On savait déjà que les fonds marins abritent une vie animale et végétale d’une diversité prodigieuse… et d’une grande vulnérabilité. Mais les premiers résultats du programme « Census of Marine Life », publiés lundi 2 août dans la revue PLoS One, en donnent une image d’une ampleur et d’une précision sans précédent. Ce pré-rapport établit notamment que la riche biodiversité de la mer Méditerranée est très fragilisée par l’activité humaine et par l’invasion d’espèces exogènes. Elle serait ainsi une des régions marines les plus menacées de la planète. Explications.
Mené pendant dix ans par 360 scientifiques de 80 pays disposant d’un budget de 650 millions de dollars (494 millions d’euros), ce recensement s’appuie sur les inventaires réunis dans les collections et les banques de données du monde entier, mais aussi sur des campagnes d’exploration effectuées en eaux profondes et près des côtes. Le bilan complet, qui sera présenté en octobre, devrait faire état de plus de 230 000 espèces marines. Sachant, soulignent les chercheurs, que « pour une espèce connue, il y en a au moins quatre à découvrir ». « Je me sens comme Diderot et les encyclopédistes », jubile, dans un entretien à l’AFP, Jesse Ausubel, co-fondateur du projet Census of Marine Life. « C’est comme si nous publions les premiers volumes de l’Encyclopédie. C’est une pierre blanche dans l’organisation du savoir sur la vie marine », affirme ce scientifique. Les régions d’Australie et du Japon, où respectivement 80% et 70% des espèces n’ont pas encore été décrites, se révèlent de loin les plus riches en biodiversité avec quelque 33.000 espèces marines chacune, suivies par des régions de Chine, la Méditerranée et le Golfe du Mexique. Ces deux dernières régions sont aussi les plus menacées par la surpêche, la destruction de l’habitat et la pollution. Globalement, un cinquième de toutes les espèces marines connues sont des crustacés (pour 19%), arrivant devant les mollusques (17%), qui comptent les pieuvres, et loin devant la famille des poissons (12% y compris les requins). Les algues constituent 10% des espèces, tandis que les anémones et les méduses représentent 5%. « Voilà qui sont les citoyens de la mer », affirme M. Ausubel. Parmi les poissons, le poisson-vipère à la gueule hypertrophiée et aux dents acérées, est finalement « le monsieur tout le monde des eaux profondes », l’hôte le plus fréquent des zones abyssales (au-delà de 2000 m), puisqu’on le retrouve dans un quart de ces régions. « A la fin du projet de recensement, la plupart des organismes des océans vont encore demeurer sans nom », affirme la biologiste Nancy Knowlton, spécialiste des barrières de corail. « Dans les Caraïbes », renchérit dans un entretien à l’AFP Patricia Miloslavich, de l’Université Simon Bolivar du Venezuela, « on pensait connaître très bien les poissons. Ce n’est pas le cas. On a découvert plusieurs espèces au cours des deux dernières années et on en découvre chaque année ». « L’âge de l’exploration ne fait que commencer », a conclu cette scientifique.La Méditerrané, mer la plus menacée de la planète ?
La Méditerranée compte parmi les mers les plus riches au monde – elle représente à peine 1% de la surface des océans et abrite plus de 17 000 espèces, soit 9% de la biodiversité marine. Mais elle est aussi l’une des plus menacées. Selon le pré-rapport, les impacts des activités humaines sont proportionnellement plus importants dans la Méditerranée que dans les autres mers du monde. Très densément peuplé, le bassin méditerranéen est d’autant plus pollué que les activités industrielles y sont particulièrement développées. Conséquence : dégradation et perte de l’habitat y sont très répandues. Parmi les espèces plus menacées : le phoque moine. Seuls quelques dizaines d’individus subsistent dans les eaux méditerranéennes. Cachalots et dauphins sont également menacés. Deuxième menace : la surpêche. Elle devrait d’ailleurs encore augmenter dans les dix prochaines années. Mais surtout, la particularité de la Méditerrané est qu’elle est, plus que les autres, envahie d’espèces exogènes. « La Méditerranée est le centre du monde pour les immigrés », note Jesse Ausubel en parlant des espèces du règne marin. Les chercheurs les estiment à plus de 600, soit 4% du total des espèces recensées. « Un facteur crucial qui va continuer à modifier la biodiversité »,selon le rapport. Elles sont principalement transportées en Méditerranée par bateaux, dans l’eau utilisée comme ballast, via le détroit de Gibraltar et le Canal de Suez. Certaines d’entre elles, notamment les méduses sont problématiques: « La dispersion de la Mnemiopsis Leidyi (méduse américaine) en 2009 a provoqué de grandes inquiétudes en raison de son impact connu sur les écosystèmes et les zones de pêche », explique le rapport. D’autres, comme l’huître ou la palourde japonaises, ont été volontairement introduites avec le développement de l’aquaculture et ont entraîné avec elle de nouvelles espèces non adaptées à la vie en Méditerranée: « Les fermes à huîtres sont devenues de véritables portes d’entrée dans les eaux côtières pour toute une série d’algues », soulignent les experts.