protéger des avalanches
– Cartographier et connaître l’aléa
Extrait de la CLPA © Irstea
Première étape pour se protéger des avalanches : identifier les couloirs d’avalanches menaçant habitations et infrastructures. L’information historique sur l’aléa avalancheux repose sur deux bases de données anciennes, gérées par Irstea : une chronique d’événements se produisant sur des sites sélectionnés, l’Enquête Permanente sur les Avalanches (EPA), et une carte-inventaire des emprises maximales des phénomènes, la Carte de Localisation des Phénomènes d’Avalanche (CLPA). EPA et CLPA offrent des visions temporelle et spatiale complémentaires d’un même phénomène et fournissent un jeu de données unique exploité en expertise et en recherche.
– Dimensionner les ouvrages de protection
Taconnaz en hiver © F. Rapin
Deuxième étape : installer des ouvrages de protection. Les digues, tas freineurs et autres paravalanches doivent freiner, dévier ou stopper l’avalanche. Leur conception pose cependant deux défis de taille. Ils doivent contenir le volume global de l’avalanche et résister à la pression exercée. L’une des finalités de l’action des scientifiques est d’aider les ingénieurs civils dans la conception et le dimensionnement de ces ouvrages.
Il s’agit tout d’abord de définir l’aléa de référence, qui en France est l’avalanche centennale, c’est-à-dire l’événement de référence dont la probabilité d’occurrence chaque année est de 1 pour 100. Grâce aux connaissances acquises et aux modélisations numériques et physiques, les scientifiques peuvent alors évaluer le comportement des ouvrages soumis à cet aléa et optimiser la forme, les dimensions, l’emplacement et le nombre des ouvrages de protection.
Le travail effectué par Irstea sur le couloir de Taconnaz fournit une belle illustration des recherches sur le dimensionnement des ouvrages de protection. Le dispositif, suite à des débordements en 1999 et en 2006, a été redimensionné pour un événement centennal de 1.6 millions de m3, d’une hauteur de 10 m et d’une vitesse de 150 km/h. Le système de protection a été consolidé par la construction de cinq nouveaux tas freineurs et le rehaussement de la digue frontale de 25 m de haut.