Lors de la première séance d’information scientifique consacrée au thème de l’eau à l’Assemblée générale des Nations Unies, le 7 février, d’éminents scientifiques ont averti que la demande en eau dépassera bientôt l’offre. Une situation qui exige à leurs yeux une tarification correcte de l’eau et de rendre durables ses systèmes de gestion et de conservation.
Dans son allocution d’ouverture, le Président de l’Assemblée générale, Csaba Kőrösi, a appelé les États Membres à « écouter les scientifiques, à les interpeller, à poser des questions, discuter, formuler le soutien que vous attendez de nos négociations ici même dans cette salle ».
« Nous avons franchi les limites planétaires de l’eau pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Nous avons modifié le cycle mondial de l’eau », a déclaré pour sa part Tharman Shanmugaratnam, co-président de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau et ministre principal à Singapour, devant un auditoire composé d’États membres, d’observateurs et de représentants de la société civile au siège de l’ONU à New York.M Shanmugaratnam a noté que nous assistons partout dans le monde à ce scénario – marqué par des sécheresses et des inondations affectant les mêmes régions, et signes d’une « tragédie de l’eau contaminée qui dure depuis longtemps sans faire les gros titres ». Selon les chiffres de l’ONU, un enfant de moins de 5 ans sur cinq meurt chaque minute à cause de la diarrhée. En raison de la mauvaise gestion humaine au cours de l’histoire, la demande en eau devrait dépasser l’offre de 40% à la fin de cette décennie, a averti M. Shanmugaratnam. Cette séance d’information a eu lieu moins de six semaines avant la Conférence des Nations Unies sur l’eau, la première conférence internationale axée sur l’eau organisée par les Nations Unies depuis 1977.
Potentiels et défis
Le ministre principal a déclaré que malgré la crise actuelle de l’eau, l’humanité dispose des outils nécessaires pour remettre sa gestion sur les rails, tant du point de vue des données et des informations que des connaissances scientifiques, de la technologie, des capacités et du financement. La clé est d’organiser les capacités et les ressources de manière à conserver l’eau localement et globalement, et de les coordonner avec les efforts de lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité.« Nous devons dépasser cette idée que la tarification de l’eau est nocive pour les pauvres », a-t-il déclaré. « C’est la tarification de l’eau et le bon ciblage des subventions qui permettent d’investir dans les systèmes, de s’étendre à toute une population et de favoriser l’équité, car les systèmes de subventions d’aujourd’hui profitent aux personnes les plus aisées dans de nombreuses sociétés ».Il est urgent maintenant d’encourager la conservation, d’étendre les systèmes d’approvisionnement en eau – y compris les systèmes de distribution et les subventions aux pauvres, par le biais d’incitations sociales ou directes ciblées, a-t-il ajouté. Entre autres recommandations, il a évoqué la coopération internationale pour renforcer les capacités de la main-d’œuvre et soutenir les institutions multinationales et régionales.
Ces initiatives reposent sur la science et les données : « Si nous voulons faire de la science une force unificatrice, nous devons combler les lacunes dans les données », a-t-il dit.Des propositions telles que le suivi et la vérification des informations sur l’eau dans les États membres font partie des « nouvelles donnes » lancées en octobre dernier lors d’une consultation sur l’eau et la durabilité organisée par le Président de l’Assemblée générale Csaba Kőrösi avec 1.200 scientifiques, représentants du secteur privé et de la société civile. Cette rencontre a débouché sur 10 points d’inflexion qui incluent la création d’un mécanisme de validation scientifique, l’organisation d’un système mondial d’information sur l’eau, et l’éducation et le renforcement des capacités pour apporter la science et les données aux questions de politique de l’eau. M. Kőrösi devrait présenter ces facteurs de changement lors de la Conférence des Nations Unies sur l’eau en mars.
La nature transversale de l’eau
Pour sa part Aromar Revi, Directeur de l’Institut indien pour les établissements humains, également membre de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau a souligné la nature intégrale de l’eau dans les objectifs de développement durable (ODD) et dans l’atténuation du changement climatique. Il a noté le « grand potentiel économique et de développement non réalisé » de l’utilisation de l’eau en tant que principe organisateur permettant d’accélérer la mise en œuvre des ODD, ainsi que des objectifs climatiques et de biodiversité. Mais il a mis en garde contre les arbitrages entre la nourriture, l’eau et l’énergie, citant le conflit potentiel entre les biocarburants et la production alimentaire dans les zones où l’eau est rare. « Ils doivent être réunis dans chaque région pour permettre un ensemble de transitions vers la prospérité, le bien-être humain et la santé des écosystèmes », a-t-il dit.Comment tarifer l’eau
La question de la tarification adéquate de l’eau a été soulevée par María Fernanda Espinosa, membre de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau et Présidente de la 73e session de l’Assemblée générale. Evoquant les principes de coopération, de durabilité et d’égalité des sexes qui serviront de base à la tarification de l’eau Mme Espinosa a rappelé qu’il s’agit « de belles paroles, mais que la vraie question est de savoir comment le faire dans la pratique ». Elle a souligné un labyrinthe de législations inégales sur l’eau à travers les continents. Il existe environ 500 mécanismes réguliers dans le monde liés à l’eau, deux conventions sur l’eau – dont aucune n’a plus de 39 États membres signataires – et plus de 140 États membres ont demandé que l’ONU nomme un envoyé pour l’eau. Où cela nous mène-t-il ?, a-t-elle demandé à l’auditoire : « Y a-t-il besoin d’une maison de l’ONU pour l’eau ? Y a-t-il besoin d’un espace intergouvernemental sur l’eau, que nous n’avons pas? Faut-il mettre en place un mécanisme global pour l’environnement afin d’assurer une plus grande cohérence et coordination entre les accords multilatéraux sur l’environnement ? »Élargir les sources de financement
« D’autres éléphants ne sont pas dans la pièce, comme le secteur privé et les institutions financières multilatérales », a plaisanté Henk Ovink, Envoyé spécial pour les affaires internationales de l’eau des Pays-Bas, parlant de la nécessité d’une approche intersectorielle de la gestion de l’eau, et notant que la réunion d’information était restée axée sur les gouvernements.Évoquant la Conférence des Nations Unies sur l’eau le mois prochain, il a déclaré qu’« une conférence des Nations Unies ne suffit pas à changer pas le monde. L’eau a besoin d’un foyer institutionnel, politique et avec nous tous, y compris un lien plus étroit avec les travaux de l’Assemblée générale ».