Récompensé à Cannes par la Palme d’or, le film de Laurent Cantet sort au cinéma alors qu’un vaste débat sur l’école agite la société. Cette oeuvre y participe, suscitant des réactions contrastées. Ainsi, selon Philippe Meirieu [[Figure des pédagogies nouvelles et professeur à l’université Lyon II, auteur de Pédagogie : le devoir de résister.]], le film de Laurent Cantet montre des comportements relevant d’une gauche compassionnelle, qui mise sur l’affectif et le subjectif au détriment de la véritable pédagogie. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue tranché. Ce film a le mérite de nous interroger tous et pas seulement les professionnels de l’éducation. Entrer dans les murs de ce collège, c’est bousculer nos certitudes sur le sens de la transmission des savoirs, sur la place des enseignants, des élèves et des parents. Pour vous faire une opinion, le plus simple est d’aller voir ce film sans oublier que c’est une œuvre cinématographique et non un documentaire. Le Président du Jury du Festival de Cannes, Sean Penn, résume bien mon sentiment lorsqu’il s’explique sur le choix de ce film pour la Palme d’or : « toutes les performances étaient magiques. Toute l’écriture était magique. Toutes les provocations, toute la générosité, étaient magiques. C’est exactement ce que vous souhaitez du cinéma. » Mais aussi comme le résume Christophe Kantcheff dans Politis : « le film donne à voir, à sentir, de manière concrète, rugueuse, fulgurante, combien la société est partout dans ce collège. » Enfin dernier argument pour aller voir ce film, la prouesse de ces jeunes acteurs est remarquable. Un point de vue qui semble être partagé puisque le film vient d’être choisi pour représenter la France dans la course aux oscars.
Prendre appui sur ce film pour débattre
Ci-dessous vous retrouvez la chronique de Marion Blanchaud, chargée de mission nationale Cinéma à la Ligue de l’enseignement qui résume bien l’intérêt de ce film pour débattre « hors des murs ». Je vous invite également à découvrir les dossiers consacrés à la sortie de ce film dans Politis (n°1018 – semaine du 18 au 24 septembre) et dans Télérama (n°3062 – semaine du 20 au 26 septembre). Les deux hebdomadaires proposent des regards croisés, notamment un entretien avec Philippe Meirieu qui pense que ce film est idéologiquement dangereux : « J’ai peur que l’on dise : « Voilà l’école de Meirieu ! Voilà où les pédagogues nous mènent. Ils sont en train d’écrabouiller la culture. Ils se mettent sur le terrain des jeunes, y compris en adoptant leur manière de voir de comporter. » Entre les murs est un boulevard ouvert aux antipédagogues. C’est une bombe à retardement contre l’école publique. Je crains que des parents, effrayés par le tableau que l’on en donne, n’aient qu’une idée : préserver leurs enfants de cet univers en les mettant à l’école privée ! » Quatre enseignants et un proviseur, qui ont déjà pu voir « Entre les murs » livrent à l’AFP leurs réactions sur un film qui « suscite » de nombreux débats sur l’Ecole. « C’est un film très humain. J’y ai vu une certaine reconnaissance du métier parce qu’il montre que c’est intense, fatiguant, qu’il y a des moments de joie mais aussi des déceptions et surtout combien c’est compliqué de faire cours avec des adolescents », témoigne Carole Condat, professeur d’histoire-géographie. Carole Lizé, professeur depuis 5 années, dont une en région parisienne : « j’ai vu mes erreurs de début de carrière », dit-elle en faisant référence aux joutes verbales entre M. Marin et ses élèves. « Le film nous renvoie au métier et permet de nous voir en scène avec un peu de recul », ajoute-t-elle, tout en prévenant que « le collège moyen en France ne ressemble absolument pas à celui du film ». Ce dernier montre « ce qui peut se passer dans une classe de région parisienne, mais en province on ne trouve pas du tout ça », selon elle. Matthieu Leiritz, professeur d’histoire-géographie, qui a enseigné en collège, en Lorraine, pendant 24 ans, renchérit: « il ne faudrait pas que les citoyens croient que le quotidien d’un collège lambda, c’est cet affrontement verbal qu’on voit dans le film ». « La pédagogie, c’est une chose ». Dans le film, « c’est l’homme qui est mis en avant, face aux autres hommes que sont les élèves », note pour sa part Jean-Pierre Bourasset, le principal du collège Mozart (du livre éponyme de François Bégaudeau). Bernard Massabiaux, professeur depuis 30 ans, en physique appliquée en lycée technologique à Nice, qui avait lu le livre et l’avait jugé « intéressant », a pour sa part trouvé plusieurs scènes « caricaturales » et des personnages un peu « loufoques ». Carole Lizé résume: « il y a deux bords: ceux qui disent que c’est une caricature, donc que ce n’est pas la peine d’aller le voir. Ceux qui disent que c’est une des réalités du métier, et qu’il faut s’en saisir pour en parler ». A l’occasion de la sortie nationale du film, plusieurs cinémas proposent des séances suivies de débats. Ainsi à Avignon, citoyens, parents, enseignants pourront débattre à Utopia les 23 et 24 septembre prochains à 20h en partenariat avec la Ligue de l’enseignement. A Lyon, une soirée-débat est organisée le jeudi 25 septembre à 21h au Comoedia en partenariat avec Les Ateliers de la Citoyenneté…La bande-annonce du film
La conférence de presse du jury suivant la remise de la Palme d’or
Chronique d’une classe par Marion Blanchaud, chargée de mission nationale Cinéma à la Ligue de l’enseignement
Une salle de classe, une cour, des escaliers : des adolescents et leur enseignant se rencontrent, s’affrontent, discutent, rient et se mettent en colère. Des parents passent, furtifs invités de rituels bien rodés. Fiction née du réel, mais aussi réalité revisitée, le film de Laurent Cantet est d’abord une aventure humaine. Le lieu fermé, élément essentiel de la mise en scène, renvoie au souhait de faire de l’école « une caisse de résonance » de la société, sous forme de «chronique de la vie d’une classe». Partant du livre, des ateliers proposaient aux élèves de recréer des situations comparables à celles qu’ils vivaient au quotidien et de les jouer. Dans cette classe reconstituée, la plupart des personnages sont des compositions, loin des personnalités réelles. Le tournage a poursuivi le travail des ateliers avec la même liberté, associant tous les acteurs de la vie scolaire : élèves, enseignants, administration et parents. À côté d’un scénario très écrit, l’improvisation a permis d’intégrer des perturbations, captées par une des trois caméras qui tournaient en permanence dans la classe, selon une mise en scène très stricte. Pourtant, la démarche de Laurent Cantet suscite des questions. Quelle est cette vraie-fausse réalité ? Ces images, fiction du réel, ont le goût d’une transgression fictive : voir ce qui d’habitude reste invisible derrière les murs. Même si « l’idée de recréation, de représentation de soi que le jeu implique » est essentielle, comme est sincère le désir de «montrer en temps réel comment se produit une réflexion vraie». À la fois voyeur, acteur et témoin, le spectateur est amené peu à peu à voir avec Laurent Cantet et François Begaudeau une école « parfois très chaotique », mais dont « naît finalement pas mal d’intelligence ». Le film fait vivre «non pas l’affirmation de ce que l’école devrait être, mais l’expérimentation de ce qu’elle peut être», «une utopie en fonctionnement». École et société en miroir : on peut y voir un échec, ou retenir ces moments d’échange et de compréhension quand la rencontre et la connaissance diluent les exacerbations individuelles. La scène du conseil de discipline laisse le spectateur perplexe ou consterné face à cet «extérieur», cette machine de l’institution bouleversant «l’intérieur» de la classe. Mais l’approche de François Bégaudeau ouvre à d’autres enjeux plus fondamentaux avec élégance et efficacité : un enseignant et des élèves cherchent entre les murs de la classe le chemin d’une langue et d’une culture partagées, celui de la transmission, du respect, de l’égale dignité dans un cadre pédagogique dissymétrique. Les protagonistes utilisent la langue comme une arme, avec plus ou moins de succès, dans une lutte qui ne connaît ni perdant ni gagnant. S’attachant aux moments de dérive, lorsque la parole dérape, le film provoque les élèves, suscitant les interrogations et les remises en question. Il met aussi à mal la question du savoir, avec comme enjeu l’évidente distance culturelle entre le professeur et les élèves. La tension dramatique résolue finalement par l’exclusion de Souleymane apparaît comme une suspension, une décision inachevée, ni souhaitée, ni assumée. Enfin, c’est bien de démocratie qu’il s’agit lorsque le professeur, sur un pied d’égalité avec les élèves, mais lui aussi trahi et pris au piège de la langue, sent son pouvoir vaciller. Laurent Cantet s’interroge sur la notion de vérité, au profit de la multiplicité des savoirs à partager et de la nécessité à les vivre ensemble : « A sa façon, le film refuse les généralités ». Il rend hommage, par une démarche originale et dans un exercice périlleux, au travail d’apprentissage de la citoyenneté à l’école. Un film à partager, pour que les débats se poursuivent hors les murs. Texte publié dans le journal de la Ligue de l’enseignement, les Idées en mouvement de septembre 2009.Entre les murs, un livre de François Bégaudeau
François Bégaudeau est l’auteur du livre « Entre les murs » dont le scénario du film s’est largement inspiré. Le livre vient d’être réédité dans la collection Folio de Gallimard. « Ne rien dire, ne pas s’envoler dans le commentaire, rester à la confluence du savoir et de l’ignorance, au pied du mur. Montrer comment c’est, comment ça se passe, comment ça marche, comment ça ne marche pas. Diviser les discours par des faits, les idées par des gestes. Juste documenter la quotidienneté laborieuse. «