Enjeu économique, social, environnemental et politique majeur, la mobilité durable dans les territoires à faible densité de population demande une réflexion urgente et spécifique afin d’éviter que l’écart avec les agglomérations ne se creuse et de combattre le sentiment d’isolement. Les territoires ruraux et périurbains sont pourtant des lieux d’innovation dans le domaine de la mobilité mais pour que les initiatives s’étendent et se généralisent, il est nécessaire d’y consacrer attention, énergie et moyens. Dans cette nouvelle note, les experts de La Fabrique Écologique proposent trois pistes concrètes pour une mobilité durable dans les territoires peu denses répondant aux enjeux écologiques mais aussi aux besoins des citoyens.
Synthèse
La mobilité dans les territoires à faible densité de population est en train de devenir un enjeu majeur. L’écart entre les agglomérations denses et le reste du territoire, où vivent plus d’un Français sur trois (soit plus de 22 millions d’habitants), se creuse. Confrontés à la raréfaction et à l’éloignement des services de la vie quotidienne et des bassins d’emplois, difficilement desservis par les transports en commun, les territoires peu denses n’ont pas accès aux évolutions et dynamiques extrêmement rapides de l’offre de mobilité. Ce constat soulève d’importantes questions sociales. La mobilité est une condition nécessaire à l’inclusion sociale, mais elle a aussi tendance à devenir une injonction pouvant s’avérer insoutenable (ménages sans voiture, vulnérabilité économique, écologique et sociale, seniors, etc.). Face à la rareté énergétique et à la lutte contre le changement climatique, et pour mieux répondre aux besoins, de nombreuses initiatives innovantes se développent, y compris dans les territoires à faible densité. Ils constituent en la matière des lieux d’innovation féconds et inédits. Mais les solutions ont du mal à s’étendre et à se généraliser. Il est important d’y consacrer attention, énergie et moyens. Cette note a pour objectif de montrer qu’agir au profit d’un système de mobilité plus compatible avec la transition énergétique et écologique et correspondant aux besoins est possible. Elle propose trois pistes concrètes pour une mobilité durable dans les territoires peu denses : – 1) Redonner au vélo une place cohérente et organisée dans les solutions de mobilité dans les territoires peu denses. Il s’agit de mettre en place une planification systématique de réseaux cyclables « malins », sécurisés et efficaces en modérant les vitesses de circulation dans le périurbain et en aménageant les itinéraires dans les espaces ruraux. Le but est de développer l’utilisation du vélo, à moindre coût, dans ces territoires où son faible usage s’explique surtout par un déficit d’offre en infrastructures et services. – 2) Pour les déplacements plus longs, la voiture partagée est l’avenir de la mobilité durable dans les territoires peu denses, là où les moyens de transports collectifs traditionnels sont trop coûteux à mettre en place. Avec un gisement de demande se situant entre 2 et 3 millions de ménages, c’est un marché d’avenir, à certaines conditions : que le covoiturage quotidien soit délesté d’une réglementation trop dissuasive pour les conducteurs au plan économique et que l’autopartage fasse l’objet d’une véritable commande publique. – 3) Repenser la gouvernance des mobilités dans les territoires peu denses : pour s’adapter et relever le défi des mobilités, les collectivités des territoires peu denses doivent repenser les modalités d’application de leurs compétences et l’affectation de leurs budgets. Il s’agit notamment de recourir à des outils de coordination entre collectivités, de repenser les modes d’animation et de contractualisation territoriales avec les nouveaux acteurs des mobilités comme avec les acteurs de la vie courante (mairies, centres sociaux, associations, employeurs, garages, etc.), et de consacrer aux nouvelles solutions de mobilité une partie significative du budget transport disponible. Cette note est issue des travaux d’un groupe de réflexion réuni dans le cadre de La Fabrique Ecologique entre avril 2015 et avril 2016.Signataires
– Marc Fontanès, président du groupe de travail, expert en mobilité durable, cabinet Auxilia – Elisa Desgranges, chargé de développement, Koolicar – Joseph D’halluin, chargé d’études au Réseau des départements et régions cyclables – Jean-Luc di Paola Galloni, directeur du développement durable et des affaires publiques, Groupe Valeo – François Ferrieux, président d’honneur du Syndicat mixte des transports collectifs de l’Oise (SMTCO) et président du Club de la « mobilité courante » – Camille Rabineau Le Bris, urbaniste, conseillère municipale d’opposition à Antony (92) Olivier Paul-Dubois-Taine, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées – Axel Villareal, chercheur associé au Groupe d’études et de recherches permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (GERPISA) – Audrey Berry, rapporteure et co-rédactrice de la note, doctorante en économie au CIRED – Agathe Brenguier, rapporteure, chargée d’études au sein du cabinet Nomadeis Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, seuls les signataires de la note sont engagés par son contenu. Leurs déclarations d’intérêts sont disponibles sur demande écrite adressée à l’association. Autre membre du groupe de travail • Frédéric Héran, maître de conférences à l’Université de Lille et chercheur au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE) Personnes auditionnées dans le cadre de ces travaux • Gilles Aboucaya, chargé d’études modes actifs au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) • Bruno Marzloff, sociologue, fondateur du cabinet Chronos • Camille Thomé, directrice du Réseau des départements et régions cyclables • Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) Relecture Cette note a été discutée par le comité de lecture de La Fabrique Ecologique, composé de Guillaume Duval, Marianne Greenwood, Géraud Guibert, Catherine Husson-Traoré, Joël Roman, Guillaume Sainteny et Lucile Schmid. Elle a été relue et fait l’objet de suggestions de la part des personnalités suivantes : • Sandrine De-Boras, responsable innovation France TRANSDEV • Frédéric DELAVAL, président Greenovia et de Mobigreen, directeur du projet prioritaire commun de logistique urbaine La Poste • Gilles Savary, député de la Gironde Elle a enfin été validée par le Conseil d’administration de La Fabrique Ecologique. Conformément aux règles de La Fabrique Ecologique, cette publication sera mise en ligne jusqu’à la fin du mois de septembre sur le site de l’association afin de recueillir l’avis et les propositions des internautes. Sa version définitive sera publiée en octobre 2016.Sommaire
Synthèse Introduction I. Des territoires confrontés à des défis majeurs de mobilité – A. Pourquoi s’intéresser aux territoires peu denses quand on parle de mobilité ?- 1. Une définition floue, pour des territoires tout sauf urbains
- 2. Plus de distances, moins de moyens et de services
- 3. Vers des inégalités sociales exacerbées
- 1. Vers une autre ère du transport collectif
- 2. Un monde de la mobilité en ébullition, mais des changements qui serviront d’abord la ville dense
- 1. Un déplacement sur deux en territoires peu denses fait moins de 5 km, et autres chiffres favorables au vélo
- 2. Une erreur de diagnostic, un potentiel important
- 3. Trois exemples très pragmatiques
- 4. Des aménagements malins et des vitesses modérées pour faire du vélo un vrai mode de transport.
- 1. Un gisement considérable pour le véhicule en partage
- 2. La voiture (partagée) à l’usage et non plus à l’achat : de nouveaux débouchés pour la filière automobile
- 3. Structurer une offre (publique ?) de mobilité partagée en milieux peu denses : un défi.
- 1. Comment les collectivités peuvent-elles s’adapter ?
- 2. Impliquer d’autres acteurs pour favoriser des réponses de proximité ….
- 3. Faire évoluer la fiscalité automobile vers une fiscalité de la possession..
Introduction
Les questions de mobilité dans les territoires à faible densité de population sont jusqu’à présent peu ou mal traitées dans le débat public français et européen. C’est pourtant un sujet essentiel. Loin des clichés habituels sur la qualité de la vie à la campagne, véhiculés souvent par les propriétaires des résidences secondaires, les évolutions multiples de la dernière décennie ont beaucoup accru le sentiment d’isolement voire de relégation des habitants de ces régions. Celui-ci est d’autant plus ressenti qu’Internet met dorénavant à portée de clic une conversation à l’autre bout de la terre, alors qu’il est de plus en plus difficile pour une personne âgée en milieu rural de se déplacer pour faire ses courses ou aller voir le médecin. Accueillant plus d’un Français sur trois, voire deux sur trois selon certaines analyses[[C’est notamment la lecture qu’en donne le géographe Christophe Guilluy dans son ouvrage La France périphérique, 2014]], confrontés à la raréfaction et à l’éloignement des services de la vie quotidienne et des bassins d’emplois, les territoires ruraux et péri-urbains peu denses sont sur-motorisés et très dépendants de l’automobile. La mobilité y est devenue un enjeu sociétal, dans de multiples domaines : le développement économique, l’accès à l’emploi, l’inclusion sociale, l’autonomie, l’accès aux services publics, l’environnement. Le constat est pourtant manifeste : les évolutions et les dynamiques extrêmement rapides autour des mobilités s’appliquent principalement aux agglomérations denses. Faisant face à des défis inédits tels que le vieillissement de la population ou l’inégalité d’accès à internet et aux services numériques, ces territoires risquent de subir des phénomènes d’enclavement de plus en plus marqués. Convaincus que les territoires à faible densité constituent des lieux d’innovation féconds et inédits en matière de mobilité, nous avons souhaité, à partir de quelques angles de réflexion resserrés (vélo, véhicule en partage, gouvernance), montrer qu’il est possible d’agir à grande échelle au profit d’un système de mobilité plus compatible avec la transition énergétique et écologique. De nombreux acteurs sont susceptibles d’intervenir et d’agir sur ces sujets. Il est cependant essentiel de souligner d’emblée que l’implication des collectivités locales et territoriales est déterminante. Elles sont les seuls acteurs en mesure d’apporter des solutions à grande échelle aux besoins qui se font jour. Elles peuvent le faire avec leurs moyens actuels et voir dans la nécessaire adaptation aux ruptures en cours une opportunité d’innover. Cette note a été enfin volontairement limitée à la seule mobilité quotidienne. Elle n’aborde pas les mécanismes socio-économiques (métropolisation, coût de l’immobilier, habitat proche de la nature, etc.), ni la politique d’aménagement du territoire qui ont conduit à une urbanisation partielle et désordonnée de certains territoires ruraux et à l’accroissement des enjeux sociaux de la mobilité.[[Une approche plus systémique conduirait, selon certains auteurs, à relativiser les difficultés sociales engendrées par ces évolutions, à partir d’une analyse comparative de la qualité du cadre de vie. Celle-ci doit en effet combiner – à revenu comparable – de multiples facteurs comme l’espace disponible, les relations de proximité et le coût de la vie quotidienne dont la mobilité n’est qu’un des facteurs. Cf. Jean Viard, Nouveau portrait de la France – la société des modes de vie – janvier 2012 ; Laurent Davezies – La crise qui vient – la nouvelle fracture du territoire – novembre 2012 ; Vincent Kaufmann – Réhabiliter le périurbain – septembre 2013]]Note
– Télécharger la note « Les territoires ruraux et périurbains, terres d’innovation pour la mobilité durable«