Aux côtés de l’innovation technologique et de la contrainte règlementaire, les impôts, taxes et autres redevances peuvent être utilisés pour sanctionner des pratiques polluantes, favoriser des comportements vertueux pour la défense du climat et de l’environnement, ou financer la transition énergétique de certaines filières. Exemples.
La fiscalité est un outil important au service des pouvoirs publics pour favoriser et/ou financer la transition écologique, en incitant les ménages et les entreprises à adopter des comportements favorables à l’environnement. Selon la définition de l’OCDE, la fiscalité environnementale est ainsi définie comme « l’ensemble des impôts, taxes et redevances dont l’assiette est constituée par un polluant ou, plus généralement, par un produit ou un service qui détériore l’environnement ou qui se traduit par un prélèvement sur des ressources naturelles ».
Autrement dit, cette fiscalité écologique s’applique aux actions générant des dommages environnementaux : réchauffement climatique, pollutions, consommation de ressources rares, déchets… Plus bâton que carotte, en renchérissant le coût de ces actions, elle contribue à limiter les pollutions et les atteintes à l’environnement, et représente un moyen de modifier le comportement des acteurs, conformément au principe du « pollueur-payeur ».
Cette fiscalité environnementale porte ainsi sur les énergies fossiles, les transports, les ressources naturelles, les produits rejetés dans l’environnement, ou encore sur l’impact des constructions humaines sur les sols ou la biodiversité. Applicable aux particuliers comme aux entreprises, elle se traduit sous forme de taxes directes comme la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), detaxes indirectes comme l’accise sur les énergies, et de contributions diverses comme la redevance pour la modernisation des réseaux de collecte.
Une quarantaine d’impôts en faveur de l’environnement
La fiscalité environnementale regroupe ainsi près d’une quarantaine d’impôts, disséminés dans le code des impositions sur les biens et services, le code des douanes, le code de l’environnement ou le code de l’énergie. Le nombre important de dispositifs est à la hauteur des enjeux. La fiscalité environnementale s’inscrit en effet dans la volonté du gouvernement français de réduire d’ici 2030 la consommation d’énergie fossile de 55 % par rapport à 1990, et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 (Accord de Paris, loi énergie-climat).
En 2021, le montant des recettes fiscales environnementales s’élevait en France à 54,7 milliards d’euros (contre 41 Md€ en 1995). Les taxes énergétiques, de loin les plus importantes, représentent 82 % de l’ensemble des recettes de la fiscalité environnementale française, le montant de taxes sur les produits pétroliers, appelée taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) pesant à elle seule 68 % de l’ensemble de la fiscalité énergétique. La TICPE constitue d’ailleurs la cinquième recette fiscale, derrière la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la taxe foncière. Les taxes sur les transports représentent 11 % des recettes et concernent principalement les taxes sur les certificats d’immatriculation automobiles ou sur les opérateurs du transport (concessionnaires d’autoroute, aviation civile). Les taxes portant sur les pollutions émises ne représentent que 6 % des recettes et celles portant sur le prélèvement des ressources naturelles moins de 1 %, en raison notamment de la faible activité extractive de la France.
En 2021, les recettes des taxes environnementales françaises représentaient 2,17 % du produit intérieur brut (PIB), soit un niveau légèrement moins important que la moyenne de l’Union européenne (2,24 %), la France se classant selon ce critère au 16e rang européen (sur 27).
L’efficacité de la fiscalité environnementale
Plusieurs taxes environnementales ont prouvé leur efficacité. En particulier, les taxes sur la consommation d’énergies fossiles ont permis de réduire leur consommation en France et en Europe, en comparaison aux États-Unis notamment. L’Etat estime qu’une hausse de 10 % du coût des énergies fossiles permet de réduire de 6 % leur consommation à long terme, diminuant en même temps les nuisances associées : pollution atmosphérique, émissions de gaz à effet de serre… La tarification incitative des déchets constitue un autre exemple probant. Elle vise à faire payer le service d’enlèvement des déchets en fonction du poids réel de déchets produit par chaque ménage : moins un ménage produit de déchets, moins il sera facturé. Elle a permis de réduire de 30 % le volume de la poubelle grise là où elle a été mise en place.
Financer la transition énergétique des transports
Taxe due lors de la première immatriculation d’un véhicule de tourisme en France, le « malus écologique » vise, quant à lui, à favoriser l’achat des véhicules moins polluants. En effet, plus le véhicule est polluant, plus la taxe est élevée. Ce malus s’applique en fonction des caractéristiques du véhicule, selon des seuils d’émissions en dioxyde de carbone (CO2), de puissance administrative et/ou de poids du véhicule. De plus, la fiscalité écologique permet de diminuer d’autres types de fiscalité : en taxant la pollution, on peut en effet réduire d’autant les taxes sur le travail, l’investissement ou l’innovation. La fiscalité écologique peut ainsi induire un « double dividende » : un dividende écologique, d’une part, avec une baisse des comportements néfastes à l’environnement, et un dividende économique d’autre part, où la baisse concomitante des taxes pesant sur le travail ou sur le capital permet de relancer l’activité et de rendre le système économique plus performant.
La fiscalité peut également être utilisée pour encourager les financements et l’innovation pour des pratiques plus vertueuses. C’est le cas par exemple de la « taxe au tonnage » appliquée au transport maritime : les armateurs européens paient un impôt forfaitaire calculé selon le tonnage de leurs navires plutôt que l’impôt sur les bénéfices. Un régime fiscal qui fonctionne également selon le principe du pollueur-payeur : qui transporte plus, paye plus. A l’origine mesure défensive contre les pavillons de complaisance, ce régime de taxation, adopté en France en 2003, a également permis de favoriser l’essor du pavillon français, de la flotte de commerce nationale et de l’emploi dans la filière maritime de notre pays, en mettant les armateurs français à armes égales avec leurs concurrents européens et mondiaux. Les trois premiers transporteurs maritimes mondiaux sont d’ailleurs européens et bénéficient de ce régime de taxation : l’italo-suisse MSC (Mediterranean Shipping Company), le danois Maersk, et le français CMA CGM… Tout comme leurs principaux concurrents asiatiques. Plus favorable que le régime de l’impôt sur les sociétés, cette taxation particulière a aussi pour objectif d’améliorer la compétitivité des armateurs européens face aux flottes de pays moins regardants : c’est autant de navires qui se plient aux exigences environnementales les plus drastiques au monde, en plus de permettre à l’Europe de disposer d’une « logistique souveraine » avec une flotte de transport maritime sous pavillons européens.
Cette taxe au tonnage s’applique aujourd’hui à plus de 80 % de la flotte maritime mondiale, et notamment dans 22 Etats membres de l’Union européenne (UE). Dans la pratique internationale actuelle, ce régime de taxation est utilisé en particulier comme un instrument d’incitation au verdissement pour encourager la modernisation et l’amélioration des performances environnementales des flottes marchandes. Il favorise en effet les investissements dans le transport maritime, en particulier pour sa décarbonation. Un enjeu majeur car la navigation sur les océans du monde est aujourd’hui responsable d’environ 3 % des émissions de gaz à effet de serre. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’OCDE, l’UE et le G7 sont unanimes pour reconnaître l’utilité de ce système. Ce régime doit ainsi aider la filière à assurer sa transition énergétique, qui nécessitera des investissements massifs d’ici à 2050. La démarche « France Mer 2030 », lancée en novembre 2022 par le gouvernement français, prévoit d’ailleurs la création d’un fonds d’investissement maritime alliant financement public et privé, pour mettre en œuvre la décarbonation du transport maritime.
Levier de compétitivité, ce régime d’imposition répond aussi à un enjeu de souveraineté, particulièrement dans le contexte géopolitique actuel. Les évaluations publiques confirment d’ailleurs la pertinence de ce dispositif pour maintenir les centres de décision des compagnies en France et la maîtrise des chaînes logistiques. Aujourd’hui, près de 90 % des marchandises mondiales passent en effet par la mer et 72 % des importations et exportations en France en dépendent : transport des matières premières, des produits énergétiques, alimentaires, manufacturés, des câbles de télécommunication… Autant de biens indispensables à notre quotidien et à notre autonomie stratégique.