Réguler la mondialisation est devenu une priorité, a redit Nicolas Sarkozy le 15 juin dernier à Genève lors du 90e anniversaire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Pour Thierry Brun qui signe cette semaine dans Politis un dossier consacré à la crise, le chef de l’Etat a pris des accents altermondialistes pour dénoncer « un capitalisme financier devenu fou à force de n’être soumis à aucune règle et dont on commence à mesurer à quel point il peut être destructeur. » Or, rappelle Politis, dans un rapport de la commission « pour la réforme du système financier et monétaire international », présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz, ce constat va bien plus loin : il est élargi à l’ensemble du système économique mondial et à « certaines politiques » des institutions financières internationales, qui « ont favorisé la contagion de la crise par le monde ». Autrement dit, le modèle économique libéral est en cause, et pas seulement un « capitalisme financier ». Les conclusions de ce rapport, étudiées lors de la conférence au Sommet des Nations Unies sur la crise économique et financière mondiale qui s’est tenue cette semaine, ont été l’objet de beaucoup d’attention. Comme le souligne Politis, si les altermondialistes d’Attac ont qualifié ce document de « premier pas encourageant », l’initiative déplaît fortement à certains Etats leaders du G8 et du G20 pour qui ces réunions en petit comité doivent demeurer les seuls espaces internationaux de décision.
L’absence de volonté était visible dès le mois d’avril, au G20 à Londres : le moins que l’on puisse dire est que les mesures annoncées n’ont pas changé la face de la mondialisation remarque Thierry Brun cette semaine dans Politis. Pire, poursuit-il, dans le cadre des négociations préparatoires à la conférence de l’ONU, la plupart des Etats membres de l’Union européenne, dont la France, ont cherché à en affaiblir la portée et les possibles conclusions, accuse notamment François Houtart, représentant personnel du président de l’assemblée générale des Nations Unies. Et de conclure : C’est dire l’importance des propositions qui seront en débat dans les prochains mois. François Houtart : « L’avenir de l’humanité est en jeu » Interrogé par Politis, François Houtart rappelle les enjeux de la Conférence des Nations Unies sur la crise économique et financière mondiale. Extraits : « Les enjeux sont les moyens de sortir de la crise financière et au-delà : effets sociaux, crise alimentaire, énergétique, climatique. Il y va de l’avenir de l’humanité sur la planète. Les principales contradictions sont entre les pays du Nord, qui ne veulent pas de solutions contraignantes, et le groupe des 77, plus la Chine, qui sont sensibles aux effets sociaux dramatiques dans le Sud. Se joint à ces contradictions la controverse capitalisme-postcapitalisme : le système économique peut-il accepter ces défis ou simplement prolonger sa crise systémique ? » « Les propositions de la commission Stiglitz vont bien plus loin que celles annoncées par le G20 : un contrôle plus strict des banques et des agences de notation, une suppression réelle des paradis fiscaux (y compris anglo-saxons) et du secret bancaire, une réforme réelle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire International (FMI), la constitution de nouveaux organes des Nations Unies, y compris un Conseil financier et économique du même niveau que le Conseil de sécurité, etc. Comme ces propositions viennent d’être formulées, si l’on excepte les interventions dans l’assemblée générale des Nations Unies, il n’y pas eu beaucoup de réactions. On verra à l’issue de la Conférence. Le rapport préparé pour des conclusions des Etats a cependant été très discuté, avec des des manœuvres de dissuasion, et tout cela a reflété les oppositions, principalement entre les Nord et le Sud. »Un système inéquitable : le rapport de la commission Stiglitz
Traduction d’extraits du rapport provisoire de la commission présidée par Joseph Stiglitz remis au président de la 63e assemblée générale des Nations unies Il est important de reconnaître que ce qui a commencé comme une crise du secteur financier est désormais devenu une crise économique. Mais ce n’est pas seulement une crise économique, c’est aussi une crise sociale. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), quelque 200 millions de travailleurs, essentiellement dans les économies en développement, seront jetés dans la pauvreté si une action immédiate n’est pas arrêtée pour faire face à l’impact de la crise. Même dans les pays industriels avancés, des millions de ménages sont confrontés à la menace de perdre leur maison, leur emploi et l’accès à la protection maladie. L’insécurité économique et l’anxiété vont croissant chez les personnes âgées alors que l’épargne de toute une vie disparaît avec l’effondrement des prix des actifs. L’OIT estime que le chômage pourrait passer de quelque 30 millions de personnes en 2007 à plus de 50 millions en 2009 si la situation continuait à se dégrader. La réforme du système international doit avoir pour but d’améliorer le fonctionnement du système économique mondial en assurant la promotion du bien commun. Cela suppose de poursuivre des objectifs de long terme tels qu’une croissance soutenable et équitable, la création d’emplois respectant le principe « d’emplois décents », l’usage responsable des ressources naturelles, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en même temps que des préoccupations plus immédiates, notamment celles relevant du défi des crises financière et alimentaire. Alors que le monde se concentre sur les exigences du moment, les engagements de long terme pour atteindre les Objectifs du millénaire et se protéger contre les menaces du changement climatique doivent demeurer des objectifs d’absolue priorité ; en effet, ce sont à la fois les dispositions immédiates arrêtées face à la crise et les réformes globales de long terme qui devraient offrir précisément l’opportunité d’atteindre ces buts plus rapidement. Alors que le monde se remettra éventuellement de la crise mondiale économique, les autres défis, y compris celui du réchauffement et ceux relevant du manque de nourriture et d’eau, exigeront des mesures complémentaires. La conjonction des énormes besoins globaux insatisfaits pour répondre aux défis du réchauffement et à celui de l’éradication de la pauvreté, dans un monde où cohabitent surcapacité et chômage de masse, est inacceptable. […] La protection sociale n’est pas seulement un instrument de justice sociale, c’est aussi un outil majeur de stabilisation économique. Bien organisés, les systèmes de protection sociale rendent l’économie plus résistante aux chocs par l’augmentation de la taille des stabilisateurs économiques. Les systèmes de protection sociale ont deux composantes. Le premier est l’assurance contre les risques. Il facilite l’égalisation du revenu disponible tandis que le renforcement de la sécurité est une valeur en soi. La seconde composante est la redistribution progressive pour éviter l’exclusion et empêcher les individus d’être précipités dans des trappes de pauvreté. […]Développement durable en Méditerranée par Élisabeth Guigou et Alain Juppé
Les deux anciens ministres, membres du Comité de parrainage politique d’Ipemed (Institut de prospective économique sur le monde méditerranéen), plaident dans Le Figaro (25/06/09) pour la consolidation de l’Union pour la Méditerranée afin de conjurer trois menaces : le réchauffement climatique, l’après-pétrole et le déclin historique. Extraits : Dans ce monde plein d’incertitudes, il y a des évolutions évidentes : le développement durable et la croissance verte constituent l’une de ces évidences, car nul ne peut réfuter l’idée du réchauffement climatique ni celle du nécessaire recours à la croissance verte. L’autre évidence est la future accession des pays arabes méditerranéens au rang des pays émergents. Le Financial Times titrait «The time of the Mediterranean» : après l’émergence de la Chine dans les années 1990, l’émergence des pays d’Amérique latine en 2000, le moment est venu de voir les pays arabes méditerranéens accélérer leur développement. Mais quel développement ? Nous partageons une intime conviction : le développement durable en Méditerranée permettra de transformer en excellence trois peurs communes aux deux rives : La peur du réchauffement climatique. Une étude réalisée en 2008 pour l’Ipemed confirme que le réchauffement climatique sera particulièrement cruel en Méditerranée du Sud et du Nord : + 3° à + 4° d’ici à 2050, la montée des eaux de + 50 cm associés à des anomalies climatiques à répétition. Dans un tel contexte, les gouvernements des pays du Nord, comme ceux du Sud, ne peuvent que préconiser une économie décarbonée. C’est une question de survie. La peur de l’après-pétrole. Dans quarante à cinquante ans, les ressources naturelles en pétrole et en gaz des pays de la rive sud déclineront sérieusement. Comme ceux du Nord, ces pays sont donc condamnés à opérer dès maintenant les reconversions énergétiques qui s’imposent vers les énergies renouvelables et le développement durable. La peur de sombrer dans le déclin historique. Le monde multipolaire qui se dessine, privilégie actuellement les États américains et ceux d’Asie de l’Est. Dès lors les 500 millions d’Européens et les 400 millions d’Arabo-musulmans proches de la Méditerranée n’ont d’autre issue que de s’associer pour créer eux aussi une grande «région Nord-Sud» susceptible de soutenir la comparaison et, mieux, de devenir un laboratoire du développement durable à inventer. […] Au-delà, la crise financière actuelle renforce elle-même l’impératif de développement durable. En effet, chacun sait que les motivations économiques (le coût de dégradation de l’environnement qui risque de réduire très fortement notre croissance «normale» ; la volatilité des coûts des énergies fossiles, la mise en place de la taxe carbone, si elle est confirmée) sont souvent plus stimulantes que les exhortations morales. […] L’Union pour la Méditerranée n’a pas d’autres choix que de promouvoir, à travers les énergies renouvelables, l’eau, l’agriculture, l’habitat et les transports, des formes originales qui permettront au pays du Sud de sauter une étape et aux pays de la rive nord d’être les modèles de la croissance verte. Les élections européennes nous encouragent à emprunter cette voie.PIB : casser le thermomètre de la croissance ?
Décidément Joseph Stiglitz est au cœur de l’actualité mais cette fois-ci en France. C’était le 8 janvier 2008, lors de ses vœux à la presse. Nicolas Sarkozy remettait en cause la pertinence de la comptabilité nationale et du produit intérieur brut (PIB) à mesurer «les conditions réelles de la qualité de vie». Et, dans la foulée, il demandait à deux Prix Nobel, Joseph Stiglitz et Amartya Sern, de constituer «une commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social». Le rapport, dont il existe un projet sur le site de la commission,sera remis aux alentours du 10 juillet. Jean-Pierre Robin expose dans Le Figaro (15/06/09) les premières propositions de la Commission Stiglitz. Il s’articulera en trois séries de propositions. Faut-il tout d’abord remédier aux lacunes bien connues du PIB ? Exemple : ce dernier ne tient pas compte du travail domestique. Or,selon la commission Stiglitz, il faudrait ajouter 35 % à la richesse nationale si on comptabilisait les services produits par les ménages pour leur propre usage.De même, les services publics sont évalués de façon contestable, à proportion de leurs coûts de production et non pas en fonction de la satisfaction des usagers. Le deuxième volet portera sur le bien-être et les inégalités, que le PIB ignore superbement. Seule lui importe la valeur des produits, au prix du marché, indépendamment de la satisfaction «subjective» des consommateurs. Troisième axe, la préservation de l’environnement. Elle échappe aujourd’hui au calcul de la richesse nationale. Ainsi, une marée noire contribue-t-elle à accroître la production dans la mesure où il faut mobiliser des ressources pour en combattre les dégâts ! Au grand dam des écologistes. La commission Stiglitz n’envisage pas de substituer au PIB un autre indicateur synthétique unique. Il s’agit d’apporter des éclairages complémentaires. Un «PIB vert», s’efforçant de prendre en compte le coût de régénération des ressources naturelles, serait au moins aussi arbitraire. Cela impliquerait des hypothèses trop nombreuses pour être acceptées par l’opinion publique. Il faut être facilement compréhensible. D’où, par exemple, l’intérêt de l’«empreinte carbone» (le volume de dioxyde de carbone émis par combustion d’énergies fossiles par tout un chacun). Une mesure simple et valable à la fois au niveau de l’individu, de l’entreprise et des pays. «Ce qui en fait un instrument puissant pour contrôlerle comportement des acteurs», souligne le prérapport. L’objectif est clair : réconcilier l’économie et le développement durable, aider les décideurs politiques à rationaliser leurs choix. Car l’écologie et la croissance ne sont nullement incompatibles. Au contraire. La part importante accordée aux «industries vertes» dans les programmes de relance en témoigne. Le plan Obama a dégagé 35 milliards d’euros pour promouvoir les énergies propres. L’Espagne, en retard dans ces domaines et très secouée par la crise, a alloué 27 milliards de fonds publics au chapitre des énergies renouvelables et de l’environnement. Les économistes doivent inventer des concepts aussi innovants que le fut le PIB dans les années 1930 et 1940, sans se croire obligé d’en brûler les acquis. Pour prolonger votre réflexion, je vous invite à lire cette semaine dans Marianne l’excellent article de Christian Godin intitulé : « Le jour où le sous-développement fut inventé ».Développement durable : Jean-Louis Borloo conforte son bastion ministériel
A la faveur du remaniement, le ministère du Développement durable voit son champ d’action élargi au Logement et gagne en autonomie sur les négociations climatiques internationales, note Les Echos (26/09/09). Six mois avant la tenue de la conférence de Copenhague sur le changement climatique, Jean-Louis Borloo a profité du remaniement pour conforter sa position au sein du gouvernement sur cette question clef. Le portefeuille du ministre d’Etat regroupe dorénavant l’Ecologie, l’Energie, le Développement durable et la Mer, mais aussi les Technologies vertes et les Négociations sur le climat. « La tutelle du ministère des Affaires étrangères ne disparaît pas, mais c’est un geste politique fort qui donne plus de poids à la parole de Jean-Louis Borloo lors des dernières phases des négociations internationales sur le climat en décembre prochain, lorsqu’il faudra bâtir un consensus avec les autres pays », explique un expert. Jean-Louis Borloo a aussi gagné en influence au gouvernement en récupérant le Logement, même s’il a abandonné dans le même temps le Grand Paris et l’Aménagement du territoire. Lors de la constitution du grand ministère du Développement durable il y a deux ans, qui avait vu le regroupement de l’Environnement, de l’Energie, des Transports et de l’Equipement, le Logement, un dossier de poids, était resté autonome avec à sa tête la ministre Christine Boutin. Son remplaçant, Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au Logement et à l’Urbanisme est, lui, rattaché au ministre d’Etat.