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Le défi du développement durable

par Raymond Leduc - adjoint au maire de Bouguenais (44)
Bonjour, Le texte ci-dessous est une réflexion. Elle est faite pour évoluer, après débat. Il a donc été posté sur la liste Médiaterre par son auteur Raymond Leduc adjoint au maire de Bouguenais (44) pour être critiqué. (Cdurable.info le publie en l’état pour élargir sa diffusion) Attention : il est long ! «Une recherche de l’expression « développement durable » sur la liste de discussion archi.fr, donne 145 résultats positifs en 2003 contre 238 en 2005. La progression est significative : si depuis plusieurs années le « développement durable » fait florès, ces derniers mois il est présent partout. Il n’est pas un parti politique, pas un aménageur, pas une grande entreprise qui ne s’en réclament. Le gouvernement de la France a un ministère qui en porte le nom et en a la charge. Plusieurs multinationales l’utilisent comme axe publicitaire. Le salon Batimat l’avait cette année choisi pour thème. On pourrait s’en réjouir si le message que veulent faire passer les uns et les autre était en adéquation avec le concept. Mais est-ce bien le cas? L’exposition universelle d’Aïchi 2005, entièrement consacrée aux « défis environnementaux » auxquels est confrontée la planète à « l’ère de la mondialisation et des nouvelles technologies », fut-elle réellement « un hymne à la technologie et au développement durable »? Que faut-il penser de la déclaration du président du Centre scientifique et technique du bâtiment sur le webzine de son organisation : « Notre grande ambition est le développement durable » ? Est-ce qu’on a réellement parlé de développement durable au congrès 2005 de l’Untec (les économistes de la construction), dont deux forums étaient intitulés « valeur ajoutée du développement durable » et « impact du développement durable sur la gestion des chantiers », ou au congrès du CNEAF (Collège National des Experts Architectes Français) dont les ateliers étaient consacrés aux matériaux, à la conception, à la mise en oeuvre, et à « l’environnement et au développement durable » ? Est-ce que la cheminée sans conduit, qui ne fonctionne pas au bois mais à l’alcool de betterave, est-ce que cette cheminée remarquée à Batimat 2005 est « durable »? Et la Mairie des Mureaux, premier bâtiment en France certifié « NF bâtiments tertiaires démarche HQE’ » est-elle plus ou moins durable que la tour de 120 mètres de haut et 30 millions d’euros (avec, tout en bas, un espace pédagogique et tout en haut… un restaurant panoramique) dessinée par Jean Nouvel pour la ville de Rouen où elle abritera un « Centre de la mer et du développement durable » ? Hélas, rien n’est moins sûr. La raison en est que la majorité des utilisateurs de la formule confondent, quelquefois sciemment, « développement durable » et politique environnementale. Quant aux organisations politiques, la plupart d’entre elles en récusent la pertinence, ou en refusent la perspective. C’est une erreur. Une erreur qui s’explique aisément. Mais une erreur qui pourrait bien réduire à néant les espoirs qui motivèrent ses inventeurs et ses développeurs. 1- L’origine de la définition La définition la plus communément admise du développement durable est celle donnée par la commission Brutland : « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » [[ Tous les documents auxquels il est fait référence sont consultables en ligne, soit sur le site de Agora 21, la plate-forme francophone d’information et de débats pour le développement durable (http://www.agora21.org), soit sur les sites de l’ONU (http://www.un.org/french/, http://www.unep.org/french/, http://www.undp.org/french/, http://www.fao.org/index_fr.htm, etc.)]] Qu’est-ce que la commission Brundtland ? Pour répondre à cette question, il faut se reporter aux décennies 1960 et 1970. Ces années là, l’économie mondiale montre une belle santé. La production de biens et de services croît partout, ou presque, et les emplois avec elle. Pourtant, dès 1966, René Dumont fait paraître « Nous allons à la famine ». En 1971, René Dubos et Barbara Ward lui font écho avec la publication de « Nous n’avons qu’une seule terre ». L’année suivante, le club de Rome diffuse un rapport, rédigé à sa demande par le MIT, dont le titre est « Halte à la croissance ». A la même époque, « Les amis de la terre » et « Greenpeace », mais aussi ENDA et Chipko se font connaître du grand public par des manifestations destinées à l’alerter sur la dégradation croissante de l’environnement. La communauté internationale s’alarma de ces dénonciations des conséquences, supposées négatives, de la croissance. En 1972, à Stockholm, les Nations Unies réunirent un sommet qui prit deux décisions : créer une organisation chargée spécifiquement des problèmes d’environnement (ce sera le PNUE) et confier à Gro Harlem Brundtland, ex premier ministre de Norvège, le soin de réunir une commission d’experts indépendante chargée d’établir un rapport sur cette question. Madame Brundtland composa un groupe de 23 membres, issus en majorité des PED (Soudan, Brésil, Nigéria, Zimbabwe, Yougoslavie, Algérie, Colombie, Indonésie, etc), venus de la politique, de l’économie, du syndicalisme ou de la diplomatie, et dont les compétences et l’expérience étaient indiscutables. Ses travaux durèrent trois années. Trois ans de collecte d’études, de rapports, de consultations d’experts. Trois ans de déplacements, de délibérations, d’auditions publiques d’organisations et de citoyens aux quatre coins du monde. A l’achèvement de leur mission, ses membres adoptèrent, à l’unanimité, le texte d’un rapport que leur présidente déposa sur le bureau des Nations Unies sous le titre « Our sustainable development » (traduit par Notre avenir à tous). Présenté devant l’assemblée générale des Nations Unies, à Genève, dès la session suivant son dépôt, ce rapport fut adopté à l’unanimité le 11 décembre 1987, dans une déclaration en 21 points. Ici, une première conclusion s’impose donc : la définition du développement durable donnée par Madame Brundtland est une définition officielle. Et cela est d’autant plus important que cette définition est à la fois plus longue et plus riche que ce que le grand public en connaît. 2- Le contenu de la définition La définition du développement durable énoncée par la commission Brundtland est donc, pour partie, la suivante : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »Vingt années après sa rédaction, bien peu de personnes savent qui en est l’auteur. Par contre, la formule est désormais connue du plus grand nombre. Et, bien sûr, on la retrouve imprimée sur d’innombrables pages de livres, feuilles de magasines, sites web et plaquettes d’organisations officielles. A l’inverse, il est très rare, pour ne pas dire rarissime, de la voir accompagnée de la phrase qui la suit pourtant immédiatement dans le rapport : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : 1- Le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et 2- l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » Et il est encore plus rare d’y voir accolé le point 5 de la déclaration des Nations Unies : « la recherche du développement soutenable doit inclure de préserver la paix, de rétablir la croissance et de changer sa qualité, de remédier aux problèmes de la pauvreté et de satisfaire aux besoins humains, de maîtriser la démographie, d’économiser et de mettre en valeur les ressources de base, de réorienter la technologie et de contrôler les risques, et de fusionner l’environnement et les sciences économiques dans la prise de décision. » Autrement dit, le développement durable, ce n’est pas la protection de l’environnement, c’est… du développement. Et pas n’importe lequel : c’est du développement humain. Mais il y a mieux. Le rapport Brundtland ajoute en effet que : « Des changements juridiques et institutionnels sont nécessaires afin de faire respecter l’intérêt commun […] À elle seule la loi ne suffit guère. Ce qu’il faut, c’est l’appui d’un public informé […] promouvoir les initiatives des citoyens, donner du pouvoir aux associations et renforcer la démocratie locale. Enfin, il conclut : Le développement soutenable exige les six éléments suivants : 1- un système politique qui assure la participation effective des citoyens à la prise de décisions ; 2- un système économique capable de dégager des excédents et de créer des compétences techniques sur une base soutenue et autonome ; 3- un système social capable de trouver des solutions aux tensions nées d’un développement déséquilibré ; 4- un système de production qui respecte l’obligation de préserver la base écologique en vue du développement, un système technologique toujours à l’affût de solutions nouvelles ; 5- un système international qui favorise des solutions soutenables en ce qui concerne les échanges et le financement, et ; 6- un système administratif souple capable de s’autocorriger.  » A quoi la déclaration des Nations Unies fait écho en recommandant « une nouvelle approche de la croissance économique, comme préalable essentiel à l’éradication de la pauvreté et pour valoriser les ressources essentielles dont les générations présentes et futures dépendent […] et la participation des organisations non gouvernementales, de l’industrie et de la communauté scientifique aux politiques nationales et internationales de développement durable. » A ce point, nous disposons donc d’une définition officielle très précise. Le développement durable c’est : 1- du développement, 2- le développement de l’homme, 3- un développement qui utilise toutes les ressources de la science et de la technologie, 4- un développement qui appelle de nouvelles formes de « gouvernance », et en particulier l’association à la fois des entreprises et des citoyens organisés (en syndicats, associations et autres regroupement) à la définition des choix et à la mise en oeuvre des politiques, 5- un développement qui ne détruise pas l’écosystème planétaire et qui préserve les ressources de la terre, aujourd’hui et demain. Par parenthèse, à ce point il est aussi possible de répondre aux question posées en introduction, en questionnant le maire des Mureaux et celui de Rouen, ou en interrogeant les visiteurs de Aïchi et les congressistes de l’UNTEC ou du CNEAF… Cela dit, pour s’en tenir au seul domaine de l’architecture et de l’urbanisme, on voit bien qu’en matière de développement durable l’urgence est moins de construire des bâtiments ou des lotissement répondant à toutes les normes HQE, que de réhabiliter les « quartiers » périphériques, et dans ces quartiers le parc des logements « énergétivores » construits avant les années 1990, car le coût de leur fonctionnement pèse d’abord sur les revenus des français les plus pauvres donc les plus éloignés du développement humain. Ce n’est qu’une parenthèse, mais elle permet d’affirmer au passage qu’un projet, quel qu’il soit, ne peut être inclus dans le champ du développement durable qu’à la condition d’avoir une dimension politique qui le relie d’une façon ou d’une autre au concept défini par les Nations Unies. La « cheminée sans conduit fonctionnant à l’alcool de betterave » n’est rien d’autre qu’une innovation technologique et ne sera jamais que cela. Une innovation dont on peut au demeurant douter de la pertinence si on songe à l’énergie consommée pour produire les betteraves… 3- La bonne fortune de la définition On dira que la définition « Bruntland » est déjà ancienne (le rapport de la commission fut adopté par l’assemblée générale des Nations Unies en 1987 rappelons-le) et qu’elle n’engage que ses auteurs. On dira cela et on aura raison : les concepts sont faits pour être critiqués, enrichis, reformulés. Celui-ci n’a pas échappé à la règle. Mais les débats auxquels il a donné lieu ne l’ont en rien dénaturé. Ils l’ont au contraire précisé. Au point que, huit années plus tard, la déclaration finale du sommet de la terre tenu à Rio de Janiero en 1992 reprend presque intégralement les conclusions du rapport de la commission. Qu’on en juge : l’homme est au centre (principe 1), l’élimination de la pauvreté constitue une condition indispensable du développement durable (principe 5), la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient (principe 10), les États devraient coopérer pour promouvoir un système économique international ouvert et favorable, propre à engendrer une croissance économique et un développement durable dans tous les pays (principe 12). Où en est-on dix-huit ans après « l’invention » du développement durable, et treize années après le premier sommet de la terre ? Aucun des postulats de départ n’a été invalidé. Au contraire, sommet mondial après sommet mondial, conférences régionales après conférences thématiques, colloques après colloques, tout ce que la planète compte d’acteurs intéressés par le concept, ses déclinaisons et ses implications, est engagé dans un énorme travail d’enrichissement à la fois intellectuel et opérationnel qui porte sur l’équité, la justice, mais aussi la production, la consommation, et bien sûr l’environnement. C’est ainsi que l’ONU a inventé un indice, l’indice du développement humain, réactualisé tous les ans, qui fixe dans l’opérationnel des objectifs qui sinon resteraient à la fois irréels et verbeux. C’est ainsi encore que tous les sommets convoqués depuis par les Nations Unies (Le Caire sur la population en 1994, Pékin sur la situation des femmes en 1995, Copenhague sur la question sociale en 1995, Istambul sur les villes en 1996, Kyoto sur le climat en 1997) ont fait référence explicitement à ce projet politique. C’est ainsi enfin qu’il a été adopté comme « objectif politique du millénaire », à New-York en septembre 2000 puis lors du « Sommet mondial sur le développement durable » à Johannesburg en août-septembre 2002 : « Nous, représentants des peuples du monde, réaffirmons notre engagement en faveur du développement durable. Nous nous engageons à rendre la société mondiale plus humaine, plus secourable et plus respectueuse de la dignité de chacun. A ce titre, nous assumons notre responsabilité collective, qui est de faire progresser, aux niveaux local, national, régional et mondial, le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement, piliers interdépendants et complémentaires du développement durable. (déclaration finale de Johannesburg) » 4- L’actualité du développement durable La communauté internationale, ou plus exactement l’Organisation des Nations Unies a donc fait sienne, intégralement, à la fois la définition du développement durable et le projet politique qu’induit cette définition. Pourtant, en ce début du XXIe siècle, les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus élevé que celui des 20 pays les plus pauvres. L’écart a doublé depuis 1960. 1,2 milliard d’humains ont moins de 1$/jour, 2,8 d’humains ont moins de 2$/j (rapport 2000 de la Banque mondiale). Les pauvres sont les personnes les plus exposées aux pollutions et les moins à même de s’en protéger. On estime à presque trois millions le nombre des décès annuel dus à la pollution de l’air dont les deux tiers pour la pollution à l’intérieur des bâtiments (rapport 2000 du PNUD). 800 millions d’humains ont faim (rapport 2000 de la FAO). Le quart des réserves halieutiques mondiales est épuisé ou en danger d’épuisement; pour la moitié des autres réserves, l’exploitation atteint la limite du renouvellement biologique; presque un milliard de personnes ont perdu ou vont perdre leur principale source de protéines (rapport 2000 du PNUD). Les réserves d’eau disponibles à l’échelle planétaire sont passées de 17000 m3/ha en 1950 à 7000 m3/ha aujourd’hui (rapport du secrétaire général des Nations Unies, avril 1997). Dit autrement : le développement durable est resté lettre morte. Au demeurant, la communauté internationale en est parfaitement consciente. Le rapport du secrétaire général de l’organisation devant l’assemblée de New-York (Millénaire + 5) en septembre 2005 contient ces phrases terribles : « Si les tendances actuelles se maintiennent, beaucoup des pays les plus pauvres risquent de ne pas atteindre [les objectifs du millénaire]. Après ce que nous avons déjà fait, un échec de cet ordre serait la preuve tragique que nous avons laissé passer notre chance. Le rapport montre que nous avons bel et bien les moyens de faire que tous les pays du monde ou presque mettent à exécution les promesses qu’expriment les Objectifs du Millénaire. Il ne nous reste plus qu’à mettre ces moyens en oeuvre. Nous devons être bien conscients du prix qu’il faudra payer si nous laissons passer cette occasion. Des millions de personnes qui auraient pu être sauvées périront. Maintes libertés qui auraient pu être garanties seront déniées, et nous vivrons dans un monde plus dangereux et instable (Kofi A. Annan). » Pourquoi est-on dans cette situation? L’explication la plus simple, celle qui vient immédiatement à l’esprit, est que l’Organisation des Nations Unies ne dispose d’aucun pouvoir. Elle fonctionne sur le consensus et la bonne volonté. Certes, mais l’argument est insuffisant. A priori, si les gouvernements sont convaincus de la justesse de ce projet, alors la somme de ces gouvernements, la somme des consciences qu’incarnent chacun d’eux devrait permettre de le mettre en oeuvre. Ce n’est pas le cas. Donc il y a un autre motif. Et à ce point on est obligé de se poser sans ambiguïté la question de la dimension proprement idéologique du développement durable. La mission confiée à la commission Brundtland était de réfléchir aux problèmes environnementaux posés par un développement agricole et industriel non régulé et par une pression démographique menaçante. La réponse de la commission, inattendue, fut politique. Elle demandait aux Nations Unies de subordonner l’économie à la politique. Et pas n’importe quelle politique, puisqu’elle demandait de lutter en priorité contre la pauvreté, insupportable pour l’écosystème planétaire certes, mais surtout insupportable d’un point de vue politique et social, et pour dire mieux insupportable d’un point de vue éthique. Le développement durable n’est donc pas une méthode, un instrument parmi d’autres dans la caisse à outils des gestionnaires d’entreprise, des responsables d’organisations et des chefs de gouvernements. Le développement durable est une proposition politique, qui entre par conséquent en concurrence avec les autres idéologies présentes sur le marché de la « gouvernance ». Que dit cette idéologie? « Qu’il faut améliorer le niveau de consommation de plus d’un milliard de pauvres dans le monde, dont les besoins élémentaires en matière d’alimentation, d’abri et d’habillement ne sont pas satisfaits. Qu’il faut consommer différemment : réduire les marques que nous infligeons à l’écologie tout en réalisant une bonne qualité de vie pour tous. Qu’il faut changer notre manière de prendre les décisions, en tant que consommateurs, et passer d’une pensée basée sur les moyens à une pensée basée sur les finalités. Qu’il faut produire différemment : réorienter la technologie et gérer les risques, livrer des biens et services à des prix compétitifs et capables d’améliorer la qualité de vie, tout en réduisant les effets écologiques et l’intensité de l’utilisation des ressources pour la ramener à un niveau supportable pour la planète. Qu’il faut nous organiser autrement car les structures fiscales, les compensations financières versées aux producteurs, le soutien des prix et autres mesures de ce genre, jouent un rôle pervers qui exerce des effets préjudiciables à la fois à l’économie et à l’environnement et profitent, la pluspart du temps, aux plus riches tout en épuisant les budgets publics. Qu’il faut accroître la participation du public dans toutes les étapes de planification, d’exécution et d’évaluation des politiques. etc. (Réseau Communications pour le développement Durable). Donc le développement durable est en concurrence avec les autres idéologies dominantes. Cela étant, l’espace où se déploie cette concurrence n’est pas seulement, ne peut pas être une adition d’espaces nationaux. Cet espace est d’abord planétaire avant d’être local. L’activité économique aujoud’hui doit être soumise à des objectifs politiques, mais ces objectifs exigent un niveau d’organisation et de décision équivalent à celui qui régit la production et les échanges. Prenons un exemple récent : l’Europe ne peut à la fois protester contre la Chine qui ruine son économie textile et détruit des milliers d’emplois sur le vieux continent, et ignorer que sa politique agricole a exactement la même incidence sur l’économie vivrière et l’emploi agricole des pays du sud. L’ouvrier chinois, le salarié européen et l’agriculteur africain ont par conséquent leur sort lié. Définitivement. Le développement durable est donc un projet politique certes, une nouvelle forme à la fois de régulation et de gouvernance, mais c’est un projet politique qui n’est viable qu’à l’échelle de la planète. Il ne peut y avoir de développement durable local s’il ne se conjugue à un développement durable mondial. Le croire, et le laisser croire, est une erreur. Ce qui ne signifie nullement qu’il ne concerne que les diplomates et les responsables d’organisations et d’entreprises dont le champ d’action est international. Au contraire, il concerne chaque individu, chaque organisation même locale, parce que le monde du XXIe siècle n’est pas celui du XVIIIe, il n’y a plus de niches protégées, plus de communauté autarcique, et même plus de nation « indépendante. » D’évidence, le développement durable requiert donc plus que des politiques publiques stricto sensu. Ou plutôt, il requiert que les politiques publiques mobilisent toutes les ressources disponibles, y compris privées, y compris individuelles. Les mobilisent et non pas les contraignent. D’autre part, le développement durable exige la liberté (liberté d’initiative, de recherche et de production en particulier) à la condition qu’elle serve son objectif (l’éradication de la pauvreté et le développement humain) sans nuire à l’intérêt général. Dans cette perspective, chacun est non seulement concerné, mais chacun doit aussi être acteur. Ainsi, et sans multiplier inutilement les exemples, le consommateur n’est pas seulement consommateur, il est invité à être un consommateur citoyen, l’entrepreneur n’est pas seulement entrepreneur, il peut et doit être un entrepreneur citoyen. Et la citoyenneté dont il est question n’est pas nationale, ou du moins pas seulement. Elle est aussi, elle devrait être planétaire. Problème, malgré de notables progrès ces trente dernières années, le droit international n’est pas prêt de produire quoi que ce soit de ce genre. Car l’Organisation des Nations Unies n’est pas une somme d’Etats solidaires, elle est une arène où s’affrontent des égoïsmes concurrents, incarnés par des dirigeants qui récusent soit l’individu au profit de la libre entreprise ou du plan, soit l’entrepreneur au profit du seul gestionnaire public, soit la régulation politique au profit de l’intérêt particulier. Mais il n’y a pas que cela. La partcipation de tous est certes une condition nécessaire du développement durable, elle n’est pour autant pas une condition suffisante. Le développement durable exige aussi une autre rationalité économique. Toute l’économie mondiale est en effet aujourd’hui construite sur une vision de la production et des échanges, vieille de presque trois siècles, dont trois paradigmes sont obsolettes. Le premier est que la production peut croître indéfiniment. C’était peut être vrai au tournant du XVIIIe et du XIXe, quand aucun secteur ne produisait suffisamment pour couvrir les besoins théoriques de l’humanité. Cela ne l’est plus aujourd’hui dans un grand nombre de domaines : à l’échelle de la planète (et non à l’échelle des nations ou des continents) la capacité de production est largement suffisante. A l’aube du XXIe siècle, on peut par exemple nourrir et habiller tous les hommes. Seconde vision eronnée : celle selon laquelle les ressources naturelles sont illimitées en volume, du fait qu’elles se renouvelleraient à la fois naturellement et indéfiniment. On le sait, mais on se refuse à intégrer cette dimension dans les calculs de coût pour reporter cette charge financière sur la totalité de l’humanité. Ainsi, la déteriorisation catastrophique de la ressource en eau, des points de vue quantitatifs et qualitatifs, est bien le fait à la fois des systèmes productifs industriels et agricoles d’une part, d’un modèle de consommation d’autre part. Pour autant, à l’échelle de la planète encore, le coût phénoménal de cette déterioration n’est pas à la charge de ceux qui en sont responsables. Pire, il n’est à la charge de personne et il est de plus reporté sur les générations futures. Troisième donnée nouvelle, la finalité de la production. Nul n’est capable, aujourd’hui plus qu’hier d’empêcher les hommes de chercher et d’inventer. Au demeurant, si ce mouvement n’existait plus (qui mène de la « soupe originelle » aux yeux à facettes des abeilles et du racloir en silex à la fusée Ariane) cela signifierait tout simplement qu’il n’y a plus de vie. Toutefois, nous savons désormais que le fruit de la recherche humaine n’est pas nécessairement bon pour l’humanité, et que le passage du laboratoire à la chaine de production n’est pas nécessairement naturel ni souhaitable. C’est bien ce motif qui nous a conduit a remplacer les CFC dans nos réfrigérateurs, à ne plus fabriquer d’isolant thermique à base d’amiante, à nous interroger sur l’avenir des déchets produits par nos centrales nucléaires, et à nous questionner sur l’opportunité du développement des cultures d’OGM, toutes choses impensables pour nos grands parents. La conséquence s’impose d’elle même, la rationalité économique dominante, celle de Smith, de Marx et de Keynes, est désormais inopérante. Il faut en changer, pour construire un nouveau modèle d’échange et de production qui prenne en compte : d’abord la totalité des coûts réels des activités humaines (et pas seulement ce qui fait l’objet d’un (« commerce »), ensuite le renouvellement du « capital » terre, enfin la finalité de la production. Autant dire qu’il s’agit là d’une révolution. Et pour tous : les libéraux d’Amérique du nord, les royautés pétrolières, les communistes chinois, les socio-démocrates européens, etc. Tous doivent abandonner leurs vieux manuels d’analyse et de prospective, pour inventer un autre outil de gouvernance économique. Ils savent qu’ils doivent le faire. Ils ont les moyens institutionnels qui le leur permettraient, au premier rang desquels l’OMC et son « tribunal » (organe de règlement des différents). Pourtant, ils ne le font pas. Ils ne paraissent pas prêts de le faire. Pourquoi? 5- une confrontation idéologique On voit bien les « raisons » des uns et des autres. S’agissant des (nombreuses) dynasties autoritaires qu’on trouve sur presque tous les continents, il n’est pas besoin de gloser : les « familles » dont il est question se préoccupent d’elles-mêmes et n’ont aucunement l’intention de faire de la place aux autres, même à leurs propres « sujets ». S’agissant des gouvernements dit « libéraux », le motif est différent mais tout aussi aisé à comprendre. Pour eux, « la main invisible du marché » est la seule bonne méthode susceptible de gérer au mieux les affaires du monde, car les avantages bons pour le plus grand nombre et bons pour l’intérêt général découlent mécaniquement de la loi de l’offre et de la demande. Une société qui fabrique un mauvais produit (une voiture pas fiable, un steack douteux, un logiciel bugué) ne trouvera pas de clients auprès de qui l’écouler. Une firme ne peut pas se permettre de mal se conduire, car son « image de marque » en souffrirait au point de lui faire perdre (une partie de) sa clientèle. Un pays ne peut pas se permettre de gaspiller son propre environnement car il détruit du même coup le capital nécessaire au fonctionnement de son économie. Etc. Dit autrement : le marché et lui seul tire vers le haut la qualité des produits, les comportements commerciaux et les stratégies publiques d’aménagement et d’investissement. Bien sûr, la souffrance des cancéreux de l’amiante, les bénéficiaires des dividendes distribués par Total après le 25 décembre 2000, et les consommateurs d’eau bretons prouvent tous les jours, que cette « loi » n’en est pas une. Mais voilà, c’est le dogme, et donc ses théologiens ont nécessairement raison. Ils ont d’autant plus raison qu’ils sont aujourd’hui les maîtres de l’économie planétaire et qu’ils ne veulent rien abandonner de leur domination/pouvoir économique. On pourrait croire que, opposés aux libéraux, les Etats gérés par des gouvernements communistes feraient leur le développement durable. Il n’en est rien. La raison est probablement à chercher dans l’idée que le développement social est programmable, par le parti et/ou l’Etat, dans le cadre d’une planification générale (de la production, des aménagements et des services à la personne) et (mais pas toujours, témoin la Chine) au moyen d’une appropriation collective des moyens de production. Or, cette prééminence du plan et du parti entre en conflit avec la nécessité d’une association des citoyens aux prises (quotidiennes) de décision, et avec le besoin d’une économie ouverte. Que cela conduise aux impasses que l’on sait en matière de droits de l’homme (à Tien an Men), de niveau de vie (en Corée du nord) et de dégradation de l’environnement (en mer d’Aral) importe peu. Comme « la main invisible », « l’avant-garde éclairée » est infaillible. D’autant plus infaillible que, pour elle aussi, c’est le pouvoir, son pouvoir, sa domination qui est en jeu. On comprend moins bien la réticence des socio-démocrates, des socialistes et des communistes démocratiques (ceux qui ont renoncé à la dictature du prolétariat). Peut être faut-il la chercher dans leur culture du rapport de force et dans le rôle prééminent dévolu à l’Etat. Pour faire simple : le mieux être s’obtient par la lutte entre l’intérêt général et les intérêts particuliers, entre les dominants et les dominés, une lutte arbitrée par les électeurs qui périodiquement chargent l’Etat de mettre en musique ces choix partidaires. Au vrai, les tenants de cette culture n’aiment pas ce qu’ils ne peuvent prévoir et contrôler. Leur fonctionnement suppose de rédiger un programme puis de le mettre en oeuvre. Il ne fait donc intervenir l’individu que lors de la phase d’élaboration du programme (et encore) et au moment du vote. Après quoi cet individu redevient un simple administré jusqu’à la phase électorale suivante. D’autre part, cette culture a besoin d’adversaires. Elle ne peut exister sans elle. Il lui faut des conservateurs auxquels s’opposer, des firmes capitalistes auxquelles s’affronter, des associations et syndicats qui relaieront son message. Dans tous les cas, il lui faut des structures et organisations clairement identifiées, au fonctionnement connu, aux objectifs précis. Permettre aux individus de « produire » du bien public autrement que dans un cadre conflictuel lui est donc fort difficile. Considérer qu’une entreprise (suspecte a priori de n’avoir d’autre objectif que la rente de son capital) ou qu’un regroupement d’individus (organisés ou non en association, mais dans tous les cas « incontrôlés ») considérer que celles et ceux là peuvent servir le développement humain leur est encore largement étranger. A leur décharge, on dira que les études politiques et sociologiques qui ont examinés à la loupe, au siècle dernier, les sociétés humaines et leurs fonctionnements politique, économique et social, ont fait bien avant eux l’impasse sur l’individu, sa liberté et sa créativité. Rien que pour s’en tenir à l’Europe, Elias et Bourdieu, ont (durablement) cartographié le corps social et dévolus tous les espaces disponibles exclusivement aux classes sociales, dont le jeu (répulsions, affrontements, protections, conquêtes) rend compte selon eux de la totalité des situations humaines possibles. Certes leurs travaux sont précieux. Toutefois, ces affrontements de classe et les habitus de leurs membres ne peuvent suffirent à décrire la vie. Dans le jeu social, la liberté de l’individu, quelle que soit sa position et son capital scolaire et social, a autant d’importance que d’où il vient et d’où il agit. Sans cette liberté créatrice, le corps social ne serait rien d’autre qu’un communauté de « machines biologiques », une vaste fourmilière. Par conséquent, lorsque le rapport Brundtland affirme que les agrégations libres de personnes (ici une famille, là une association, ailleurs, un syndicat ou un regroupement informel, ailleurs encore une famille, une tribu,) peuvent et doivent être entendus, peuvent et doivent agir, peuvent et doivent produire du bien public au même titre que les gouvernants, on comprend bien que cette demande de diversité et de liberté heurte une vision des rapports sociaux qui a façonné durablement « la gauche ». Reste le cas de ces écologistes qui ne veulent pas, ou plus entendre parler du développement durable et qui entendent désormais lui substituer « la décroissance ». Leur posture est moins risible qu’inquiétante. S’il n’y avait là que la manifestation d’une inculture politique (nombre d’entre eux n’ont jamais lu la moindre ligne du rapport Brundtland, ne s’intéressent pas aux innombrables débats que son adoption a induit, et n’ont aucune connaissance géopolitique), si ce choix sémantique manifestait seulement une forme d’incompétence, on pourrait effectivement s’en amuser. Il est drôle en effet de voir des militants abandonner un outil conceptuel au profit d’un mot d’ordre fort peu opérationnel. Qu’il faille en effet faire décroître le nombre des automobiles qui empoisonnent les habitants des villes est certes nécessaire, que par contre il faille diminuer la production de riz, de médicaments ou d’énergie renouvelable est d’évidence un non sens. Seulement voilà, ce choix en faveur de la décroissance laisse entrevoir une stratégie qui fait peur : il se pourrait bien en effet qu’il trahisse une préférence pour la technique plutôt que pour la politique. Dit autrement, l’avis des autres leur est indifférent, il veulent de suite « faire ». Et « faire » ce qu’eux seuls jugent bon et souhaitable. Or, dans ce schéma là, il n’y a pas de place pour le dialogue, le débat, la confrontation, pas de place pour la négociation entre les individus et les groupes, laquelle est pourtant au choeur du développement durable : le développement de tous, construit par tous. La décroissance préférée au développement durable, c’est la planète (même inhabitée ?) préférée à l’homme On devine les errements et les dérives que semblable vision technicienne des choses peut entraîner, en particulier en matière de droits de l’homme. On le devine et on frémit… 6- Les Etats au pied du mur Si elle n’exclut pas le local, bien entendu, l’échelle du déloppement durable est d’abord planétaire. Nécessairement. D’autre part, son efficience se mesure au moyen d’une aune politique exclusivement. Il ne faut pas croire pour autant qu’il refonde toutes les questions, toutes les situations, tous les défis du moment. Le concept n’a pas cette prétention totalisante. La commission Bruntland, les multiples sommets de l’ONU et les travaux des ONG sont loin d’avoir épuisé le sujet. Par ailleurs, les paradoxes, d’aucuns diront les contradictions, restent nombreux. Par exemple, la liberté qui est une des conditions de son succès, n’exclut pas le contrôle des process, des flux, voire des personnes. Et ce contrôle n’exclut en rien l’adoption de règles, de contraintes, et même de mesures compensatoires. A titre d’exemple, si le développement durable condamne la PAC, il n’interdit nullement (et même il suggère fortement au moins pour aujourd’hui) l’adoption par la communauté mondiale de mesures de protection des agricultures vivrières du sud. Simplement il faut que ces mesures soient négociées à la bonne échelle et soient révisables autant que nécessaire. Reste savoir qui négocie. Au nom de quoi et de qui. Est-ce que l’OMC par exemple peut être un des lieux de cette négociation et de ce contrôle? Certains Etats aquiesseront évidemment. Les juristes répondront « pourquoi pas ». Les altermondialistes refuseront catgoriquement. On voit donc bien toute l’ambiguïté du concept, et par voix de conséquence on voit aussi combien il nécessite encore de débats et d’approfondissements. Particulièrement dans le domaine de la gouvernance, particulièrement en matière de démocratie, particulièrement en ce début de siècle qui voit se mettre en place une globalisation économique (la mondialisation des échanges a elle commencé il y a déjà plusieurs siècles) qui échappe tout contrôle politique. La question de la gouvernance est donc tout sauf anodine. Elle est même probablement celle qui déterminera l’avenir du concept selon la/les réponses qui lui seront apportées, par les communautés humaines (du « clan » à la famille, les structures sociales produisent différemment de l’autorité sur le groupe), par les organisations professionnelles (un syndicat américain, une corporation africaine, une organisation de base indienne ont des processus décisionnels différents), par les entreprises (le capitalisme européen est bien différent du capitalisme japonais qui n’a rien voir avec le capitalisme australien), et bien sûr par les Etats. Le rapport Bruntland suggère que, « si les interprétations peuvent varier d’un pays à l’autre, tous – développés ou en développement, économie de marché ou économie planifiée – doivent s’accorder sur la notion fondamentale du développement durable et sur un cadre stratégique permettant d’y parvenir. » La délibration de décembre 1987 prise à Genève par l’assemblée générale de l’ONU va dans le même sens. Est-ce à dire que dans l’esprit de la Commission d’abord, puis de l’Organisation ensuite, le développement durable peut s’accommoder de régimes autoritaires ? A l’évidence oui. Si tel n’avait pas été le cas, une autre formulation eût été adoptée. Cela pourtant ne va pas sans poser question, au moins dans les pays du nord à régime démocratique. Car on ne voit pas bien comment une dictature, quelle qu’elle soit, peut faire participer la population qu’elle asservit d’autre part sous son joug. Sauf, si on considère les enjeux à l’échelle de la planète et qu’on estime possible, ou plutôt nécessaire de contraindre les Etats, tous les Etats, à fonctionner démocratiquement sinon à l’intérieur de leurs frontires du moins sur la scène internationale. On dira qu’il ne s’agit là que d’un voeu pieux, d’une utopie. On le dira avec d’autant plus de raison que même les Etats démocratiques adoptent la plupart du temps une posture inverse, démentant quotidiennement par leurs actes les protestations généreuses dont ils ne sont jamais avares dès lors qu’une tribune des Nations Unies leur est offerte. Quand il leur faudrait inventer concrètement le développement durable, dans le champ conomique, dans le champ social, dans celui de l’environnement ou celui de la gouvernance (dans le respect des diversités culturelles et sans imposer un modèle unique), ils s’ingénient au contraire à le vider de toute substance. Quant il leur faudrait faire, dans un formidable effort politique, un saut qualitatif en avant, ils multiplient les pas de côté ou en arrière pour protéger des égoïsmes nationaux qui chaque jour s’en trouvent renforcés. Est-ce tenable? On sait que non. Ils savent que non. Si l’espace vital, les ressources et les services (on parle ici du pétrole, de l’eau, des ressources vivrières des terres et des océans, mais aussi de la santé et même du travail) si tout cela qui est nécessaire la communauté de tous les hommes ne peut être partagé équitablement dans un cadre politique, certains groupes nécessairement chercheront à s’en emparer à leur profit. Au demeurant, les choses sont dans cette voie hélas déjà bien engagées. La violence économique tue, au sens propre du terme, beaucoup plus que les affrontements entre armées. Et il n’est pas besoin d’être Cassandre pour prédire des jours à venir bien sombres. Il suffit d’être objectif. Les Etats, quels qu’ils soient sont donc au pied du mur. Plus exactement, dans les pays démocratiques, les partis politiques sont au pied du mur puisque ce sont eux qui, par le jeu des élections, ont la charge de l’Etat. Soit ils intègrent le développement durable dans leurs objectifs, soit… 7- c’est quoi l’avant-guerre Au moment de conclure, on est forcé d’admettre que le rapport Brundtland est un texte politique majeur. Certains affirmeront que c’est le plus important qui ait été écrit dans toute la moitié du vingtième siècle. Acceptons a minima d’y voir une manière de manifeste. Un manifeste d’autant plus « considérable » (au sens « à considérer ») qu’il n’a pas été produit par un seul homme, un « père », un « pape », mais par un groupe d’individus venus des quatre coins de la planète, aux professions différentes, aux engagements différents, aux cultures différentes. Pourtant, le concept qu’ils ont formalisé à l’issue de trois années de débats, qui continue en outre d’être enrichi de milliers de contributions d’hommes et de femmes dont la majorité ne sont pas des « penseurs professionnels », pourtant donc cette proposition politique nouvelle reste méconnue. La chose n’est pas surprenante. Au nord, la « société du spectacle » ne peut perdre du temps à l’exposer, et la « société de consommation » ne peut, en le prenant à son compte, scier la branche où elle est assise. Quant au sud, son temps est entièrement occupé à… survivre. D’autre part, les organisations politiques qui, dans les pays démocratiques au moins, pourraient se l’approprier, se montrent au mieux indifférentes à son endroit, au pire hostiles. Là encore, la chose s’explique aisément : soit que ce concept entre en concurrence directe avec leur propre idéologie, soit que leur culture militante les prévienne contre cette innovation conceptuelle quand bien même elles la trouvent séduisante. Est-ce à dire que l’idée est mauvaise? Que le projet est condamné? Que l’objectif énoncé est sans objet? Non bien sûr. D’abord parce qu’on ne voit pas aujourd’hui quelle alternative politique lui substituer. Ensuite parce qu’il est inconcevable d’accepter que depuis Rio des centaines de milliers de personnes, sur les cinq continents, aient travaillé pour rien, espéré pour rien. Enfin parce que le temps presse : si le développement durable ne permet pas de corriger politiquement les désordres du monde actuel, nul doute que d’autres formes de régulation verront très vite le jour. Chacun sait qu’alors les affrontements d’aujourd’hui ne seront rien au regard des violences qu’elles engendreront. Chez nombre de puissants en effet, quels que soient leurs antécédents idéologiques, les stratégies politiques et économiques trahissent une même pensée : « la » solution aux problèmes environnementaux de la planète est de diminuer la pression humaine sur l’écosystème en éliminant (par la famine, la soif, la maladie, les armes…) ces « salauds de pauvres » qui en plus se « reproduisent comme des lapins ». Ne nous y trompons pas : nous sommes en état d’avant-guerre. Si tragiques que soient les catastrophes et les conflits de l’heure, ce à quoi nous assistons aujourd’hui relève de l’escarmouche. Il nous revient par conséquent de négocier une paix durable avant le déclenchement définitif des hostilités, pas après. C’est le défi du développement durable. Raymond Leduc adjoint au maire de Bouguenais (44) — Posté depuis un ordinateur libre Des infos sur l’informatique libre? C’est ici : http://www.april.org/ Des infos sur Linux? C’est ici : http://www.aful.org/index.html Des infos sur Mandriva, le Linux francophone? C’est ici : http://www.mandrivalinux.com/fr/ »

 

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