Reporters sans frontières rend publique aujourd’hui une enquête intitulée « Journaliste environnementaliste, un combat périlleux ». Ce document pointe notamment l’indifférence, voire la complicité, de certaines autorités peu soucieuses de protéger des journalistes qui prennent le risque d’informer sur les atteintes à l’environnement. A travers l’étude de treize cas de journalistes et de blogueurs tués, agressés, emprisonnés, menacés de mort ou censurés pour avoir traité de problèmes environnementaux, l’organisation rappelle la nécessité d’une presse libre pour résoudre les défis écologiques. En Russie, au Cambodge, au Brésil, ou même au coeur de l’Europe, en Bulgarie, des professionnels des médias prennent des risques pour nous alerter sur les méfaits des prédateurs de l’environnement.
Le Rapport Journaliste environnementaliste, un combat périlleux
Lai Baldé, journaliste guinéen, vit sous la menace. Tamer Mabrouk, blogueur égyptien, fait l’objet d’une procédure judiciaire. Le journaliste russe Grigory Pasko a passé quatre années en prison. Son confrère ouzbek, Solidzhon Abdurakhmanov, vient d’être condamné à dix ans de prison. Victime d’une agression, Mikhaïl Beketov, un journaliste russe, a perdu une jambe et plusieurs doigts. Maria Nikolaeva, reporter en Bulgarie, a été menacée d’être aspergée d’acide. Joey Estriber, journaliste philippin, a disparu depuis 2006… Quel point commun y a-t-il entre tous ces journalistes, dont la liste est loin d’être exhaustive ? Ils enquêtent ou ont enquêté sur des sujets liés à l’environnement dans des pays où il est dangereux de le faire. L’enjeu environnemental est immense. Pour préserver la nature, il faut en premier lieu établir un diagnostic précis de l’état des ressources et de la façon dont elles sont employées. Grâce à ce travail d’analyse – auquel la presse participe largement – les décideurs politiques peuvent ensuite fixer les normes qui s’imposeront aux acteurs économiques et aux populations. Ce travail de collectes d’informations constitue une menace jugée suffisante par nombre d’entreprises, d’organisations mafieuses, voire d’Etats, et de toutes sortes d’intermédiaires, qui tirent profit d’un usage abusif du milieu naturel. A l’évidence, la contrainte environnementale constitue un frein à leurs projets. La presse d’investigation et les militants écologistes peuvent alors devenir des témoins gênants, voir des ennemis à abattre. Dans les pays non démocratiques mais pas seulement, les journalistes spécialisés dans les questions environnementales se retrouvent ainsi aux avant-postes d’une nouvelle ligne de front. Les violences qu’ils subissent nous concernent tous ; elles sont le reflet de ces enjeux politiques et géostratégiques majeurs. Les conflits qui opposent journalistes et pollueurs sont si nombreux et variés qu’il est impossible d’en dresser la liste. Parfois, le simple séjour d’un journaliste sur un site sensible où sa présence est jugée indésirable suffit à nourrir une crise. Ainsi, des journalistes étrangers ont été chassés des villages du sud de la Chine où sont désossés dans des conditions catastrophiques la majorité des ordinateurs produits dans le monde. Dans d’autres cas, c’est la publication d’une enquête détaillée, citant les faits et les noms, qui provoque une agression coercitive. C’est le cas de Mikhaïl Beketov, grièvement blessé par des hommes de main d’officiels mécontents de ses enquêtes sur un projet d’autoroute traversant une forêt. Autre sujet de préoccupation : les agresseurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Dans la plupart des cas, ce sont les sbires d’entrepreneurs mafieux ou de politiciens corrompus qui commettent les crimes. Mais, dans plusieurs pays, Reporters sans frontières a pu observer ce paradoxe : la population locale, pourtant première victime de la pollution et des trafics, fait corps avec ceux qui compromettent son avenir. La raison est évidente : ceux qui s’enrichissent en pillant les ressources ont les moyens de procurer, ce faisant, un emploi ou des revenus aux plus démunis. Tout cela rend la lutte contre la déforestation ou le combat contre les usines les plus polluantes difficiles et ingrats pour ceux qui les conduisent. Un combat d’autant plus inégal qu’il est mené, le plus souvent, dans des pays où tous les rouages du pouvoir semblent complices et où l’appareil judiciaire, lorsqu’il existe, ne joue pas son rôle. On va le voir : la plupart des affaires liées à l’environnement ne connaissent pas de dénouement judiciaire. On peut même affirmer que, dans la plupart des cas, les journalistes sont livrés à eux-mêmes pour se défendre. D’où l’importance de faire connaître cette lutte et de lui apporter le soutien de l’opinion publique. Nous publions ci-dessous quelques extraits du rapport de Reporters Sans Frontières. Pour lire l’enquête complète, cliquez sur le lien ci-dessous. – Télécharger le rapport Presse & Environnement au format PDFLe gaspillage des ressources naturelles est un sujet sensible sur tous les continents
Les ressources naturelles ne sont pas inépuisables. Ce qui est vrai pour le sous-sol l’est également pour le sol. Certes, la forêt repousse. Mais celles que l’homme reconstruit aujourd’hui ne seront jamais aussi biologiquement riches que les forêts primaires vieilles de centaines de milliers d’années. D’où l’importance de les préserver. – C’est ce que tente de faire Lúcio Flávio Pinto, fondateur et rédacteur en chef du bimensuel brésilien Jornal Pessoal à Belém (Etat de Pará, Nord). Il a publié une série d’enquêtes consacrées à la déforestation en Amazonie. Résultat : 33 actions en justice au total ont été engagées contre lui. – En Birmanie, la question est réglée de façon plus radicale encore. Le Bureau de la censure militaire supprime des journaux toute référence gênante à la déforestation. Pour le plus grand bénéfice des entreprises chinoises. – Le Cambodge a perdu la moitié de sa forêt primaire en quinze ans, malgré les millions de dollars consacrés à la protection du massif des Cardamones. Trois journalistes qui ont enquêté, à la suite des rapports de l’organisation Global Witness sur la déforestation, ont été victimes de menaces de mort. – Ce genre de menace est à prendre au sérieux. Aux Philippines, Joey Estriber, animateur du programme radio « Pag-usapan Natin » (Parlons de ça !) sur la radio locale DZJO, dans la province d’Aurora (nord-est de Manille), a disparu depuis mars 2006. Kidnappé par quatre hommes, il n’a jamais reparu. Joey Estriber était connu pour ses dénonciations de la déforestation dans la province d’Aurora. Dans son programme, il revenait sur l’abattage intensif d’arbres mené par des entreprises bénéficiant de soutiens au sein de l’administration. Il avait participé à une campagne en faveur de la suspension de neuf licences accordées à des entreprises d’exploitation du bois dans cette province… – Pour plus d’infos, télécharger le rapport Presse & Environnement au format PDFLa dénonciation de pollutions est une seconde source de menaces pour les reporters
Les exemples ne manquent pas. – Au Congo, en 2008, des habitants du village de Mbodji se plaignent de l’accumulation de déchets et de boues de forage provenant du champ pétrolier voisin, exploité par l’entreprise italienne Eni Congo, à 60 km de Pointe-Noire. Alertée, Télé Pour Tous (TPT) se rend sur place et réalise un reportage. Aussitôt pleuvent pressions et menaces des autorités locales. Mais, cette fois, la foule se mobilise en faveur des journalistes. Finalement, des échantillons de boues sont prélevés « pour expertise en laboratoire ». On attend toujours les résultats de ces analyses. – En Chine, Wu Lihong a été condamné à trois ans de prison pour avoir alerté les médias chinois et internationaux de la pollution qui frappe le lac Taihu, le troisième plus grand de Chine. Il dénonçait sur Internet l’asphyxie du lac par des rejets industriels sauvages. En 2005, le Département de la propagande, en charge de la censure, a attendu dix jours avant d’autoriser la presse à évoquer la pollution au benzène de la rivière Songhua, mettant la vie de millions de riverains en danger.Des risques qu’il y a à défendre les zones naturelles protégées
– Mikhaïl Beketov est journaliste à Khimki, dans la proche banlieue de Moscou. Il dénonce depuis longtemps les autorités locales et s’est bâti une réputation de défenseur de la forêt de Khimki, menacée par un projet de construction d’une voie rapide reliant Moscou à Saint-Pétersbourg. En mai 2007, sa voiture est incendiée par des inconnus. En février 2008, il tombe sous le coup d’une instruction judiciaire. Début novembre 2008, il prépare une lettre-pétition à l’intention des autorités russes, signée par les habitants de Khimki opposés à la destruction de la forêt. Il n’a pas le temps de la poster : le 13 novembre, des inconnus le battent à mort, croient-ils. Après plusieurs jours de coma, le journaliste survit, amputé d’une jambe et de plusieurs doigs. Le 19 janvier dernier, l’un de ses avocats, Me Stanislas Markelov, est assassiné en plein coeur de Moscou. Novaïa Gazeta publie la lettre de Mikhaïl Beketov dans son édition du 18 février 2009. Mais les habitants de Khimki ne verront jamais ce journal : un inconnu a acheté tous les numéros avant leur distribution. Le maire de Khimki, Victor Streltchenko, artisan du projet immobilier auquel s’oppose Mikhaïl Beketov, a été réélu en mars 2009. – Pour plus d’infos, télécharger le rapport Presse & Environnement au format PDF100 photos de Nature pour la liberté de la presse
Depuis près de 25 ans, Reporters sans frontières oeuvre au quotidien pour défendre la liberté de la presse. Sans une presse libre et indépendante, aucun combat ne peut être entendu. L’environnement ne fait pas exception. Déjà en 2002, le prix Reporters sans frontières avait été attribué à Grigory Pasko, un journaliste russe emprisonné pour avoir filmé des militaires de son pays en train de déverser des déchets radioactifs dans la mer du Japon. Aujourd’hui, les enjeux écologiques sont immenses, et la liste des entraves à la liberté des défenseurs de la planète, de plus en plus longue. Dans les pays autoritaires, les journalistes sont aux avant-postes d’une nouvelle ligne de front, souvent inquiétés, parfois menacés de mort ou jetés en prison pour avoir enquêté sur des sujets liés à l’environnement. Les violences qu’ils subissent nous concernent tous. Elles sont le reflet de nouveaux enjeux politiques et stratégiques. C’est pourquoi Reporters sans frontières s’associe aujourd’hui à Minden Pictures, une agence reconnue pour la qualité exceptionnelle de ses photos de faune et de nature. À travers “100 photographies de Nature pour la liberté de la presse”, l’organisation souhaite sensibiliser à l’urgence écologique. Un combat vain sans une presse libre. Cet album témoigne de la beauté de notre planète tout autant que de son fragile équilibre. De nombreux acteurs de la défense de l’environnement ont apporté leur soutien : une préface signée par Nicolas Hulot, ainsi qu’un long entretien avec Jane Goodall, primatologue et Messager des Nations Unies pour la paix, dont les travaux ont profondément transformé les rapports Homme-Animal. Cet album est mis en vente à partir d’aujourd’hui, jeudi 17 septembre, au prix unique de 9,90 €, chez tous les marchands de journaux, librairies et sur Cdurable.info :