Isabelle Duhamel-Achin, BRGM et Marc Moulin, BRGM
Et si le scénario de 2022 se répétait ? Dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs dizaines communes étaient placées en alerte renforcée sécheresse – et donc à des restrictions d’eau – à la fin juillet 2024. Il faut dire que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est particulièrement vulnérable au risque de sécheresse.
Elle l’est à cause du climat méditerranéen qui y règne, mais aussi du fait d’une répartition inégale de la ressource en eau sur le territoire. Celle-ci peut conduire à une dépendance aux aménagements hydrauliques réalisés pour transférer l’eau abondante des zones alpines vers les zones plus déficitaires et densément peuplées du littoral.
Depuis plusieurs années, le BRGM multiplie les projets de recherche avec des partenaires locaux en PACA pour améliorer les connaissances du sous-sol et de ses ressources en eau.
De quoi améliorer la gestion collective de la ressource ? La sécheresse hors norme de 2022 a en tout cas entrainé une réflexion des collectivités sur la gestion partagée de la ressource.
Une répartition inégale des ressources en eau
La ressource en eau est plutôt abondante en PACA, mais elle est inégalement répartie dans l’espace et dans le temps, en fonction des saisons. Elle est parcourue par près de 46 000 kilomètres de cours d’eau, dont deux axes majeurs : le Rhône, qui traverse d’abord la région Auvergne-Rhône-Alpes, et la Durance, affluent du Rhône qui trouve sa source dans les Hautes-Alpes.
Le grand barrage de Serre-Ponçon, par exemple, conçu à l’origine comme un ouvrage destiné à la production d’hydro-électricité, joue un rôle de réservoir et de régulateur. Il permet de soutenir le manque d’eau pendant la période estivale, par un relargage progressif des réserves constituées en fonction des besoins du territoire.
Il alimente tout un réseau de canaux d’irrigation et d’alimentation en eau dans plusieurs départements de la région grâce à une concession régionale gérée par la Société du Canal de Provence. Le canal de Marseille alimente la deuxième plus grande ville de France en nombre d’habitants à partir de la Durance. Les deux tiers de l’eau de surface de la région proviennent d’ailleurs de ce cours d’eau et de son affluent le Verdon. Le dernier tiers dépend du partage de l’eau du Rhône depuis la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Il existe aussi des projets de partage de l’eau (non aboutis pour l’instant) interrégionaux. Citons, parmi d’autres, celui vers la région Occitanie à partir du Rhône (projet Aqua Domitia). Les réflexions de gestion unifiée dépassent d’ailleurs les frontières : le fleuve Roya, qui prend sa source en France et termine sa course dans la plaine alluviale de Vintimille, en fournit un bon exemple. Un protocole international de gestion et d’étude de la nappe alluviale de la Roya existe et des projets d’étude et d’exploitation en commun sont à l’œuvre.
Des eaux souterraines encore peu exploitées
Outre les eaux de surface, 14 % des prélèvements pour l’alimentation en eau, tous usages confondus, proviennent des nappes d’eau souterraine. Pour l’eau potable, cette part se monte à 50 %. Les eaux souterraines représentent donc un enjeu crucial pour l’avenir : les débits des eaux de surface risquent de diminuer dans les décennies à venir sous l’effet du changement climatique.
Les eaux souterraines se retrouvent principalement au sein des nappes alluviales (en général peu profondes) ou des réservoirs karstiques (superficiels ou plus profonds). Dans la région, coexistent en effet divers types de formations rocheuses, aux propriétés hydrogéologiques variées :
- Les domaines cristallins de socle (roches fracturées de type magmatique ou métamorphique des massifs des Maures-Estérel-Tanneron, du Mercantour ou du sud des Alpes). Ils sont réputés peu productifs en eaux souterraines.
- les alluvions, anciennes ou récentes (limons, sables, graviers…) localisées principalement sur la bande côtière et dans les domaines de grandes plaines provençales, recélant des nappes superficielles qui bordent les principaux cours d’eau (la Durance, la Crau, le Gapeau, la Siagne, le Var…), qui sont les plus exploitées (environ 60 % des prélèvements d’eau),
- Les grands massifs dits karstiques (constitués de calcaires et dolomies, des roches carbonatées), accueillant des aquifères complexes encore assez peu exploités. Le fonctionnement de ces écoulements souterrains est souvent complexe et les réseaux qu’ils dessinent sous la surface ne sont pas encore entièrement connus. Leurs affleurements représentent le quart de la surface de la région.
Les ressources qu’ils accueillent sont souvent très réactives aux conditions hydroclimatiques. L’eau circule dans les cavités (karsts) créées par la dissolution naturelle de la roche, rendue semblable à un gruyère par l’écoulement de l’eau.
Ils peuvent constituer de vastes réservoirs. Ils sont à l’origine de sources remarquables qui contribuent localement à l’alimentation des rivières, comme le montrent les photographies ci-dessus, prises à la Fontaine de Vaucluse.
Le changement climatique en Méditerranée
La disponibilité de la ressource en eau souterraine dépend des cycles hydroclimatiques, très contrastés en région méditerranéenne. Sur la façade maritime, un changement semble d’ores et déjà s’esquisser, avec une augmentation notable ces dernières années des températures moyennes et des vagues de chaleur prolongées pendant l’été.
Au-delà des seules températures, la fréquence d’autres événements météorologiques extrêmes, comme les fortes pluies, augmente également. Celles-ci peuvent entraîner des crues éclair dans les vallées encaissées des hauts reliefs sur les domaines alpins, des inondations et des dommages sur les infrastructures (par exemple la tempête Alex en 2020).
A l’inverse, les périodes prolongées sans pluie peuvent provoquer des sécheresses importantes, comme celle de 2022, d’autant plus impactantes qu’elles interviennent après des automnes avec faible pluviométrie et des hivers secs.
Des restrictions sur les usages de l’eau avaient été imposées en 2022 et 2023 par arrêtés préfectoraux pour limiter les volumes prélevés sur les nappes insuffisamment rechargées. De nombreuses collectivités du Var et des Alpes Maritimes avaient dû alors s’orienter vers des solutions alternatives transitoires : achat d’eau potable en citernes ou en bouteilles, arrêt de l’arrosage des espaces verts ou de l’alimentation des fontaines d’agrément et des piscines…
Le changement climatique pourrait également entraîner à terme une salinisation des aquifères côtiers dans les secteurs les plus densément peuplés sur la frange littorale.
En effet, avec la remontée du niveau marin, l’interface entre eau douce et eau salée dans le sous-sol sera amenée à se déplacer vers l’intérieur des terres. Cela va accentuer la vulnérabilité des captages d’alimentation en bord de mer, mais également dans les plaines (souvent agricoles) et dans les zones humides de basse altitude, en Camargue notamment.
Recherche et politiques locales, deux façons d’agir sur le risque de pénurie
La sécheresse extrême de 2022 a entraîné une réflexion collective sur la gestion partagée de la ressource en eau pour la planification territoriale. Dans ce contexte, le BRGM développe des modèles numériques pour mieux évaluer les impacts futurs du changement climatique sur la ressource et la recharge des nappes. Cela implique de simuler l’évolution des flux de masses d’eau et les interactions entre les eaux de surface et le niveau des nappes d’eau souterraine.
Les objectifs sont multiples : cibler des secteurs à fort potentiel où aller explorer de nouvelles ressources de substitution, mieux comprendre comment transitent ces flux sur notre territoire pour mieux les utiliser, reconstituer les stocks, voire même identifier les secteurs qui seront le plus en tension à l’avenir.
Ces éléments produits par le BRGM permettent de nourrir la réflexion politique au niveau local : choix de nouveaux aménagements, arbitrages dans les prises de décision… Citons plusieurs exemples de projets de recherche récents où le BRGM travaille en collaboration avec les partenaires locaux de la région PACA :
- plusieurs études sur l’apport des eaux karstiques souterraines de la région ainsi qu’aux crues des différents cours d’eau,
- la prospection de réservoirs potentiels plus profonds avec la collaboration franco-italienne, dans le cadre du projet Interreg Concert’eaux Opera piloté par la communauté d’agglomération de la Riviera française,
- ou encore les potentiels forages exploratoires sous la plaine de la Crau.
L’adaptation passe également par la mise en place d’actions concrètes ou d’expérimentations sur le territoire, par exemple :
- la rénovation des réseaux des collectivités pour en réduire les fuites,
- la désimperméabilisation des sols en milieu urbain. De quoi faciliter le transfert des pluies vers le sous-sol pour recharger les nappes.
- la valorisation des eaux usées traitées pour lutter contre la sécheresse,
- la mise en place de système d’irrigation agricole plus sobres, comme du goutte-à-goutte automatisé déclenché suivant les conditions météo ou des capteurs d’humidité des sols connectés,
- des changements de pratiques avec des cultures adaptées à un climat plus chaud.
L’urgence à préserver l’eau en PACA
Rappelons enfin que le maintien d’une quantité d’eau suffisante dans les cours d’eau et les nappes est indispensable à leur bon fonctionnement et l’équilibre des écosystèmes. Selon les derniers chiffres de 2023, publiés sur le site EauFrance, seuls 48 % des milieux aquatiques en surface sont considérés en bon état écologique, 88 % sont en bon état quantitatif et 85 % en bon état chimique (c’est-à-dire, dont les niveaux de pollution sont conformes aux exigences réglementaires).
Il y a urgence : selon l’Agence de l’Eau, 40 % des territoires du bassin Rhône-Méditerranée seraient en tension car les besoins actuels et les prélèvements dépassent la capacité des ressources disponibles.
Un enjeu important pour la région PACA, par ailleurs soumise à de fortes pressions démographiques liées notamment au tourisme.
Isabelle Duhamel-Achin, Direction Régionale Provence-Alpes-Côte d’Azur, BRGM et Marc Moulin, Hydrogéologue, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.