Le secteur des transports est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France et la route en est la principale cause. Utilisée massivement par les Français dans leur vie quotidienne, la route ne pourra pas être remplacée du jour au lendemain, si tant est que ce soit possible. Il est toutefois envisageable de faire évoluer les pratiques pour en réduire drastiquement son empreinte carbone, et ainsi se donner une chance d’atteindre les objectifs écologiques ambitieux que s’est fixé la France.
« La route, par sa place centrale dans les mobilités, doit être pensée comme un acteur de la transition écologique », a affirmé le ministre délégué en charge des Transports Clément Beaune, à l’occasion d’un colloque coorganisé par Vinci Autoroutes, la revue L’Hémicycle, la Fabrique Écologique et Mobilettre, le 31 janvier dernier. Cet évènement, auquel ont participé des experts de la mobilité, des chercheurs et des politiques, a été l’occasion de montrer à quel point les infrastructures routières sont restées pendant longtemps un « impensé » de la transition écologique, alors qu’elles sont au cœur du quotidien des Français.
Cependant, le colloque a aussi et surtout permis de montrer que les idées ne manquent pas pour décarboner la route. Qu’il s’agisse du développement des transports collectifs et du co-voiturage, de la multiplication des bornes de recharge électrique, ou du développement de la multimodalité, toutes ces initiatives permettent de réduire les émissions de GES du secteur.
La voiture, outil privilégié de la décarbonation des transports
En France, 85 % des déplacements en voiture se font avec une seule personne dans l’habitacle (« autosolisme »), et souvent pour des trajets courts (quelques kilomètres à peine). Bien sûr, pour les petits trajets, souvent réalisés en zone urbaine, les alternatives possibles sont évidentes : marche à pied, vélo, transports en commun. Mais pour les trajets en zone rurale ou périurbaine, le défi est beaucoup plus compliqué à relever, car il n’existe, en pratique, aucune alternative ou presque à la voiture individuelle. « Beaucoup de gens sont extrêmement dépendants de leur voiture », expliquait François Gemenne, géopolitologue et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à l’occasion du colloque du 31 janvier. « En France, les logements périurbains ont été pensés pour la voiture ». La résolution du problème passe, en grande partie, par une décarbonation des véhicules thermiques. Selon un sondage réalisé par IPSOS, 90 % des Français ont déclaré vouloir réduire l’impact écologique de leurs déplacements quotidiens, mais seulement un répondant sur cinq a indiqué avoir l’intention d’acquérir un véhicule électrique dans les cinq prochaines années. Les freins à l’achat sont connus : outre le prix et l’autonomie des batteries, le manque de stations de recharge ressort le plus souvent dans les sondages sur le sujet. François Roudier, porte-parole de la Plateforme automobile, confirme que « le gros problème de l’électrique n’est pas chez les constructeurs, mais dans les infrastructures ». Même son de cloche du côté de l’association Avere, qui estime qu’il est « primordial de prévoir assez de points de recharge pour ravitailler l’ensemble des véhicules électriques », mais insiste surtout sur « la qualité de service » et sur le fait que « ces infrastructures doivent être placées au bon endroit et à la bonne puissance ». L’Etat s’était fixé un objectif de 100 000 points de recharge installés partout en France pour la fin 2022. « Nous n’y sommes pas encore », observe Clément Molizon, délégué général d’Avere-France. « Au 31 décembre, on comptait 82.107 points de recharge. […] Mais la dynamique engagée est importante. On a installé en deux ans ce qu’on aurait auparavant installé en dix ans ». Une dynamique également constatée sur les autoroutes concédées. « 70 % des aires de services du réseau autoroutier ont des bornes de recharge rapides ou ultrarapides », détaille Christophe Hug, directeur général adjoint de Vinci Autoroutes, à l’occasion du colloque. « Nous visons les 100 % fin 2023 ». Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, a déclaré que tout allait être fait pour continuer à « investir dans le réseau routier, notamment pour l’électrifier ». C’est une bonne nouvelle, car l’aide des pouvoirs publics sera effectivement indispensable. Le raccordement par Enedis peut s’avérer très coûteux et les pouvoirs publics n’ont peut-être pas tout à fait pris la mesure de l’ampleur de la tâche. Avec seulement 100 millions d’euros investis en faveur des bornes électriques en France, contre 2 milliards en Allemagne, l’État va devoir rapidement mettre la main au portefeuille s’il souhaite soutenir efficacement les mobilités électriques. Qu’elle soit thermique (pour l’heure) ou électrique, la voiture restera un acteur incontournable pour penser les politiques de transport. La décarbonation de la route devra aussi passer par le développement de nouveaux usages, notamment collectifs : transports en commun, co-voiturage, report modal… Autant de nouvelles pratiques à développer qui réduiront davantage l’empreinte carbone du secteur.Vers un transport routier écoresponsable
Les autoroutes françaises, qui sont majoritairement concédées, disposent de millions de kilomètres de voiries en très bon état. Elles représentent donc l’infrastructure idéale pour mettre en pratique des usages routiers écoresponsables et des alternatives à la voiture individuelle. La Convention citoyenne pour le Climat avait par exemple proposé de réserver des voies aux véhicules partagés ou à faible émission, une solution que Grenoble a mis en œuvre sur l’A48. De son côté, André Broto, expert des questions de mobilité routière et ancien directeur de la stratégie de Vinci Autoroutes, a affirmé, à l’occasion du colloque du 31 janvier dernier, qu’on ne pourra « pas se passer des routes et des autoroutes ». Il propose donc la mise en place de milliers de gares routières, « par exemple aux entrées des autoroutes : on y trouverait un bouquet de services, avec des autocars […], du covoiturage, des « cars Macron », des taxis… ». Le résultat attendu serait une décarbonation importante des déplacements du quotidien. La mise en place de ces transports collectifs entre aussi en résonance avec des questions sociales. « La route doit préserver l’égalité entre les territoires », a rappelé lors du colloque Lucile Schmid, cofondatrice de la Fabrique écologique, un think tank spécialisé dans les questions environnementales. « Comment fait-on pour desservir de manière correcte des petites villes si les emplois sont désormais relocalisés ? Comment organise-t-on des infrastructures qui correspondent à la vie de demain ? ». La réponse pourrait se trouver du côté de la multimodalité, c’est-à-dire en améliorant les passages entre voiture individuelle et transports collectifs, qu’ils soient routiers ou ferroviaires. « La route est l’outil de proximité et de mobilité le plus important. Mais nous devons accélérer le report modal », a confirmé Clément Beaune. « Pour faire le dernier kilomètre, il n’y a guère que la route qui rende ce service de la mobilité du quotidien ». Mais la route ne doit plus être, pour le ministre, le « seul maillon » de la chaîne, et devenir « complémentaire des autres modes de transports ». Cette multimodalité sera d’autant plus essentielle aux classes populaires, qui ne pourront pas forcément s’offrir un véhicule électrique au cours des toutes prochaines années. Des classes populaires souvent plus éloignées des centres urbains et qui sont par conséquent plus dépendantes de leur voiture. Que ce soit donc pour renforcer la cohésion des territoires ou pour réduire l’empreinte carbone des infrastructures de transport, le développement d’une route plus durable est une véritable nécessité. Les acteurs privés et les pouvoirs publics devront poursuivre sur la voie engagée et redoubler d’efforts pour favoriser des pratiques innovantes et moins émettrices en carbone. C’est indispensable si la France souhaite atteindre ses objectifs climatiques.