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Les Défricheurs : voyage dans la France qui innove vraiment

Bien plus de Français qu’on ne l’imagine vivent déjà selon une échelle des valeurs différente de celle qu’impose la société actuelle. Plus ou moins radicalement, ils se sont détachés du modèle productiviste et consumériste qui nous étouffe. Guidés par un idéal lesté de pragmatisme, ces défricheurs d’un monde nouveau expérimentent et innovent dans des champs fort divers. Certains, en rupture franche avec la société, vivent dans des yourtes ou dans des habitats légers.

D’autres, à l’opposé, sont des « alterentrepreneurs » qui se fraient un chemin exigeant, socialement et écologiquement, dans l’économie de marché. Et le champ des expérimentations est vaste : agriculture paysanne et circuits de proximité, écovillages et habitats partagés, renouveau coopératif et solidarité inventive, éducation populaire et écoles alternatives. C’est cette richesse et cette diversité que révèle ce livre, fruit d’une vaste enquête qui s’est déroulée pendant près de deux ans dans une dizaine de régions. L’auteur a recueilli de très nombreux témoignages et réflexions des acteurs de ce mouvement social invisible, souvent surprenants, toujours passionnants. L’ouvrage s’interroge enfin sur le sens de ce fourmillement d’initiatives. De très nombreux défricheurs rencontrés rejettent la politique, mais l’utopie concrète qu’ils vivent a bel et bien un sens politique. Pour autant, le changement social peut-il naître de l’essaimage d’alternatives locales ? Et, au-delà de la convergence vers des valeurs écologiques et sociales qui caractérise cette mouvance, comment définir la postmodernité à laquelle de plus en plus de gens aspirent ? Éric Dupin, journaliste et essayiste, collabore actuellement au Monde diplomatique et à Slate.fr. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrage, dont Voyages en France (Seuil, 2011). Références : Les Défricheurs, voyage dans la France qui innove vraiment de Eric Dupin – Editions La Découverte – Date de parution : septembre 2014 – 262 pages – ISBN : 9782707185020 – Prix : 12,99 €

Sommaire

I / La galaxie des expérimentateurs 1. Les nouveaux dissidents – La « Nef des fous » des Alpes-de-Haute-Provence – Une ferme autogérée dans les Alpes-Maritimes – Charpentiers indépendantistes en Dordogne – Le peuple des yourtes – Le paradis perdu des « yourteurs » de Terre du Cinoble – Choisi ou subi ? – De la communauté à la coopérative : l’expérience de Longo Maï 2. Les îlots verts – Éourres (Hautes-Alpes) : un vrai village – Un moulin collectif en Haute-Vienne – L’écohameau chrétien de La Bussière-sur-Ouche (Côte-d’Or) – L’Oasis de Lentiourel, un lieu de paix en Aveyron – Écologie et collectif : Écolectif en Haute-Garonne – Réalisme et utopie à la ferme des Amanins (Drôme) – Le village coopératif du Viel Audon (Ardèche) – La pédagogie en actes de l’Écocentre du Périgord – Réalisations personnelles : quand des vies basculent… – Élitisme et rayonnement des expériences alternatives 3. Les écomilitants – Habitations atypiques – Militants de l’énergie – Laboureurs de terrain, dans le Tarn, le Var ou à Paris – L’étonnante pléiade des militants du local – Colibris engagés dans la transition – Écocentrismes, dans le Gers ou en Corrèze – Enracinement dans le territoire et convivialité 4. Les alterentrepreneurs – Les promoteurs d’innovations – Equiphoria, le cheval pour surmonter son handicap – Plantes aromatiques dans la Drôme, vin bio dans le Bordelais – Habitats écologiques – Biovallée (Drôme) et Écossolies (Nantes), pour stimuler la société civile – Créer son propre emploi – Idéalisme et sérieux II / Le bouquet des innovations 5. Les nouveaux paysans – Conversions bio – Reconversions agricoles – Fermes écologiques, de la Drôme à l’Hérault – Difficultés agricoles – Biodynamie et agroforesterie – La guerre de la semence : le combat de Kokopelli 6. La solidarité inventive – Libres échanges et monnaies locales – Rebond par recyclage – Isère, Savoie, Drôme : solidarités militantes – Des jardins conviviaux, de l’Île-de-France au Var et à l’Isère – Les limites de l’économie de la débrouille 7. Les cohabitations choisies – Lieux partagés – Du Château partagé à la Maison mosaïque : épreuves endurées – Risques d’usure, de la Viorne (Isère) aux Mûriers (Rhône) – Projets naissants en Rhône-Alpes – Projets en devenir – Militants de l’habitat 8. Apprendre autrement – Les pédagogies alternatives des écoles Montessori et Steiner – Écoles aux champs, en Ardèche et en Savoie – Innovations rurales : le Petit Monde et La Marelle – Les héritages difficiles de l’« éducation populaire » – Alternatives culturelles dans le Gers – Enjeu global, risque de l’élitisme 9. Les espoirs de la social-économie – Succès autogérés : des tondeurs de moutons d’Ardelaine (Ardèche)… – …aux scieurs de bois d’Ambiance Bois (Creuse) – Acome et Scopelec, des coopératives d’envergure – Mateloc et Ceralep : l’entreprise reprise par ses salariés – L’essor discret des coopératives d’entrepreneurs – Argent solidaire : financements alternatifs et monnaies locales – Dynamisme coopératif : les promesses de l’économie sociale et solidaire 10. Changer sa vie – La conscience du ventre – La saga des AMAP – Épicerie bio et auto-alimentation – Consommation responsable et collaborative – Prendre soin de soi – Thérapies alternatives III / L’utopie concrète 11. La vraie postmodernité – L’humilité intellectuelle de Pierre Rabhi – Montrer l’exemple avant l’écroulement du système – Séduction de la décroissance – Entre le fondamentalisme et la récupération 12. Le changement par les îlots – Limites de l’écologisme politique – Écologisme radical – La transition amorcée ? L’exemple des Colibris – Expérimentation de la sociocratie et de l’holacratie – Construire un débat, écrire une Constitution Conclusion. Un mouvement en gestation – L’émergence des « révolutions tranquilles » – Un mouvement social inconscient – Une nouvelle élite – Demain, deux mondes parallèles ? – Radicalité et pragmatisme : les défis de la « transition citoyenne » – Vers un mouvement convivialiste.

Extrait : Un continent méconnu

Introduction par Eric Dupin
Les Défricheurs de Eric Dupin - Editions La Découverte
Les Défricheurs de Eric Dupin – Editions La Découverte
Changer de vie ici et maintenant, sans attendre des lendemains qui tardent trop à chanter, sans plus croire aux promesses politiques : telle est la boussole des citoyens d’une autre France, étonnamment méconnue. De plus en plus nombreux, ils vivent en rupture avec les valeurs dominantes de notre société. Avec plus ou moins de radicalité, ils se sont détachés du consumérisme frénétique, du productivisme impérieux et de la stressante compétition sociale qui régissent le plus grand nombre. Mais cette France qui vit autrement ne se définit pas seulement, ni même principalement, par son rejet d’un système fou et par son refus des conditionnements qui en assurent la reproduction. Elle est engagée dans une démarche résolument positive. De mille et une manières, elle s’emploie à innover, à expérimenter de nouvelles façons de vivre, de consommer ou de produire. C’est en ce sens que l’on peut parler de « défricheurs » d’un autre monde encore en pointillé. Leurs projets ont l’ambition de traduire en réalisations concrètes de modernes utopies qui renouent parfois avec d’anciennes aspirations – tout simplement la quête d’une vie saine. L’univers bigarré d’une autre France Ce livre se propose de faire mieux connaître cet univers bigarré, composé de personnes qui entretiennent des rapports extrêmement divers à la société. À la pointe de cette mouvance, se situent ceux qui s’affirment en rupture claire et nette avec les modes de vie et de pensée dominants. Ces nouveaux dissidents mettent en pratique, à leur manière, une forme de « décroissance » : ils vivent frugalement dans des « habitats légers » ou des « lieux alternatifs ». Certes, ce noyau radical reste limité : quelques milliers seulement de personnes habitent dans des yourtes en France ; et si les « écovillages » et « lieux alternatifs » se multiplient, ils n’agrègent encore qu’une fraction minime de la population. Et pourtant, le mensuel La Décroissance, créé en 2004, dont les positions sont loin de faire l’unanimité au sein de cette mouvance, n’en est pas moins diffusé à quelque 20 000 exemplaires dix ans plus tard. Une deuxième strate est composée de défricheurs qui, sans être en rupture franche avec la société, interviennent sur ses marges et à rebours de sa logique dominante. Ceux-là œuvrent dans l’économie sociale et solidaire, les circuits de consommation courts, l’agriculture vraiment biologique, l’habitat partagé ou encore l’éducation populaire. Cette sphère est déjà plus large. Le nombre de personnes engagées dans les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), créées en 2001, donne une idée de l’ampleur prise, en peu d’années, par les manifestations de consommation alternative : on en comptait, en 2012, plus de 1 600 qui rassemblaient 50 000 familles et près de 200 000 consommateurs [[Données du Mouvement interrégional des AMAP (MIRAMAP).]]. Selon le ministère de l’Agriculture, le nombre de fermes concernées par la commercialisation en circuit court serait de 80 000 et représenterait quelque 15 % des exploitations agricoles françaises. L’habitat partagé se développe également, même s’il reste très limité : quelque deux cents projets engagés selon une estimation datant de 2012. Le renouveau du mouvement coopératif est encore révélateur de la mutation en cours. À la fin 2012, on recensait 2 165 sociétés coopératives dans lesquelles travaillaient 43 860 salariés [[Statistiques de la Confédération générale des Scop.]]. Leur nombre s’est accru de 15 % en quatre ans. L’agriculture « bio » progresse lentement mais sûrement : fin 2012, la France comptait 24 425 exploitations agricoles engagées en bio, soit 4,7 % des exploitations françaises [[AGENCE FRANÇAISE POUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA PROMOTION DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE, « La Bio en France au 31 décembre 2012 ».]]. Ces surfaces représentaient, fin 2012, plus de 3,8 % de la surface agricole, contre 3,5 % en 2011 et 2 % en 2007. Là encore, les progrès enregistrés ne sauraient masquer le caractère très minoritaire de ces nouvelles pratiques. Il n’empêche que tous ces défricheurs ont un impact croissant dans l’opinion. Ils entrent en résonance avec une sensibilité de plus en plus partagée, que l’on a pu rassembler derrière le vocable de « créatifs culturels ». Privilégiant la coopération sur la compétition, l’être sur le paraître, la connaissance de soi sur la domination des autres, ceux-ci représenteraient quelque 17 % de la population française selon une enquête publiée en 2006 [[ASSOCIATION POUR LA BIODIVERSITÉ CULTURELLE, Les Créatifs culturels en France, Yves Michel, Gap, 2006.]]. Le champ de notre enquête est ainsi très vaste. Il y a un monde entre des « décroissants » qui vivent dans la « simplicité volontaire » et des entrepreneurs qui investissent leur énergie dans le collectif d’une coopérative. Les résidents des écovillages ne se confondent pas avec ceux qui sont engagés dans l’économie solidaire. L’habitat partagé est un univers bien différent de celui de l’agriculture biologique. Les écoles alternatives ne sont pas de même nature que le « travail sur soi » auquel s’attachent de plus en plus de personnes, ce qui les amène parfois à rompre avec les conditionnements ambiants. En caricaturant, on pourrait dire que ce livre balaie un large éventail qui va des « marginaux » soucieux d’agir positivement aux « bobos » qui s’efforcent, autant que faire se peut, de mettre leurs actes en cohérence avec leurs idées. Il serait inconvenant de mettre tout ce monde dans le même sac. Les démarches de ces défricheurs sont éminemment diverses. Les clivages entre radicaux et modérés qui traversent cette mouvance font écho au vieux débat entre révolutionnaires et réformistes du mouvement ouvrier, même si les termes en sont posés, on le verra, très différemment. Pour autant, il est frappant de constater que ces personnes, aussi dissemblables soient-elles, convergent vers des visions du monde relativement proches. Elles ont en commun de rejeter, même si c’est à des degrés divers, un système oppressant et manipulateur. Et d’explorer, de manière pragmatique, d’autres modes de vie, de nouvelles manières de travailler. L’écologie, entendue comme courant philosophique et non comme identité politique, est le cadre de pensée principal de cette mouvance. La figure de Pierre Rabhi, philosophe et promoteur infatigable de l’agroécologie, est la référence commune de la majorité de ceux que j’ai rencontrés. Ceux qui s’attachent à changer concrètement la société aujourd’hui sont d’abord des « écologistes », des personnes soucieuses de la préservation de la planète et du vivant. Encore s’agit-il là d’une écologie à coloration très sociale : la plupart des personnes que j’ai visitées sont indissociablement motivées par le respect de la nature et par la qualité des liens humains. C’est ce qui explique les rapports noués entre réalisations écologiques et économie sociale. La caricature du « bobo écolo », privilégié, égoïste et indifférent à la misère, est étrangère au champ de cette enquête. Les défricheurs sont encore mus par un puissant désir d’autonomie. Ils veulent que leurs réalisations échappent, autant qu’il est possible, aux lourdes contraintes imposées par les structures économiques et sociales, même si le concours de la puissance publique, notamment des collectivités locales, est parfois sollicité. L’aspiration à reprendre le contrôle de son existence est ici centrale. Poussée à un certain stade, cette caractéristique peut se traduire par un deuxième type de référence idéologique, cette fois proche de l’autogestion ou de l’anarchie. Les secteurs les plus radicaux sont attirés par ces anciens courants d’idées qui pourraient bien retrouver une nouvelle jeunesse. Mais, là encore, le purisme idéologique est loin d’obséder nos défricheurs. Ils naviguent sans difficultés apparentes entre des références hétéroclites en privilégiant avant tout le faire sur le dire. Enquête de terrain L’idée de ce livre est née d’un de mes précédents ouvrages. Au cours de mon exploration, au petit bonheur la chance, de la société française dans Voyages en France 5, j’avais été surpris de constater qu’un nombre important de gens vivaient en rupture avec les valeurs dominantes. J’avais également été frappé par la vitalité de cette nouvelle marginalité. Celle-ci ne rassemble pas seulement des « blessés de la vie ». Elle est aussi et surtout vécue par des personnes qui font des choix de vie courageux. Certaines épreuves de l’existence peuvent certes conduire à des reconversions professionnelles et à des changements de vie radicaux. Mais il émane souvent de ces milieux « alternatifs » une espérance et une joie qui m’ont donné l’envie de les explorer dans un nouvel ouvrage. Reprenant mon bâton de pèlerin6, j’ai procédé à une enquête de terrain s’étalant sur une période allant d’octobre 2012 à avril 2014 [[Les témoignages recueillis dans ce livre décrivent les lieux et les faits tels qu’ils étaient au moment de ma visite. C’est pourquoi j’ai indiqué à chaque fois, en note, la date de celle-ci.]]. Je me suis rendu dans une dizaine de régions, de la Bretagne à la Provence en passant par Rhône-Alpes ou l’Aquitaine sans oublier la région parisienne où je réside. Innombrables sont les initiatives qui étaient susceptibles de m’intéresser tant les réalisations remarquables fourmillent sur le territoire. Mais il était hors de question de prétendre toutes les visiter. J’ai ainsi choisi, pour des raisons autant écologiques que financières, de me limiter aux régions dans lesquelles celles-ci étaient les plus nombreuses. Car ces défricheurs sont assez inégalement répartis sur le territoire. Les alternatives diverses et variées sont incomparablement plus répandues dans le sud que dans le nord du pays. Certains départements sont très riches en la matière, comme l’Ardèche, la Drôme, la Loire-Atlantique ou encore le Gers, pour ne citer que certains de ceux que j’ai visités. Inversement, ce type de réalisations est plus rare dans le nord-est de la France et j’ai dû faire, à regret, l’impasse sur ces régions. Au total, j’ai rencontré quelque cent cinquante personnes. Si mon enquête ne prétend assurément pas à une quelconque exhaustivité, elle permet sans doute de brosser un portrait assez fidèle de cette mouvance dans sa diversité. Ces entretiens ont généralement duré longtemps, l’heure étant le format minimal. C’est que je cherchais, à la fois, à comprendre l’itinéraire de mes interlocuteurs, leurs motivations, tout en recueillant leurs réflexions sur le sens qu’ils attribuaient à leurs expériences. Ces entretiens se sont, la plupart du temps, déroulés dans un très agréable climat de confiance, pour ne pas parler de convivialité. Bien sûr, il a souvent fallu abattre d’abord quelques préventions. Ces défricheurs se méfient énormément des médias, assimilés à un système politique qu’ils réprouvent. De ce point de vue, ma qualité de journaliste politique a plutôt constitué un handicap. Qui plus est, je ne leur ai pas caché que mon intérêt réel pour ces démarches ne m’empêchait pas d’être étranger à leur univers. Ma culture politique d’origine n’est pas celle de l’écologie et mon mode de vie personnel n’a pas grand-chose d’alternatif. Au final, cette extériorité ne m’a pas autant desservi que j’aurais pu le craindre. Je n’ai pas eu à forcer ma nature pour manifester de l’empathie à l’endroit de ces idéalistes de notre temps. J’ai eu le loisir d’admirer sincèrement la cohérence qu’ils parviennent à assurer entre leurs paroles et leurs actes. Voilà qui change de tous les discours moralisateurs et hypocrites qui saturent l’espace politique et médiatique. Et quel plaisir de rencontrer des personnes positives, enthousiastes malgré des conditions de vie souvent spartiates ! Ce nouveau voyage m’a heureusement conduit aux antipodes du cynisme et de l’aigreur que l’on trouve trop souvent dans les milieux de la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne. Un mouvement invisible Au total, le nombre de réalisations originales se revendiquant de l’expérimentation sociale ou écologique est impressionnant. Comment expliquer que cette espèce de mouvement social potentiel demeure invisible ? Cette France qui vit autrement, innove dans le vrai sens du terme, explore les voies de ce que pourrait être la société de demain, n’apparaît que très peu dans les médias ou sur la scène publique. Plusieurs magazines de qualité rendent certes compte avec intelligence de cette mouvance [[Citons notamment L’Âge de faire, Kaizen, Passerelle Éco, Silence.]]. Mais ils s’adressent surtout à un public déjà engagé dans ces démarches. Les grands médias, de leur côté, se contentent, la plupart du temps, d’une approche folklorique ou pointilliste de cette autre France. Ils présenteront les gens qui vivent dans des yourtes comme de nouveaux Indiens, à la fois fort sympathiques et un peu dérangés. Ils seront plus attentifs aux nouveaux modes de consommation, dits collaboratifs, et aux diverses recettes promettant un « développement personnel » qu’à la portée proprement subversive des choix de vie alternatifs. Le sens profondément politique de toutes ces expérimentations leur échappe généralement. Encore les médias sont-ils loin d’être les seuls responsables de ce manque de visibilité des défricheurs. L’extrême diversité de cette mouvance ne favorise pas sa perception globale. Pour convergentes qu’elles puissent être, ces expériences demeurent en effet terriblement émiettées : chacun expérimente et innove dans son coin. En dépit des facilités offertes par Internet, la mise en réseau de toutes ces initiatives reste très balbutiante. Le mouvement Colibris, inspiré par les idées de Pierre Rabhi, s’y efforce et son site rassemble utilement un grand nombre d’expériences à travers la France. J’ai eu recours à cette recension pour mes enquêtes, tout en constatant avec surprise que beaucoup de personnes ainsi rencontrées ignoraient que d’autres « colibris » œuvraient à quelques kilomètres de chez elles… Fort occupés, celles et ceux qui changent leur vie sont parfois tentés de ne point trop se préoccuper du vaste monde. Ils privilégient l’implantation sur leur territoire. Ce localisme les expose à vivre dans leur propre univers et à négliger la communication avec l’extérieur. Cette tendance est favorisée par une méfiance, bien compréhensible, à l’égard des médias assimilés à un système rejeté. La France « alter » n’est pas en quête de publicité. Elle ne communie pas dans cette religion contemporaine de la communication dévotement pratiquée par les manipulateurs de tous poils. À l’extrême, elle s’en tient à la maxime : pour vivre heureux, vivons cachés. C’est pourquoi j’ai parfois dû déployer pas mal d’efforts pour convaincre certains défricheurs de témoigner de ce qu’ils faisaient et de ce qu’ils pensaient. Cet ouvrage est composé de trois parties. La première explore la galaxie des expérimentateurs : des « nouveaux dissidents », qui vivent en rupture avec la société, aux « alterentrepreneurs », qui innovent avec réalisme, le lecteur fera connaissance avec une belle variété d’itinéraires réjouissants. La deuxième partie présente le bouquet des innovations : elle rend compte de toute une série de réalisations dans divers domaines, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la solidarité, de l’habitation, de l’éducation ou encore de l’entreprise. La troisième partie s’interroge enfin sur le sens de l’utopie concrète dessinée par ces initiatives. Quelle postmodernité est susceptible de remplacer un modèle productiviste à bout de souffle ? Le changement social est-il possible par la multiplication et l’essaimage d’îlots alternatifs ? On le verra, la réponse à toutes ces questions est loin d’être simple. Je remercie chaleureusement toutes celles et tous ceux qui ont bien voulu me rencontrer, parfois longuement, pour me parler de leurs expériences.

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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