Il y a dix ans, l’UE investissait plus d’1,5 million d’euros dans le projet carbone de N’hambita au Mozambique, un projet pilote censé démontrer comment les forêts peuvent être utilisées pour compenser les émissions industrielles. Aujourd’hui, FERN et les Amis de la Terre France publient un rapport intitulé « Le carbone discrédité », qui explique pourquoi les projets de carbone forestier ne peuvent produire de bénéfices climatiques, environnementaux, sociaux ou même financiers.[[Rapport complet à l’adresse suivante :
– www.fern.org/fr/nhambita
– www.amisdelaterre.org/nhambita]] Les deux organisations demandent à l’UE et aux États membres de cesser de financer des projets de compensation carbone, y compris les projets REDD+. Elles appellent également l’État de Californie, qui envisage d’accepter la compensation carbone forestière dans son marché carbone, à revoir sa position.
La compensation carbone est un mécanisme qui cherche à compenser les émissions de carbone générées au Nord par de prétendues réductions d’émissions au Sud. La compensation carbone forestière est particulièrement problématique dans la mesure où les réductions d’émissions sont censées être réalisées grâce à la plantation ou à la conservation d’arbres, alors que la communauté scientifique n’a de cesse d’affirmer que la quantité de carbone pouvant être stockée dans les arbres n’est en rien comparable avec le volume des émissions industrielles.[[Brendan Mackey, I. Colin Prentice, Will Steffen, Joanna I. House, David Lindenmayer, Heather Keith, Sandra Berry, « Untangling the confusion around land carbon science and climate change mitigation policy. », Nature Climate Change, 2013 ; 3 (6): 552 DOI: 10.1038/nclimate1804]] La mesure du carbone forestier soulevant de nombreuses et complexes difficultés, il est impossible de lier les projets de compensation carbone forestier à des réductions d’émissions mesurables et vérifiables.
Sylvain Angerand, des Amis de la Terre France, explique : « Le principal problème mis en lumière dans ce rapport est que les émissions restent dans l’atmosphère bien plus longtemps que ne vivent les arbres. Le rapport montre que la compensation carbone ne produit que peu de bénéfices pour le climat et ne fait que nous distraire de la nécessité de réduire nos émissions et notre consommation d’énergie. »Le rapport « Le carbone discrédité » révèle également que le projet N’hambita est une catastrophe financière pour Envirotrade, les recettes générées par la vente des crédits carbone étant insuffisantes pour couvrir les coûts. Comme le rappelle Hannah Mowat, responsable de la campagne sur le climat de FERN : « La valeur des crédits carbone n’a jamais été aussi faible. Dans ces conditions, il sera impossible pour Envirotrade de récupérer son investissement. » Indra van Gisbergen, responsable de la campagne sur la gouvernance forestière de FERN, confirme : « La Commission européenne devrait éviter de gaspiller l’argent des contribuables en investissant dans des mécanismes de compensation. Elle ferait mieux de prendre des mesures pour améliorer la gouvernance forestière et protéger les droits fonciers des communautés afin que celles-ci puissent prendre le contrôle des forêts dont elles s’occupent et dont elles dépendent. » Une récente étude menée par La Via Campesina Africa confirme les problèmes sociaux auxquels sont confrontés les paysans qui participent au projet N’hambita. Dans le cadre de ce projet, les villageois sont rémunérés pour planter des arbres et veiller sur eux. Cependant, les paiements cessent après sept ans, alors que les obligations perdurent pendant 99 ans. Le contrat comporte notamment la clause suivante : « Il est du devoir du paysan de veiller sur les plantations qui lui appartiennent même après les sept ans de validité du contrat. » La Via Campesina a également constaté de nombreux problèmes de communication entre l’entreprise et les paysans.
Conclusion du rapport
L’analyse du projet pilote N’hambita soulève des questions qui sont spécifiques à ce projet de compensation carbone forestier mais met aussi en évidence des problématiques se rapportant aux projets de compensation carbone forestier en général. En dépit du fait que le projet pilote ne se soit pas conformé aux normes de suivi et de documentation, il reste possible de tirer des conclusions du projet, y compris de ses défaillances. La conclusion fondamentale est que l’UE ne devrait plus financer des méthodologies et des projets pilotes consistant à mesurer les flux de carbone forestier dans des sites spécifiques dans le but de créer des crédits compensatoires de carbone. Les problèmes auxquels le projet s’est confronté sont symptomatiques des tentatives de relier la viabilité financière et les bienfaits sociaux et environnementaux au commerce de crédits compensatoires de carbone créés par des écosystèmes. La « mesure » des stocks de carbone forestier soulevant de nombreuses et complexes difficultés, et encore plus dans le cas des flux, il est impossible de lier le financement du projet à des mesures de carbone exactes et vérifiables. De plus, le projet repose sur des suppositions improbables concernant la permanence : par exemple, il présume qu’en signant un contrat prévoyant une période de paiement de sept ans, le signataire entretiendra les arbres pendant les 93 années suivant la fin des paiements. Le projet n’a pas identifié, mesuré et suivi les indicateurs sociaux qui permettraient d’orienter la conception du projet ou de démontrer qu’il y a eu une participation ou une gestion significative de la part de la communauté. Le projet n’a pas mesuré davantage les impacts les plus fondamentaux qu’il avait sur les populations et l’environnement. La visite sur le terrain de 2012 est venue confirmer que la plupart des problèmes et des défaillances sur lesquels les évaluations externes de la CE avaient attiré l’attention n’ont pas été résolus. Le projet néglige encore presque totalement d’effectuer des mesures et des rapports sur ces propres activités, aussi bien concernant les facteurs sociaux et environnementaux que les données financières et les stocks de carbone. Les données disponibles montrent que le projet a vendu des crédits de carbone à des acheteurs internationaux sans procéder à des mesures crédibles des stocks de carbone dans la zone du projet, qu’il n’a pas démontré qu’il avait des bienfaits significatifs sur la communauté et qu’il n’a pas assuré un suivi de l’impact environnemental de ses activités. Il n’est pas clair de quelle manière les membres de la communauté ont participé à la conception du projet ; il semble probable que, dans certains cas au moins, les agriculteurs n’avaient pas pris pleine connaissance des obligations à long terme des contrats qu’ils avaient signés avec le projet. Les objectifs qui avaient été énoncés dans la proposition de subvention de la CE, à savoir le développement durable, le suivi et le stockage du carbone, et la contribution aux connaissances sur la mesure du carbone, n’ont pas été remplis. Comment dépenser alors l’argent de l’UE dans le contexte du débat sur REDD ? Le projet représente un investissement extraordinaire d’argent et de temps, alors que les réductions des émissions de GES ne peuvent être vérifiées ou démontrées. Cela n’avait pas de sens, sur le plan financier, que l’UE investisse dans un projet qui est conçu pour faire des bénéfices dans le cadre d’une industrie non réglementée et qui n’a pas d’impact positif durable à l’échelle locale. Si le but de l’UE est de réduire les émissions, les financements devraient s’appliquer à des mesures immédiates de réduction des émissions à la source dans l’UE : « les émissions évitées aujourd’hui sont bien plus utiles, en matière de réduction du changement climatique, que les émissions évitées dans dix ans ; cependant les arbres que vous plantez commencent à absorber le carbone bien après qu’il ait été rejeté par vos usines ». Le projet représente aussi un investissement extraordinaire d’argent et de temps, alors que l’amélioration de la vie des communautés est difficile voire impossible à vérifier. De fait, il est même possible de considérer que leurs conditions de vie ont empiré. Le projet N’hambita indique clairement que les projets de compensation carbone forestier « ne traitent pas des complexités et des subtilités réelles des communautés et des moyens de subsistance locaux » et qu’ils « utilisent d’énormes ressources en ce qui concerne les terres, l’eau, le temps et l’énergie des résidents ». L’ONU elle-même s’inquiète du fait que les marchés du carbone forestier pourraient « éroder les valeurs caritatives qui prennent racine dans la culture » et « priver les communautés de leurs aspirations légitimes en matière d’aménagement du territoire ». Le projet démontre que lorsque l’analyse concernant les mécanismes sociaux de déboisement, les régimes de biens communs, la résistance de la société, les systèmes de développement et l’histoire locale est insuffisante, les projets peuvent être inefficaces ou même porter atteinte aux relations sociales de la communauté. Le financement des projets de compensation carbone empêche de se concentrer sur la réduction et la restructuration de la consommation et de la production des biens à la source. Comme un fin critique l’a fait remarquer : « En finançant ces projets, nous n’évitons pas le déboisement, mais nous évitons notre responsabilité, celle-ci se trouvant maintenant hors des frontières de l’Europe ». Cela donne l’illusion d’agir sur le changement climatique, sans que l’on ait progressé fondamentalement vers la création des structures et des programmes requis pour un avenir sans énergies fossiles. Le projet démontre l’improbabilité actuelle de mesurer les flux de carbone dans les forêts. Quelle quantité de carbone un arbre absorbe-t-il réellement ? « Les prétendues réductions obtenues par les crédits compensatoires de carbone sont habituellement basées sur des scénarios hypothétiques impossibles à prouver et tiennent peu compte des impacts sociaux et environnementaux négatifs du modèle de développement dans lesquelles elles sont intégrées ». La question la plus grave concernant ce projet est peut-être celle de savoir quelle sera la réponse de l’UE si Envirotrade n’est plus rentable et le projet est interrompu. Quelle est la responsabilité de l’UE à cet égard, et comment le projet pourrait-il être transformé en une initiative locale, durable et caritative axée sur l’amélioration des moyens de subsistance de la communauté et la satisfaction des besoins identifiés par la population locale ? Si le projet avait fait l’objet d’une surveillance et d’un suivi plus rapprochés et plus précoces (c’est-à-dire si l’on avait cherché à apprendre avant d’entreprendre), ces questions auraient pu être évitées et les financements de la CE auraient pu être dépensés de sorte à obtenir une meilleure rentabilité pour les contribuables de l’UE, les résidents locaux de N’hambita et en fin de compte, le climat. – Télécharger le rapport complet « Le carbone discrédité : pourquoi l’UE devrait se détourner de la compensation carbone forestière«FERN
FERN est une organisation non gouvernementale (ONG) créée pour suivre l’implication de l’Union européenne dans les forêts et pour coordonner les activités des ONG au niveau européen. Notre travail se concentre sur les forêts et les droits des populations forestières, ainsi que sur les questions qui les touchent comme le commerce et l’investissement ou le changement climatique. Tout ce travail est effectué en étroite collaboration avec des organisations sociales et environnementales et différents mouvements à travers le monde. Le nom « FERN » a été choisi car il signifie « fougère » en anglais et que les fougères sont l’une des rares espèces qui poussent dans toutes les forêts. – http://www.fern.org/fr/nhambitaAmis de la Terre
La fédération des Amis de la Terre-France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif et indépendante de tout pouvoir économique et religieux. Créée en 1970, elle a participé à la fondation du mouvement écologiste en France, et à la formation du premier réseau écologiste mondial, Friends of the Earth International , présent dans 77 pays avec 2 millions de membres. Les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes qui agissent selon leurs priorités locales et relaient les campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale. – www.amisdelaterre.org/nhambitaContacts
– Indra Van Gisbergen – FERN – Tél : (+32) 474 87 88 93 – Sylvain Angerand – Les Amis de la Terre France – Tél : (+33) 06 28 77 15 08