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L’Appart du futur de Corentin de Chatelperron : « passer sous les deux tonnes de CO₂, c’est difficile »

L’expérience low-tech qui secoue nos certitudes

Atteindre deux tonnes de CO₂ par an et par personne, la limite fixée par l’accord de Paris, est-il encore possible ? Après dix ans d’expérimentations en mer et dans le désert au cœur de biosphères low-tech, l’ingénieur-explorateur Corentin de Chatelperron s’est attaqué à un terrain bien plus commun : un appartement de 28 m² à Boulogne-Billancourt. Avec la designer Caroline Pultz, il en a fait un laboratoire de vie frugale et joyeuse, raconté dans la websérie L’Appart du futur diffusée sur arte.tv et dans un livre publié chez Actes Sud. Leur constat est sans appel. Même en divisant par dix la consommation d’eau et par quinze celle d’électricité, la barre fatidique reste hors d’atteinte. « On arrive à 2,2 tonnes de CO₂. C’est ce qui m’a le plus impressionné », confie Corentin. Une aventure inventive qui interroge les limites individuelles et les transformations collectives à enclencher.

Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz, dans « L’Appart du futur », réalisé par Valentin Baillet et Ronan Letoqueux disponible sur la plateforme Arte.tv.

Né en 1983 à Vannes, Corentin de Chatelperron a d’abord fait ses armes au Bangladesh. Diplômé de l’ICAM, il y découvre, en 2009, la pollution massive liée à la fibre de verre utilisée dans la construction navale. Son idée est alors simple. La remplacer par un matériau local, le jute, abondant et biodégradable. De ce pari naît le Tara Tari, un bateau en fibre de jute devenu symbole d’une ingénierie plus sobre et adaptée aux ressources locales. « Je suis ingénieur explorateur de modes de vie » résume Corentin de Chatelperon. « Depuis une quinzaine d’années, je cherche des solutions low-tech utiles, accessibles et durables qui permettent de répondre à nos besoins de base tout en respectant l’environnement et les humains. »

La philosophie low-tech : utile, accessible, durable

La low-tech, contrairement à une idée reçue, n’est pas un retour en arrière. « Ce n’est pas forcément un four solaire ou une éolienne », explique Corentin. « C’est avant tout une démarche qui concilie utilité, accessibilité et durabilité. Utile, parce que cela répond à des besoins réels ; accessible, parce que tout le monde peut s’en emparer ; et durable, parce que c’est respectueux des humains et de la planète. » L’ordinateur, le téléphone ou même la voiture peuvent devenir low-tech s’ils sont conçus pour durer, se réparer, se comprendre. C’est une approche systémique qui réinterroge nos dépendances à l’énergie, à la technologie, aux ressources, mais aussi à la nature et aux autres.

« En 2013, j’ai crée une association LowTech Lab le but c’est de trouver des innovations low tech partout dans le monde » poursuit Corentin. « C’est devenu un réseau d’une quarantaine d’associations. Avec le voilier Nomade des mers, on a parcouru 25 pays à la recherche de solutions que l’on testait à bord. Au fil des escales, j’ai compris que le vrai défi n’était pas seulement technique, mais de réinventer nos modes de vie. J’ai alors imaginé le programme Biosphère Expérience, des habitats-écosystèmes où humains et autres espèces coopèrent. La première biosphère, en Thaïlande, était une plateforme flottante. Je suis resté quatre mois pour essayer une trentaine de savoirs-faire que l’on avait appris dans les escales précédentes. Cela m’a amené au concept d’habitat écosystème. De voir comment les humains pourraient se connecter avec d’autres espèces vivantes et éléments de la nature pour avoir des modes de vie qui soient à la fois sains, durables et désirables. »

À force d’expériences, Corentin a changé son rapport à la nature. « Quand j’étais plus jeune, je la voyais comme un musée, un décor pour les randonnées. Aujourd’hui, je la vois comme un écosystème dont je fais partie. Je suis moi-même fait de bactéries, de microbes, d’organismes : je suis un écosystème ambulant. » Dans ses biosphères, cette idée devient tangible. « Quand tu manges des plantes que tu as cultivées, nourries par des bactéries, c’est un lien direct, un circuit très court entre toi et les autres espèces vivantes. » Cette reconnexion sensorielle au vivant irrigue toute sa démarche. Ne plus opposer nature et culture, humain et non-humain, mais composer des formes d’habitat coopératives.

La série documentaire La Biosphère du désert est toujours disponible sur Arte.tv

Le but de chaque expérimentation est de vérifier qu’il est possible de vivre de façon sobre et agréable dans n’importe quel contexte. « Il y a eu ensuite La biosphère du désert au Mexique en 2023, et L’appart du futur à Boulogne-Billancourt en 2024″ explique Corentin. « Moins exotique, certes, mais plus universel. Tout le monde ou presque vit en zone urbaine »

L’appart du futur : vivre low-tech à Boulogne-Billancourt

« Cela a été mon plus gros challenge », confie Corentin. « En fait, c’était un cadre hyper contraignant : l’hiver il fait froid, l’été chaud. Tu vis dans une boîte sans accès direct au soleil. Et puis tu es au milieu de milliers de voisins qui ne sont pas du tout sur le même mode de vie. On voulait un logement petit, accessible, représentatif : 28 m², une « passoire thermique » que la ville de Boulogne-Billancourt a mis à notre disposition. On n’imagine pas reconstruire toutes les villes d’ici 2050 dans lesquelles vivront 68% de la population française. Il faut donc transformer l’existant, voir ce qu’on peut faire avec ».

Pendant quatre mois, avec Caroline Pultz, il réinvente tout : isolation, cuisson, gestion de l’eau, toilettes, lessive, alimentation… Le lave-linge est actionné par un rameur, les toilettes deviennent un petit écosystème de larves et de plantes dépolluantes, la douche sert de champignonnière à pleurotes, et les déchets sont valorisés sur place avec un broyeur.

Dans leur cuisine de moins de 3 m², la cocotte isolée leur a permis de préparer des repas plus sains, grâce à une cuisson lente à l’eau, tout en limitant leur consommation d’énergie. L’appareil fonctionne sur un réseau en 12 volts, comme ceux que l’on trouve à bord des bateaux. Des capteurs placés sous l’installation contrôlent la température et ajustent l’énergie consommée, via un algorithme connecté à la batterie. Pendant ces quatre mois d’expérimentation, les restes alimentaires des deux colocataires ont servi à nourrir des grillons qui constituait leur unique source de protéines animales dans un régime presque entièrement végétarien.

La série documentaire L’appart du futur est disponible sur Arte.tv.

Concevoir un habitat comme un organisme vivant

Ce qui passionne Corentin, c’est justement cette interconnexion. « La partie design m’intéresse vraiment parce que c’est hyper systémique. Tu ne peux pas juste étudier l’eau, l’énergie ou les vêtements. Il faut tout étudier en même temps et voir comment les éléments créent des synergies entre eux. Les déchets deviennent une ressource pour autre chose. » Ce travail, fruit de dix années d’expérimentations, est à la fois scientifique, technique et poétique. Une manière d’imaginer un habitat qui respire avec son environnement, où chaque ressource circule en boucle. « Pour concevoir les low techs utilisés dans l’appartement, on a travaillé avec des écoles d’ingénieurs, des designers, même le Centre national d’études spatiales ! »

Atteindre les deux tonnes : mission (presque) impossible

L’expérience avait un objectif précis. Vivre en émettant moins de 2 tonnes de CO₂ par personne et par an, conformément à l’Accord de Paris. Or, malgré des efforts colossaux, Corentin et Caroline atteignent difficilement 2,2 tonnes selon les calculs des experts. « C’est le truc qui m’a le plus impressionné. A quel point c’est difficile d’atteindre les deux tonnes. Je pensais qu’on aurait de la marge » partage Corentin. Le constat est sans appel. Même en réduisant par dix la consommation d’eau et par quinze celle d’électricité, il reste un fossé. « On n’y est pas du tout », reconnaît Corentin. « Même avec tout ce qu’on a mis en place, les 2,2 tonnes que les experts nous attribuent ne sont atteignables qu’en intégrant les progrès supposés des entreprises et des services publics d’ici 2050. Sans ces projections, on n’atteint même pas les 2 tonnes. Là, je me dis : waouh… ce n’est pas impossible, mais il faut être très optimiste. »

« C’est une vraie déception ». Il faut faire le deuil de notre climat actuel. Les changements à venir, dans les prochaines décennies, vont nous obliger à nous adapter. La bonne nouvelle, c’est que ce qu’on fait est nécessaire. On a raison de bosser là-dessus. On travaille à imaginer un scénario qui colle au futur et aux contraintes. Et il faudrait que beaucoup d’autres fassent la même chose, chacun sur d’autres scénarios. »

Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz, dans « L’Appart du futur », réalisé par Valentin Baillet et Ronan Letoqueux disponible sur la plateforme Arte.tv.

Comment rendre la sobriété désirable ?

Au-delà des chiffres, Corentin sait que le véritable défi est culturel. « On n’a pas réussi à rendre l’expérience vraiment désirable. C’est notre plus grand défi, et on n’a pas totalement réussi. Il y a beaucoup de freins culturels. Quand tu dis « on cultive des champignons dans la douche », les gens te prennent pour un fou. Ils voient la solution, mais pas le chemin qui y conduit. Or ce n’est pas par amour des champignons que j’en suis arrivé là ! C’est le résultat de dix ans d’expérimentations. Ceux qui suivent notre parcours comprennent la logique, les autres non. Il faut raconter le récit complet pour que ça devienne désirable ».

Pour lui, la clé est d’inspirer plutôt que de moraliser. « Tout le monde ne va pas devenir low-tech demain, mais si chacun trouve une idée ici ou là dans cette expérience, c’est déjà énorme. » Reste aussi la question de l’échelle. « Tout a été conçu sur mesure pour l’expérience, parce que ces objets ne sont pas encore commercialisés. Et puis il y a des freins réglementaires. Mais je suis convaincu qu’il y a des gens prêts à vivre comme ça, il manque juste les promoteurs qui s’en emparent. »

Un livre pour inspirer l’action

Le livre L’Appart du futur – Une aventure low-tech dans la biosphère urbaine (Actes Sud / Arte Éditions) prolonge la série documentaire. Accessible, drôle et foisonnant, il s’adresse à tous ceux qui veulent passer à l’action. « J’ai l’impression de ne pas avoir écrit le livre que je voulais écrire, mais celui que les gens attendaient de moi. Depuis des années, on me demande : « J’adore ce que tu fais, mais comment je peux faire, moi ? » J’ai donc conçu ce livre pour accompagner les gens, leur permettre de piocher des idées, de s’en inspirer. Ce n’est pas un récit, mais un manuel, un outil de curiosité. Tu peux le laisser dans les toilettes et le lire par petits paragraphes (rires). J’ai voulu qu’il donne envie d’expérimenter les low-tech, de montrer qu’on peut faire soi-même ».

Avec L’appart du futur, Corentin démocratise la low-tech en la rendant attractive et joyeuse. Pas besoin d’être ingénieur pour essayer. « Commence par le domaine qui te passionne » conseille Corentin. « Si tu aimes cuisiner, explore les low-techs de cuisine ; si tu aimes jardiner, installe un système de bioponie. L’écologie ne doit pas être une contrainte, mais une source de joie et d’apprentissage. Si chacun fait sa part, relié à un réseau d’amis ou de voisins qui font autre chose, le changement peut aller très vite. »

Ne pas subir le futur, mais le réinventer

Pour Corentin, l’essentiel est d’agir collectivement. « Il ne s’agit pas de rejeter le progrès, mais de l’orienter vers un monde plus juste, plus sain et plus désirable. » Son Appart du futur n’est pas un modèle parfait, mais un prototype d’imaginaire. Il ne montre pas une utopie clé en main, mais une exploration honnête, joyeuse, artisanale, où chaque erreur devient apprentissage.

L’expérience de Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz est à la fois un bilan lucide et un message d’espoir. Lucide, parce qu’elle montre l’ampleur du défi climatique, et l’impossibilité d’y répondre sans repenser nos modes de vie en profondeur. Mais pleine d’espoir, parce qu’elle prouve qu’une autre voie existe sobre, créative et joyeuse. « Le futur que nous avons imaginé ces dernières décennies n’est pas soutenable » conclut Corentin. « À nous d’en inventer un autre, à notre échelle ».

Une aventure qui continue pour rendre désirable l’appart du futur

Après Nomade des mersBiosphère du désert et L’Appart du futur, Corentin et Caroline préparent déjà une nouvelle exploration. « En 2026, on va partir en Asie. On veut comprendre comment sont fabriqués nos objets du quotidien, et imaginer des versions low-tech, locales, réparables ».

D’ici là, son travail se poursuit à travers des expositions en accès libre à Caen au MoHo jusqu’au 31 décembre 2025, à Boulogne-Billancourt à la Maison de la Planète et à Liège pour faire découvrir au public les solutions concrètes testées dans l’appart du futur.

 

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David Naulinhttps://cdurable.info
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